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11/21/2007 Serge Prokofiev : L'Amour des trois oranges Alexey Tanovitsky (le Roi de trèfle), Andrey Ilyushnikov (le Prince), Nadezhda Serdjuk (la Princesse Clarisse), Eduard Tsanga (Leandro), Kirill Dushechkin (Trouffaldino), Vladislaw Sulimsky (Pantalone), Pavel Schmulevich (le Magicien Tchelio), Ekaterina Shimanovitch (Fata Morgana), Sophie Tellier (Linetta), Natalia Yevstafieva (Nicoletta), Julia Smorodina (Ninetta), Yuriy Vorobiev (la Cuisinière), Alexander Gerasimov (Farfarello), Ekaterina Tsenter (Smeraldina), Wojcech Ziarnik (le Héraut), Juan Noval (le Maître de cérémonies), Michel Fau (la Diva). EuropaChorAkademie, Mahler Chamber Orchestra, Tugan Sokhiev (direction). Mise en scène : Philippe Calvario.
Enregistré en juillet 2004 à Aix-en-Provence – 112’.
BelAir BAC 024. Format : 16/9.
Si un beau désordre, comme disait Boileau, est un effet de l’art, cet Amour des trois oranges aixois en est la parfaite illustration. Rythme effréné, couleurs bariolées, mélange des genres, exubérance baroque : Philippe Calvario signe là un spectacle qui tient à la fois du théâtre de tréteaux et de Shakespeare, où l’Italie de la commedia dell’arte rejoint la Russie de Petrouchka en passant par Disneyland. Le Roi rappelle Macbeth, le Prince Hamlet ; Trouffaldino devient drag-queen et Tchelio ressemble à un mage oriental. On est plus près du théâtre en musique que de l’opéra proprement dit. L’exploitation des effets renoue avec la tradition des « machines », notamment à la fin quand les trois vilains disparaissent dans une trappe d’où jaillissent les flammes de l’enfer. La bouffonnerie n’en cache pas moins quelque chose de violent, de tragique, d’inquiétant, de cruel : l’orange pourrie dit la décomposition d’un monde où le pire peut arriver à tout instant ; l’exécution des méchants jette le soupçon sur ce royaume de fantaisie où l’on croise les Incroyables et les Merveilleuses de la Révolution française. Bref, le grotesque grince.
La direction d’un Tugan Sokhiev de 27 ans est à l’unisson du spectacle. Elle serait sans doute aujourd’hui plus aboutie, mais non moins éblouissante, fouettant impitoyablement le Mahler Chamber Orchestra, collant parfaitement à ce Prokofiev iconoclaste des années vingt. Dirigés par Larissa Gergieva, la sœur du chef d’orchestre, les jeunes chanteurs de l’Académie du Mariinski, parfois encore un peu verts, très investis sans être vocalement exceptionnels, forment avant tout une troupe, sans qu’aucune individualité ne se détache vraiment. Visiblement, la jeune école du Mariinski joue collectif, comme on dit aujourd’hui. Mais c’est cela, justement, qui fait la cohérence de l’ensemble, contribuant à faire de cet ébouriffant et apparemment pagailleux Amour des trois oranges une des meilleures versions de l’œuvre disponibles en DVD.
Didier van Moere
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