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10/16/2007 Robert Schumann : Symphonie n° 3 « Rhénane », concert et documentaire Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Kent Nagano (direction)
Enregistré à la Philharmonie de Berlin (2005) – 36' (concert) + 52' (documentaire)
Arthaus "Classical Masterpieces" 101 431 Code région : 0 (distribué par Intégral)
L’enregistrement vidéo en public d’une œuvre symphonique du grand répertoire, assorti d’une sorte de «making of/commentaire d’extraits» d’une durée d’une heure environ : le principe semble le même pour tous les volumes de cette série Classical Masterpieces enregistrée à Berlin sous la direction de Kent Nagano, les compositeurs sélectionnés allant de Mozart à Richard Strauss. Ce n’est pas du tout une mauvaise idée, ne serait-ce que pour asseoir la notoriété discographique de Kent Nagano à une époque où il devient difficile d’enregistrer le grand répertoire symphonique faute de débouchés commerciaux, même pour de grands chefs. Mais ce pourrait être aussi l’occasion d’une véritable ouverture pédagogique, les possibilités du multimédia offrant de beaux outils d’analyse, y compris à des niveaux de vulgarisation accessibles. Mais là, si l’on en juge par le contenu de ce volume Schumann, on reste largement sur sa faim.
En guise de «documentaire», on nous propose surtout un montage imbriquant de larges extraits du concert, des extraits de répétitions, quelques interviews de musiciens et de longues séquences filmées où Kent Nagano nous expose très calmement, les mains posées sur sa partition ouverte (dont jamais une note n’est montrée) un certains nombres de remarques personnelles sur Schumann et son œuvre, d’un niveau à vrai dire assez basal. Honnêtement, on reste médusé devant tant de banalités, qui ne sont supportables de la part d’un chef de ce niveau que parce que dites très modestement, sans aucune emphase. Il semble que pour Kent Nagano s’adresser à un public peu connaisseur suppose d’en rester à ce type de constatations bateau, dont l’une des plus complexes doit être : « Schumann est le premier compositeur à avoir su s’émanciper du modèle symphonique beethovenien… ». De deux choses l’une, soit ce type de propos est encore trop obscur pour le béotien, soit il laisse l’initié perplexe parce ce qu’il contient forcément de discutable et d’inabouti. Quant à certaines interviews de musiciens de l’orchestre, on veut bien excuser les abus involontaires de langage d’un violoncelliste quand il parle de Schumann en tant que compositeur emblématique du «Sturm und Drang» en musique, mais il aurait mieux valu faire disparaître ce genre d’énormité musicologique au montage.
Oublions donc l’intérêt de la parution en tant qu’objet de vulgarisation, d’un impact proche du nul. En revanche, pour analyser ce qu’il faut bien appeler aujourd’hui le « phénomène Nagano », ce document est plus intéressant. Les quelques années passées par le chef américain à la tête du Deutsches Symphonie-Orchester Berlin ont été couronnées de succès, les rapports avec l’orchestre s’étant révélés excellents, tant sur le plan humain que sur le plan de la qualité sonore d’un ensemble qui a manifestement progressé. Une réussite qui a beaucoup favorisé l’évolution ultérieure de la carrière de Kent Nagano, nommé à présent simultanément directeur musical de l’Opéra de Munich et chef titulaire de l’Orchestre de Montréal.
Assister, même à quelques bribes, d’un travail de répétition de Kent Nagano se révèle très instructif, permettant de découvrir les rapports de confiance qu’il sait entretenir avec un orchestre de haut niveau. Une sorte d’estime mutuelle qui transparaît aussi dans les interviews des musiciens, respectueux mais aussi très conscients d’être respectés par le chef en tant qu’artistes complets. Ici on apprend à respirer ensemble et à s’écouter mutuellement, voire à traquer les réflexes de routine, ce qui ne peut s’avérer que bénéfique dans une phalange d’élite. Ce qui gêne bien davantage dans ce travail, ce sont les constantes invitations du chef à des phrasés minimaux, visant à éliminer de nombreux accents en vue d’un jeu plus naturel mais aussi plus étale (la démonstration faite par le jeune clarinettiste solo est à cet égard très instructive). Ce travail semble ne viser qu’un influx rythmique aussi peu brutal que possible, toutes les attaques semblant arrondies et beaucoup d’aspérités limées. Ce n’est pas déplaisant, et l’expérience actuelle de Kent Nagano lui permet de toute façon d’éviter les dérives glaciales que ce genre d’attitude suscitait immanquablement dans ses interprétations il y a encore quelques années. Cela dit, ces méthodes de gourou new age ont aussi leurs limites, aboutissant à une relative standardisation quelque soit le répertoire abordé.
A l’intérieur des seuls cinq mouvements de la Symphonie « Rhénane », cette absence de variété dans l’approche gêne déjà. L’orchestre semble exalté dans tout ce qu’il peut produire d’humainement intéressant, les musiciens, majoritairement jeunes, semblant très soucieux de donner le meilleur d’eux-mêmes. Mais manque une intensité que seul un chef capable d’imposer une démarche véritablement volontaire pourrait trouver, en particulier dans un 4e mouvement qui reste émotionnellement lisse.
Quant à la réalisation filmée, qui abuse de caméras tournoyantes et de travellings au triple galop, elle donne rapidement le mal de mer, a fortiori par rapport à une interprétation qui paraît encore plus bizarrement neutre quand elle est filmée d’une façon aussi agitée. Curieuse parution, dont on peut chercher longuement l’intérêt, sans le trouver vraiment.
Laurent Barthel
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