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10/14/2007 Airs d'opéras de Bellini, Bizet, Massenet, Puccini, Rossini & Verdi. Extraits de concerts 1957-1965 et d’entretiens 1965-1969. Orchestres dirigés par Georges Sébastian, Nicola Rescigno, Georges Prêtre et Carlo Felice Cillario. Maria Callas (soprano).
Enregistré à Rome, Paris, Hambourg, Londres – 146’.
EMI 50999 5 00720 9 5. Format : 9.
Rien de tout cela ou presque n’était inconnu des admirateurs de Maria Callas, du premier récital parisien de 1958 à la Tosca de Covent Garden en 1965, en passant par les concerts hambourgeois de 1959 et 1962 : seul le concert du nouvel An romain de 1957, proposé en bonus, constitue un inédit. Mais on est heureux de pouvoir visionner, chez soi, ces irremplaçables documents. Ils donnent une idée, sinon exhaustive, du moins assez fidèle du répertoire de la diva, en particulier dans deux emplois - il manque Traviata - où elle s’est érigée en véritable figure mythique de l’art lyrique : Norma, Tosca, cette dernière constituant le seul exemple tiré d’une production sur scène. Scène ou concert, c’est d’ailleurs la même présence, la même intensité, le même investissement dans chaque rôle, avec ces gestes connus, des bras ou des mains, appris sans doute auprès de Luchino Visconti. Avec ces expressions aussi, qui d’emblée situent un personnage à un moment donné de son itinéraire, qu’elle l’ait ou non chanté sur scène : Carmen, Chimène, Manon, abordées au seul disque, sont présentes, vivantes, témoignant d’un don inné pour la caractérisation, avec une sobriété, une concentration remarquables. Peut-être est-ce là, justement, où elle n’est livrée qu’à elle-même, qu’on la trouvera la plus authentique. On aura d’ailleurs beau jeu de dire qu’un metteur en scène ne la dirigerait plus ainsi aujourd’hui : à l’époque, c’était assez inouï – aussi inouï de ce que faisait faire, dans un autre répertoire, un Wieland Wagner.
Vocalement, on connaît la force et les faiblesses de ces témoignages, qui correspondent plutôt à la seconde partie de sa carrière, lorsque la voix accuse parfois un vibrato dangereusement élargi et des laideurs dans l’aigu. Cela dit, méfions-nous de la chronologie : si le concert romain ne la flatte guère dans « Casta diva », si le récital parisien de 1958 – le trac de la première apparition dans la capitale, peut-être - la révèle prudente, pas très stable dans Le Trouvère, mais irrésistible en Rosine, un an plus tard, à Hambourg, les choses vont beaucoup mieux, avec un « Tu che la vanita » de Don Carlo et une scène finale du Pirate superbes de ligne, de noblesse, de couleurs. En 1962, toujours à Hambourg, la trame s’est usée, mais personne n’a chanté ainsi la douleur de Chimène, personne n’a fait ainsi de Carmen un oiseau carnassier des ténèbres, personne n’a crié ainsi la douleur du remords dans « O don fatale » - même si on sent cette Eboli au bord de la rupture. Mais cette voix rebelle, à force de travail, restait toujours dominée, finissait par plier, à force de travail, sur le timbre, sur le legato, au point de retrouver parfois, au-delà de ses failles, une fraîcheur inattendue : en 1965, Manon, Anina, Lauretta en témoignent. Manon, comme Chimène ou Carmen, montre de surcroît une affinité profonde avec le style français, en particulier un art assez rare de la déclamation, alors que l’adieu à la petite table, dans sa simplicité presque nue, est une chose très difficile à chanter pour une cantatrice.
Les témoignages – Carlo Maria Giulini, Giuseppe di Stefano, Franco Zeffirelli entre autres -, les entretiens sont passionnants. Plus que ceux avec Bernard Gavoty en 1965, on prisera ceux avec lord Harewood en 1968, où Callas montre le travail d’approfondissement accompli sur chaque rôle, mais surtout ceux avec Pierre Desgraupes en 1969. Confession poignante d’une artiste aussi humble qu’exigeante, avouant ne pas aimer sa voix, ne pas s’aimer elle-même, entretenant presque un rapport de détestation masochiste avec soi, qui a attendu quatre ans avant de réduire au silence une voix qui ne lui répondait plus. Elle avait ensuite tout repris à zéro avec son ancien professeur Elvira de Hidalgo, enregistré la moitié d’une Traviata, qu’elle devait chanter à l’Opéra de Paris pour son retour sur les planches, guidée, comme en 1955 à la Scala, par son cher Visconti. L’enregistrement ne la satisfaisait pas, elle ne fut pas Violetta au Palais Garnier. La star adulée des médias, la proie de la presse people - victime consentante ? - devient presque, dans sa grandeur et dans sa solitude, une figure tragique.
Le DVD – EMI propose parallèlement un album de deux CD – porte bien son titre : oui, Callas est éternelle. Insaisissable aussi : Carlo Maria Giulini se demande qui elle était. Quand on la voit chanter à Covent Garden la prière de Tosca, cantatrice elle aussi, on ne sait plus très bien où est Tosca et où est Callas : toutes deux n’ont-elles pas vécu « d’art et d’amour » ? Mais, trente ans après sa mort le l6 septembre 1977, le mystère, s’il y en a un, est aussi ailleurs : quelle était, au juste, la voix de Callas ?
Didier van Moere
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