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09/28/2007 "The Golden Ring", L'enregistrement de Götterdämmerung, Decca 1964
Birgit Nilsson (Brünnhilde), Claire Watson (Gutrune), Wolfgang Windgassen (Siegfried), Gottlob Frick (Hagen), Dietrich Fischer-Dieskau (Gunther), Wiener Philharmoniker, Georg Solti (direction)
Enregistré à Vienne (1964) – 2x88'
Decca 074 3196 Format d'écran : 4/3, noir et blanc. Code région : 0.
Ce film tourné par la BBC à Vienne en novembre 1964 à l’occasion de l’enregistrement du Crépuscule des Dieux par l’équipe Decca de John Culshaw et Gordon Parry est un grand classique de l’histoire du disque wagnérien, que l’on avait déjà pu voir sur Laser Disc, puis sur une première édition DVD. Cette fois les photos du boîtier ont changé mais le contenu reste rigoureusement le même, y compris la toujours agaçante omission des sous-titres.
Sous prétexte que le film est proposé en deux versions successives, anglaise et allemande (les montages sont d’ailleurs différents pour les deux versions : à l’occasion du changement de langue les interviewés ne disent pas exactement les mêmes choses…), l’éditeur s’estime quitte de toute autre forme d’accessibilité. Voilà donc de nombreuses nationalités condamnées à se révéler polyglottes… Pourquoi pas, après tout, puisque Wagner n’est effectivement accessible dans sa vérité première qu’aux germanistes (propos délibérément provocateur, mais certainement pas faux) ! Cela dit, compte-tenu des facilités offertes aujourd’hui par le DVD en matière d’accessibilité de produits audio-visuels dans toutes les langues possibles, une telle lacune éditoriale relève surtout de la désinvolture inexcusable.
Si ce film portait sur un autre sujet, ses allures de «making of» bien ficelé mais en aucun cas original en feraient un produit secondaire et démodé. Mais là, il est évident que voir Birgit Nilsson, Wolfgang Windgassen, Gottlob Frick ou le tout jeune Dietrich Fischer-Dieskau face aux micros dans de larges extraits de Götterdämmerung (on a évité de mutiler les prises musicales : ce sont de vrais extraits), ou encore découvrir ces artistes hors séances, dans leur simplicité quotidienne (ah, les éclats de rire dévastateurs de Birgit Nilsson !), reste d’une importance patrimoniale considérable pour tout wagnérien passionné. De même le discophile sera très intéressé par toutes les coulisses techniques d’un enregistrement de studio particulièrement sophistiqué pour l’époque, et qui garde d’ailleurs valeur de référence aujourd’hui, avec certaines particularités qu’on ne comprend vraiment bien qu’en regardant ce film. Il est curieux de constater que les conceptions de Georg Solti, souvent tenues pour froides voire un rien bruyantes dans ses Wagner et Strauss de studio, passent par une gestique aussi délirante, qui emporte tout le corps du chef dans des postures improbables (l’image plus récente que l’on garde habituellement de Solti, pourtant guère sobre même sur le tard, n'a presque rien de comparable à ces déchaînements volcaniques). L’impression artificielle suscitée par ces enregistrements (et qui s’est d’ailleurs beaucoup atténuée sur leur ultime report en CD) était en fait surtout liée à la technique de prise de son, sans doute trop en avance par rapport aux supports analogiques de l’époque. Solti, loin de toute prise de distance, se révèle au contraire un prodigieux meneur, susceptible de relativiser la froideur d’un studio en y remplaçant la présence physique de tout un public. A ce degré de défonce, c’est même assez sidérant.
Et puis il y a aussi autour de ces prises réalisées dans la fameuse Sofiensaal toute une ambiance prégnante : les images noir et blanc d’une Vienne décrépite qui se remet mal de la guerre, voire d’être passée brutalement du rang de métropole européenne centrale à celui de cul-de-sac du monde démocratique occidental. Des pages d’histoire ô combien réalistes sur une époque humainement et artistiquement révolue, immortalisées par un très grand documentaire. Patrimonial et indispensable.
Laurent Barthel
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