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08/21/2007 Leoš Janáček : Jenůfa Viorica Cortez (Stařenka), Jorma Silvasti (Laca), Pär Lindskog (Števa), Eva Marton (Kostelnička), Nina Stemme (Jenůfa), Rolf Haunstein (Stárek), Orchestre et Chœur du Gran Teatre del Liceu, Peter Schneider (direction), Olivier Tambosi (mise en scène)
Enregistré à Barcelone les 27 mai & 2 juin 2005 – 127’
TDK DVWW-OPJENU. Format : 16/9. Region code : 0 (worldwide) (distribué par Intégral)
« Une pierre m’écrase », chante Jenůfa dans son sommeil au deuxième acte. Sur la scène, justement, une pierre énorme, ressemblant à un fœtus. Au troisième, des pierres disséminées, qui peuvent servir à sa lapidation. La pierre, c’est le poids du péché, du remords. Le décor de Frank Philipp Schlössmann est donc symbolique : rien à voir, ou presque, avec le pittoresque de l’opéra paysan. Le champ de blé sur lequel ouvrait, au début, le décor de planches est dévasté au troisième acte : tout est mort, comme l’enfant de Jenůfa. Olivier Tambosi, dont Hambourg et Londres ont découvert le travail avant Barcelone, campe des personnages rongés par la souffrance des mal aimés, toujours au bord de la folie. Du beau travail, qui fait du premier opéra important de Janáček un huis clos oppressant. Les chanteurs, dirigés avec une remarquable précision, s’avèrent de superbes comédiens, la frontière entre l’opéra et le théâtre disparaissant presque totalement. La mère et la belle-fille, en particulier, font du deuxième acte un grand moment d’intensité à peine soutenable, la seconde faisant souvent penser à une sorte de Marguerite tchèque, victime désignée de la cruauté d’une société.
Eva Marton, du coup, fait oublier par son impressionnante composition son délabrement vocal et les carences de sa technique. Ce n’est pas la première wagnérienne à se recycler, une fois l’âge venu, en Kostelnička, rôle pourtant difficile vocalement, d’authentique soprano dramatique et qui demande à être chanté : Martha Mödl, Astrid Varnay, Leonie Rysanek ou Anja Silja l’ont fait avant elle. A ceci près qu’elle ne les a jamais égalées et qu’elle accommode les restes de ce qui a toujours été, à tout point de vue, rudimentaire. Il n’empêche : cette Kostelnička vous prend aux tripes. Nina Stemme confère à Jenůfa la lumière blessée de ce timbre, dont elle fait un peu un double de cette Elisabeth de Tannhäuser qu’elle incarne si bien – deux figures du pardon, après tout. Elle aussi est impressionnante, mais elle est stylée, avec une voix homogène à défaut d’être stable, un art de la ligne appris chez Wagner et Strauss, qui lui permet de soutenir de longues phrases en habitant le texte. Ce rapport très particulier entre le mot et la note rend Janáček très difficile : c’est là où la chanteuse est remarquable. Viorica Cortez ne l’est pas moins, encore debout vocalement, fascinante quand elle tourne en rond avec sa canne blanche, aveugle voyante, figure de tragédie antique : comme Astrid Varnay hier, elle n’a pas besoin de chanter pour qu’on la regarde. Pär Lindskog est parfait en bellâtre ivrogne et veule, mais on retiendra davantage le Laca de Jorma Silvasti, familier d’un rôle qu’il a chanté à Londres et à Vienne, balourd éperdu, voire cruel, au début, puis salvateur à la fin, pour la force et la subtilité de sa composition, son aisance à maîtriser un rôle difficile, exigeant une parfaite soudure des registres, l’aigu n’étant guère épargné.
Un point faible cependant : la direction de Peter Schneider, chef de répertoire plutôt spécialisé du répertoire germanique, habitué de Munich et de Vienne, parfois hôte de Bayreuth, compétent mais routinier, sans la moindre imagination, ne rendant guère justice à la modernité et aux raffinements de l’orchestre de Janáček, qu’il germanise – au mauvais sens du terme – fort mal à propos. Cela dit, comme le spectacle est très fort, on finit par s’en contenter.
Didier van Moere
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