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11/18/2002 Wolfgang Rihm : Tutuguri Orchestre symphonique de la SWR, Fabrice Bollon (direction) Hänssler Classic CD 93.069 (2 CD)
Créé en 1982, Tutuguri de Wolfgang Rihm aura attendu vingt ans pour bénéficier d’un enregistrement et atteindre ainsi un public plus vaste que le concert. L’œuvre détonnait sans doute trop à cette époque où les chapelles demeuraient encore incontournables et, pour certaines, imposaient leurs goûts aux institutions. A 30 ans, Rihm effaçait d’un revers de la main les oppositions factices entre élaboration de l’écriture et plaisir sensuel du son, rigueur de l’expression et force primale, archaïque, cohérence du style et inventivité débordante. Cet art de la synthèse entre la richesse de l’écriture et la pure sensualité du son se retrouve dans toute l’œuvre du compositeur, mais il atteint ici un accomplissement prométhéen, une force prodigieuse, un impact sonore rarement approché. «Musique réflexe» comme la définit Rihm, musique d’un film de suspens constitué d’une seule course-poursuite haletante, musique panique d’un effroi absolu (devant «L’abolition de la Croix», selon un vers du poème d’Antonin Artaud qui sert de source à l’œuvre)... D’où Wolfgang Rihm tire-t-il cette puissance incroyable ? On imagine les cris d’indignations des apothicaires du sérialisme et des peintres spectraux du dimanche et l’on comprend que la France du attendre vingt ans pour découvrir cette œuvre fascinante (lire ici). Après une première partie d’une heure vingt mobilisant tout l’orchestre (ainsi, pour un court moment, qu’un chœur et un récitant), la seconde partie décante et condense la musique en ne faisant appel qu’aux percussions, mais la force d’inspiration reste sidérante et fait de Tutuguri une expérience artistique inoubliable.
Philippe Herlin
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