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06/12/2002
Camilla De Rossi Detta Romana (fin 17 ème, début 18 ème Siècle) : Oratorio S.Alessio

Graham Pushee (Alessio), Rosa Dominguez (Sposa), Agnieszka Kowalczyk (Madre), William Lombardi (Padre)
Ensemble Musica Fiorita, direction : Daniela Dolci.
1 CD Pan Classics, 2001, n° 510 136.






Une énigmatique symphonie mystico-fantastique, une envoûtante Musique des aurores, des brumes ou des harmonies célestes … Autant de substantifs qui peuvent à merveille s’appliquer à cet oratorio insolite. Et de louer cette nouveauté - premier enregistrement mondial - pour deux raisons majeures : d’abord il s’agit d’une rareté absolue, de plus, Camilla de Rossi est un cas passionnant : compositrice « clandestine », visionnaire, marginale, dotée d’une extrême sensibilité.


En outre, sa vie, l’histoire de ses origines, sa formation musicale, sa mort s’entourent d’un épais voile d’impénétrable mystère. Impossible de le transpercer, tout comme il est difficile d’identifier l’écriture polystylistique de cette inconnue . Avançons même une spéculation iconoclaste…C’est par hasard qu’elle pourrait avoir séjourné dans les années 1710 (Alessio est le quatrième et dernier oratorio d’une série, composés entre 1707 et 1710) tant cette magistrale partition regorge de beautés fulgurantes tournées vers un horizon futuriste.


Le choix de la thématique retenue n’est pas innocent. Cette cantate dramatique, ce faux opéra séria sacré, ce vaste cantique ou psaume lyrique, retrace l’itinéraire hors du commun d’Alexis, un beatus vir qui aspire à une vie terrestre normale et reçoit brutalement l’injonction divine de renoncer aux vils plaisirs humains, pour épouser une existence ascétique. Il quitte famille et fiancée, pour revenir un jour, appauvri et incognito ; ce n’est qu’à l’instant ultime de sa désincarnation, qu’il sera reconnu des siens. Une mise à l’épreuve s’appuyant sur le fondement idéologique tiré des Béatitudes : « heureux les simples, car ils verront Dieu ».


Quid de l’esthétique hors-normes de la très douée Camilla ? Elle se situe quelque part entre Monteverdi, Gluck, et le tintinnabulant Arvö Part avec quelques mélismes pré-mozartiens ! Explorant les arcanes secrets du sentiment humain, la musicienne récuse toute foi lisse, linéaire, bigote, ancrée dans un manichéisme étriqué ou les certitudes absolues. Chaque protagoniste –les parents, la fiancée – jusqu’au saint lui-même ,clame ses doutes, ses interrogations, failles intimes et ses conflits intérieurs. Un exemple lumineux : la douce et fulminante aria « Cielo, pietoso Cielo ». L’on passe, et ce, très abruptement, du fa à si bémol majeur, de l’imploration sereine à un air rageur de vengeance, et de façon spectaculaire, tel l’éclair avant la foudre, la ligne de chant se broie en spasmes torturés et se métamorphose en houle tempétueuse, écumante (superlative Rosa Dominguez) . C’est une géniale anticipation à la fois du premier récitatif d’Illia « quando avran fine omai » d’Idomeneo, modèle de simplicité élaborée, des trois arie d’Electra de la même œuvre et de ce déferlement de désespoir déversé par Cassandre, l’héroïne du grand Hector dans l’aria du premier acte des Troyens « non, je ne verrai pas la déplorable fête ».


Plus haut, l’aria bouleversante de la Mère : « Non è mai sereno il ciglio » déploie une magnifique prémonition musicale du personnage de Zaïde de Mozart. La comparaison n’est d’ailleurs pas déplacée, le timbre virginal d’une pureté immaculée d’Agnieszka Kowalczyk évoquant étonnamment celui de Lynne Dawson qui le chanta jadis divinement. Déjà l’« Introduttione » laisse présager le chef d’œuvre : Une mélodie tendre, humble, enrobe l’Adagio dont les fines couleurs transparentes suggèrent les premières mesures d’Amahl et les visiteurs de la nuit ,exquis conte pastoral de Noël de Menotti.


Mais le passage le plus troublant de la partition réside dans l’aria au lyrisme cosmique « Duol sofferto per amore » d’Alessio à la tonalité quasi disloquée, avec le théorbe en soliste et des cordes extatiques en état de grâce. L’esprit du saint, dégagé de la Terre vogue au dessus d’une immensité ennuagée et se transmute alors en une parcelle d’éternité.


Il est presque redondant, tant cette évidence s’impose, telle une clarté d’une blancheur aveuglante, de saluer les artisans-mandarins merveilleux de cette résurrection exemplaire . Au plan musicologique et avec l’Ensemble Musica Fiorita, l’on attend avec une impatience non dissimulée une nouvelle moisson du Ciel, jaillie du monde extraordinaire de Camilla de Rossi.



Etienne Müller

 

 

 

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