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05/06/2002


Si c'est terre-à-terre, c'est la faute à Rousset...



François Couperin : Les Goûts-réünis, ou Nouveaux Concerts.



Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (clavecin et direction).

2 CD Decca-Universal, en boîtier plat, 2002, n° 0 28945 82712 4.

Durée totale : 2h 18' 38". Présentation ordinaire.




« A mon égard, j’ay toujours estimé les choses qui le méritoient, sans acceptation d’Auteurs, ny de Nation ».


[François Couperin, dit le Grand (1668-1733).]



Ces paroles du maître de Saint-Gervais anticipent sur le « je suis Homme par nature, et Français par hasard » de Montesquieu, quelques décennies plus tard. De surcroît, elles entérinent la valeur humaniste (bien au-delà d’une technicité ou d’un didactisme froids) d’un musicien fabuleux, aujourd’hui encore peu considéré dans le domaine de l’affectif. Le recueil des Goûts-réünis (sic), ou « Nouveaux Concerts », commence par le... numéro six. Filiation voulue et patente avec le corpus des Concerts Royaux, conçus pour la Chapelle de Versailles, et – on l’aura deviné – au nombre de cinq.


Pourtant, depuis la première série, les choses ont évolué. Le Roi-Soleil s’est éteint dans les plus mortifères fumerolles qui se puissent imaginer pour un tel souverain ; et cependant que le terreau français semble exsangue et sans avenir, Couperin se propose des semailles artistiques d’une importance capitale dans l’évolution de la musique - révolutionnaires, et tout entières comprises dans le titre. Préfigurant, une fois de plus, le génie de Bach, le surdoué de la lignée fait de la musique buissonnière, par le biais du contrepoint transfrontalier.


Plus exactement : par goûts réunis, il faut entendre une recherche d’une synthèse (et d’un équilibre) entre les styles français et italien. Des pages très variées en volume et en structure, des titres badins ou sibyllins ; pour une somme sans peu d’équivalent dans la construction de la Suite de Danses (de laquelle découlera, rappelons-le, la Symphonie). Empruntant des liqueurs également enivrantes, et les fondant dans l’alambic, de part et d’autre des Alpes.


De part et d’autre des Vosges, même : des Allemandes figurent aussi dans l’ordonnancement des mouvements ! Pour Bach, on l’a dit, la voie était tracée dans la recherche de cette accrétion des tendances française, italienne et germanique (les quatre Suites, la Klavierübung...). Et c’est pourtant dans le même Hexagone que le "Florentin" (Lully) fut accueilli avec suspicion ; et que des batailles rangées firent rage entre tenants d’un camp ou d’un autre, jusqu’à... Jean-Jacques Rousseau (Le Devin de Village)!


C’est, par conséquent, un travail de profonde acculturation que commet François Couperin. Il intitule son Neuvième Concert « Ritratto dell’Amore » (portrait de l’amour, tout un programme) ; en écrivant d’autant plus serré et complexe, que les parties instrumentales sont volontairement floues. Quelques réminiscences des Ordres ou des Leçons de Ténèbres sont même perceptibles. Bref : une pierre de touche. Un peu comme les Brandebourgeois, ou les Concerts « en Sextuor » de Rameau.


Pour pétrir une glaise aussi géniale – osons le mot –, il nous faut un maître chanteur, maître sonneur : un maître sculpteur. Après le court émerveillement dû au fruité des instruments (en net progrès, vraiment ; il faut savoir l’admettre) Christophe Rousset démontre - une fois de plus - qu’il ne sera jamais le Rodin du baroque (¹). La maison Decca n’est guère inspirée de se l’attacher avec tant d’acharnement, sauf à avoir été hypnotisée – mais par quoi ? Soporifique à l’opéra (Haendel, Jomelli ou Mozart – comparez son Mitridate avec la vidéo… Decca [!] d’Harnoncourt ; puis laissez pleurer vos yeux, et tomber la triste rosée) ; il est métronomique au clavecin (Couperin naguère, Rameau jadis - l’entendre après Olivier Baumont est un crève-cœur). Voilà qu’il réussit la passe de trois, en se confirmant... sédatif, dirons-nous, à la direction d’un petit ensemble.


Dont le nom, sous un tel manque de houlette, confine à l’abus de langage ! Comment lire sans rire le sous-titre « dans le goût théâtral » du Huitième Concert, dès lors qu’on nous y débite onze mouvements sans qu’aucun ne se démarque de l’autre, ne serait-ce que par une pointe de licence, une pincée d’audace, un zeste de parti pris ? Comment succomber à ce fameux « portrait de l’amour » ; statique et momifié, tel une danse des sept bandelettes ?


Fier de son érudition, Rousset s’étale en double page dans le dernier Point Classique (magazine promotionnel d’Universal). Il y brosse avec narcissisme sa connaissance de la peinture, en citant Watteau ; ses affinités prétendues électives avec la vie et l’œuvre de Couperin, par moult détails. Qu’il soit impuissant récidiviste, à demeurer, au pied du mur, maçon ne donnant ni vie ni mouvement à la bâtisse : voilà qui reste un mystère insondable.


Un Hervé Niquet, un Hugo Reyne, une Emmanuelle Haïm sans doute, sentiraient d’entrée de jeu, et la science et le cœur, comme la joie et l’apparat, de cette Musique - l’être sous le paraître, si l’on veut. Et en rendraient la multiple splendeur : espiègle, parce que cruelle. Dans les années soixante-dix, avec des instruments bien moins originaux, un Marcel Couraud faisait beaucoup mieux, d’instinct, en ce répertoire dix-huitiémiste. Et lui vivait, avec le même instinct, la musique contemporaine – passage obligé, à défaut d’être obligatoire.


On devrait logiquement apprendre avec effroi, dans cette même interview complaisante, que les Pièces en Concert de Rameau – enregistrées entre autres par Couraud précisément – figurent parmi les futurs larcins qu’envisage Christophe Rousset. Mais, même à l’occasion du prochain Halloween, comment avoir peur d’une ombre ?



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(¹) Il approche d’un enregistrement intégral de l’œuvre de Couperin : non, la vie n’est pas un songe…




Jacques Duffourg

 

 

 

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