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04/10/2002

Cécile Chaminade, une grande Dame de Monte-Carlo.


« Mots d’Amour » ; Mélodies et œuvres de Cécile Chaminade (1857 – 1944).


Vingt-quatre mélodies pour voix et piano. Une mélodie pour voix, violon et piano.


Trois pièces pour violon et piano : Sérénade Espagnole, Rondeau, Capriccio.

Trois pièces pour deux pianos : Valse carnavalesque, Pas des Cymbales, Danse païenne.




Anne-Sofie von Otter, mezzo-soprano ; Bengt Forsberg, piano ; Nils-Erik Sparf, violon ; Peter Jablonski, second piano.


1 CD DGG, 2002, n° 0 28947 13312 4. Présentation originale et luxueuse, documentation très complète, textes intégraux.




Mary Garden, la créatrice cette Mélisande que devait recontrer en 2000 Anne-Sofie von Otter pour la postérité (3 CD Naïve, direction Haitink, sommet de la discographie), termina ses jours à Monte-Carlo (plus exactement à Peille, village voisin) ; de manière plus calme, certes, que la Dame monégasque de Francis Poulenc, et entourée de tous les honneurs. Ce fut ce qui manqua à la compositrice Cécile Chaminade, dont la vie s’acheva assez tristement sur les mêmes bords de la Grande Bleue un jour de 1944. Cette indifférence – il est vrai que la Guerre vivait des moments cruciaux – peut expliquer la quasi-disparition de ce nom des mémoires ; alors que celui de Germaine Tailleferre, somme toute moins fécond et probablement grâce à l’effet Groupe des Six, y survit encore.


La mezzo suédoise et son complice Bengt Forsberg font partie de cette race de musiciens qu’on nommerait seigneurs, si le mot n’avait une connotation de caste – quand tous leurs efforts tendent à mieux faire connaître à tous, des pans entiers de répertoire occulté, voire disparu. Korngold, Peterson-Berger, Stenhammar, Spohr, Meyerbeer, Hahn en dialecte vénitien… Rien ou presque n’échappe à leur curiosité, à leur insatiable appétit de raretés. Et à chaque tentative : réussite au rendez-vous, tant sur le plan purement documentaire que quant à la mise en forme musicale. Chaminade, donc. Prénom : Cécile, prédestiné pour une future musicienne ! Nom : quasiment inconnu des dictionnaires.


Pourtant, elle fut en son temps une pianiste mondialement renommée. Et très populaire en Angleterre ainsi qu’aux États-Unis. Pays d’où est venue sa renaissance universitaire ; la France comme à son habitude, dédaignant avec le plus grand soin son propre patrimoine musical. Bengt Forsberg écrit avoir remarqué sa musique dès la fin des années 1970 (notice jointe au CD). L’œuvre est globalement homogène, et bien répartie tout au long d’une vie fort étendue. Un opéra, La Sévillane, un ballet, Callirhoë - qui connut même la gloire du Met’ de New-York – se détachent d’un corpus essentiellement dédié à la mélodie.


De nombreuses poétesses figurent parmi les auteurs des textes. Comment s’en étonner, quand la musicienne, née pendant le Second Empire, aura vécu les trois conflits franco-allemands, avec leurs cortèges de victimes, mais aussi de décideurs masculins ; cependant que les femmes, au ban et à l’arrière-ban, furent si souvent réquisitionnées comme logistique de la canonnière ? Ayant connu la maturité du temps des suffragettes, on peut regretter qu’elle soit décédée… un an avant l’octroi du droit de vote aux femmes en France (1945).


« Vestale de la musique » de sa propre confession, peu portée à l’emphase – à l’exception du fameux Anneau d’Argent -, la voici qui travaille, sur des vers sans doute inégaux (mais se tournant parfois vers Ronsard, tout de même !) bien davantage le fusain, le camée ; que le bas-relief ou l’eau-forte. Masque comme bergamasque, l’écriture pianistique est ourlée avec une finesse et une sensibilité au coloris stupéfiante. Que son très léger aîné Jules Massenet, si grand homme de théâtre devant l’Éternel, ne sut jamais trouver dans la mélodie proprement dite, il faut l’avouer. En revanche, on pressent bien souvent du Reynaldo Hahn – et du meilleur (A Chloris, Fêtes Galantes…) -, voire du Obradors, mâtinés d’une sensiblité toute fauréenne, dans ce halo ; dont Bengt Forsberg s’acquitte, c’est devenu une coutume, avec le plus grand brio.


Ce florilège qui va butinant, comme l’indique le titre de l’album, les aspects les plus frivoles ou les plus grandiloquents de l’amour, virevolte sans s’apesantir de la prime amourette à la séparation macabre. Plus importe à Cécile Chaminade, dans une écriture vocale guère facile, le trait, l’affect – qui ne durent pas – que l’épanchement cyclique. Des tons Belle Époque répondent à des faux-fuyants Années Folles. Des pièces eussent pu être chantées par Yvette Guilbert, d’autres par Ninon Vallin. Avec une constante : une sollicitation importante de l’aigu. Sans problème a priori pour Anne-Sofie von Otter, dont la voix n’est plus centrale depuis belle lurette, et qui s’est considérablement éclaircie (trop même, dans l’Ariodante de Garnier !) avec les années.


On reconnaît les plus grands artistes de leur temps, telle une Callas, à leur manière de contourner les périls pour en faire des titres de gloire. Toute autre eût été handicapée par cet aigu, justement, qui a beaucoup perdu de sa stabilité et de sa netteté, surtout dans les forte. Elle, non. Coutumière sans peu d’équivalente de notre répertoire, elle se joue des difficultés phonétiques et sémantiques ; donne du sanglot à bon compte, de l’accent canaille – ou du petit frisson de cousette avec une aisance à en perdre la tête. Le défaut purement technique signalé plus haut, de nécessité à vertu, est toujours mis au service de cette pointe d’outrance, sans quoi ces pages seraient peut-être portée morte.


C’est, une fois de plus de la part de la si éclectique et si francophile Suédoise, une véritable leçon. On a presque honte d’imaginer que cette chanteuse, peut-être la plus originale, la plus douée, la plus subtile de sa tessiture et de son temps ; souffre aujourd’hui de se lire comme une minus cantans dans les écrits de certains de ses auditeurs de l’Hexagone. Musicienne complète de surcroît, elle n’hésite pas à laisser la place aux instruments – comme dans le coffret Korngold – pour des partitions en duo (piano-violon, deux pianos) qui sont tout, sauf des compléments de programme. Un Saint-Saëns, un Stravinsky même feront-ils mieux que le Pas des Cymbales ou la Danse Païenne ?


Merci, Madame Von Otter, de nous offrir avec cette voix désormais différemment jeune, un nouvel aperçu d’une versatilité et d’un talent qui font mouche et désarment à chaque fois ; cette même intuition du chanter vrai. Et de composer, pour notre plaisir de mélomanes, dans la langue de Ronsard, votre version de l’Ode à sainte Cécile. Demeurez parmi nous longtemps de grâce, et revenez souvent en France !

www.deutschegrammophon.com/vonotter-chaminade



Jacques Duffourg

 

 

 

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