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11/16/2025 Johannes Brahms : Ouverture tragique, opus 81 [*] – Symphonie n° 1 en ut mineur, opus 68 Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko (direction)
Enregistré en public à Berlin (14‑16 février 2024 [*] et 17‑19 septembre 2025) – 55’55
Berliner Philharmoniker Recordings BPHR 250561 – Notice (en anglais et en allemand) de Peter Gülke et Maren Goltz
Sélectionné par la rédaction

Johannes Brahms fait, depuis longtemps, partie de l’ADN de l’Orchestre philharmonique de Berlin : de fait, et même si le compositeur allemand ne figure pas au centre de son répertoire de prédilection, il était difficile pour Kirill Petrenko, son actuel directeur musical, de passer à côté de son œuvre, qu’il a finalement déjà souvent pratiqué. Ainsi, outre les deux œuvres présentées dans le cadre de ce disque, on peut noter la Quatrième Symphonie (donnée lors du concert d’ouverture de la saison 2020‑2021 de l’orchestre, reprise en novembre 2023 tant à Berlin que lors de la tournée asiatique effectuée par les Berliner dans la foulée), la Deuxième Symphonie en janvier 2022, le Second Concerto pour piano (avec Sir András Schiff) quinze jours plus tard, et les Variations sur un thème de Haydn en janvier 2023. On aurait donc pu penser qu’une potentielle Troisième Symphonie jouée dans les mois à venir offrirait une occasion de présenter l’intégrale des symphonies mais le présent disque a pris les devants en permettant à tout un chacun d’écouter notamment une Première Symphonie donnée il y a deux mois à peine, à la Philharmonie de Berlin dans le cadre de la Musikfeste 2025 après avoir fait le concert d’ouverture de la saison fin août.
Alors que la Première Symphonie (1862‑1876) a été créée en 1876, l’Orchestre philharmonique de Berlin ne s’en est emparé pour la première fois que le 27 novembre 1885 sous la baguette du bien oublié Karl Klindworth. Depuis, l’orchestre l’a jouée à de multiples reprises sous les plus grandes baguettes, à commencer par ses divers directeurs musicaux. Au disque, Furtwängler (le célèbre enregistrement berlinois du 10 février 1952 au Titiana Palast, publié notamment chez Tahra), Karajan à maintes occasions (tant en studio, à deux reprises, qu’au concert, la troisième intégrale étant constituée d’enregistrements tous pris sur le vif, sans compter les enregistrements vidéo ou publiés ici ou là comme ce fantastique coffret édité par l’éditeur canadien St‑Laurent Studio qui nous permet d’entendre les quatre Symphonies données les 2 et 3 juin 1975 au Théâtre des Champs‑Eysées), Abbado ou Sir Simon Rattle (une intégrale est parue chez EMI). Mais n’oublions pas non plus les versions majeures gravées avec le même orchestre par Karl Böhm et Eugen Jochum (tous deux chez Deutsche Grammophon), entre autres.
Inutile de s’étendre là-dessus mais la version Petrenko tourne largement le dos à cette esthétique allemande qu’Abbado avait préservée et que Rattle avait commencé à abandonner. Certes, les cordes restent envoûtantes, les contrebasses jouent à plein mais l’appréhension générale de la symphonie est nouvelle. Dès l’entame du Un poco sostenuto, l’orchestre avance avec une puissance admirable digne des glorieux ancêtres de Petrenko mais l’Allegro opte pour franche clarté sonore où le geste du chef se fait un peu plus raide (à partir de 3’20), les éclairages mettant particulièrement en exergue la petite harmonie (clarinettes et bassons notamment) au détriment d’une couleur et d’une appréhension d’ensemble, qui plus est généralement plus sombres. Ce premier mouvement n’en demeure pas moins une totale réussite dont la fin crépusculaire laisse l’auditeur pantois. Le deuxième mouvement (Andante sostenuto) se caractérise par la grande liberté laissée à l’orchestre, qu’il s’agisse des élans de cordes dont Petrenko magnifie la beauté une fois encore (grâce à un sens du rubato à la fois inné et exquis) ou des interventions solistes, à commencer par celles de Jonathan Kelly au hautbois solo ou du Konzertmeister Noah Bendix‑Balgley dans le solo de violon qui clôt le mouvement, la prise de son permettant là encore d’entendre tous les détails d’une partition luxuriante (la doublure du violon solo par la clarinette à partir de 7’31). Dans le Un poco Allegretto e grazioso, Kirill Petrenko anticipe déjà sur la Deuxième Symphonie, abordant le mouvement avec une légèreté où la petite harmonie folâtre avec une joie évidente. Le dernier mouvement (une des plus belles pages orchestrales jamais composées à notre sens) témoigne de toute la dextérité de l’Orchestre philharmonique de Berlin : tout mériterait d’être souligné, du grand thème des cordes au passage de témoin entre les deux cors (le nouveau cor solo Yun Zeng et sa consœur Paula Ernseaks si l’on se fie à l’enregistrement vidéo du concert du 19 septembre visible sur le Digital Concert Hall) en passant par les volutes du hautbois et de la clarinette solo. Pour autant, et comme nous l’avions déjà souligné pour le concert cette fois‑ci du 29 août, Kirill Petrenko ne nous semble pas prendre assez son temps, précipitant un peu trop l’orchestre vers la dernière partie du mouvement qui n’est marquée que Allegro non troppo, ma con brio ; on perd en majesté ce que l’on gagne sans doute en énergie mais c’est sans doute un peu dommage même s’il est difficile de résister à cette verve collective.
En complément de cette symphonie, l’Ouverture tragique (1880), au répertoire de l’Orchestre philharmonique de Berlin depuis le 8 octobre 1882 sous la baguette du tout aussi oublié Ludwig von Brenner. Kirill Petrenko l’aborde presque comme un poème symphonique où la gravité et la noirceur (nous sommes en ré mineur !) n’édulcorent en rien quelques traits de lumière (le cor, le hautbois) qui contribuent à faire de ce quart d’heure de musique une page totalement fascinante. Si le chef ne va pas jusqu’au bout de la puissance de l’orchestre (comparez le passage à partir de 4’02 avec l’ultime version Karajan d’avril 1983), on ne peut qu’admirer l’agogique totalement assumée ainsi que le soin apporté aux transitions entre pupitres, la fin de l’ouverture semblant néanmoins manquer d’un brin d’énergie.
On l’aura donc compris : un disque de toute première valeur qui vaut surtout pour une Première Symphonie qui surpasse à notre sens les versions Abbado et Rattle, sans toutefois atteindre les sommets Böhm et Karajan (notamment dans l’ultime version du chef captée en concert en octobre 1988 et parue chez Testament).
Sébastien Gauthier
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