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09/26/2025
Arnold Schoenberg : Verklärte Nacht, opus 4 (version pour orchestre à cordes) [1] – Symphonie de chambre n° 1, opus 9 [2] – Die Jakobsleiter [2] – Variations pour orchestre, opus 31 [3] – Concerto pour violon, opus 36 [4]
Wolfgang Koch (Gabriel,), Daniel Behle (Ein Berufener), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Ein Aufrührerischer), Gyula Orendt (Der Auserwählte), Stephan Rügamer (Der Mönch), Nicola Beller Carbone (Der Sterbende), Liv Redpath, Jasmin Delfs (Die Seele), Patricia Kopatchinskaja (violon), Rundfunkchor Berlin, Gijs Leenaars (chef de chœur), Berliner Philharmoniker, Kirill Pentrenko (direction)
Enregistré en public à la Philharmonie de Berlin (7‑9 mars 2019 [4], 28 août 2020 [1], 25‑27 janvier 2023 [3] et 25‑27 janvier 2023 [2]) – 147’47
Album de trois disques et un Blu-ray Berliner Philharmoniker BPHR 250511 – Notice en allemand et en anglais


Must de ConcertoNet





L’enregistrement, à la mi-temps des années 1970, par Herbert von Karajan et les Berliner de leur anthologie consacrée à l’Ecole de Vienne donna un rayonnement sans précédent aux noms de Schoenberg, Berg et Webern. L’approche voluptueuse, la splendeur des sonorités tranchaient sur l’approche radicale et sans concession des pionniers comme Hermann Scherchen ou Hans Rosbaud. Entièrement dédiées au « père » de la trinité viennoise, ces captations publiques en la Philharmonie de Berlin ceinturent le confinement : 2019, puis 2020, 2023 et 2024.


Avec ses envolées extatiques et son legato souverain, l’interprétation crépusculaire (*) de Karajan faisait de La Nuit transfigurée du jeune Schoenberg (1874‑1951) la sœur des Métamorphoses du vieux Strauss. On sent chez Kirill Petrenko une volonté manifeste de ne pas s’alanguir ni de se laisser éblouir par les plus belles cordes du monde, qu’il pétrit à pleines mains. Son sens du détail, s’appuyant sur des phrasés plus courts que son illustre devancier, nous vaut une lisibilité de la partition quasi analogue à l’original pour sextuor. Et des effets saisissants, des tremolos du milieu (mesure 132 et suivantes) à la coda irréelle en passant par un Pesante grave à l’intensité de marche funèbre. Les échappées solistes (violon, violoncelle) bouleversent dans leur fragilité contrôlée.


La Première Symphonie de chambre doit dégager une poussée de sève inextinguible, corrélat de la virtuosité exubérante exigée des quinze solistes et d’une forme qui semble s’autogénérer. Vient‑elle à manquer – comme dans la version antérieure du Philharmonique de Berlin sous la férule d’un Sinopoli à la main bien lourde (DG, 1981) (**) – que le soufflet retombe aussitôt. Petrenko réussit la quadrature du cercle en conciliant variété de l’agogique et perfection de la réalisation. Il peut compter sur une phalange entièrement acquise à sa volonté et une suspension incomparable des accélérations/décélérations (telle une berline allemande). On notera chez le premier violon un très léger portamento parfaitement apparié à l’esprit viennois de cette musique – une Gemütlichkeit entre personnes de bonne compagnie et à la conversation spirituelle. On a beau respecter la disposition prescrite par Schoenberg visant à pallier le déséquilibre cordes/vents, le cor avec sourdine ne se perçoit pas toujours avec l’acuité requise. Mais rares sont les prises de son à rendre entièrement justice à cette partition fascinante, enrichie désormais d’une nouvelle référence.


C’est Wilhelm Furtwängler qui créa, le 3 décembre 1928 à Berlin, les Variations opus 31. Elles agissent comme le Nouveau Testament orchestral du dodécaphonisme, bien que Schoenberg n’ait de cesse de s’inscrire dans la tradition – manière de se positionner en maillon (fût‑il le dernier) d’une chaîne prestigieuse. Aidé d’un track‑listing fouillé, l’auditeur peut apprécier la manière incroyablement vivante dont le chef embrasse la partition : soin accordé à la Hauptstimme (« voix principale », notée « HS » sur la portée correspondante), soudains changements de braquet (violence de la variation 8), éloquence des silences (respiration marquée entre les plages), humour (si, si, il y en a !), articulation entre passages chambristes et tutti. S’il ne peut rendre ces Variations plus aimables qu’elles ne sont, Petrenko respecte à la lettre les nombreuses indications relatives à l’expression, de même qu’il fait ressortir avec complaisance, au cours du Final, la signature emblématique B - A - C - H.


Saluant l’intégrité d’un Pollini, Brendel appréciait que le pianiste ne cherche pas « à expliquer au compositeur la façon dont il aurait dû composer ». Tempérament prédateur, Patricia Kopatchinskaja ne sert pas la musique : elle se l’adjuge, quitte à la bousculer plus souvent qu’à son tour. Les contempteurs du Concerto pour violon trouveront ici l’occasion de se raviser... ou de l’abhorrer davantage. Pour notre part, on retournera à la lecture plus intègre de Kolja Blacher et Markus Stenz (Oehms, 2013) en regrettant l’absence de Pelléas et Mélisande. En cause cet instrument de la violoniste moldave certes arachnéen, mais à la projection limitée et aux aigus strangulés. La main gauche manque de fermeté. De là une cadence du premier mouvement à la justesse erratique. C’est vers l’orchestre, que Schoenberg s’entend à faire briller, que l’on tend l’oreille (fulgurant final !). D’autant que Petrenko a le geste idoine pour imbriquer et fluidifier ce que la rhétorique sérielle peut avoir ici de besogneux auprès du bouleversant Concerto « A la mémoire d’un ange » de Berg.


A Richard Dehmel auquel il avait déjà eu recours pour des lieder et la trame narrative de La Nuit transfigurée, Schoenberg écrit en décembre 1912 : « Je veux depuis longtemps écrire un oratorio, dont le sujet devrait être le suivant : comment l’homme d’aujourd’hui, qui est passé par le matérialisme, le socialisme, l’anarchie, mais qui a tout de même gardé en lui un petit reste de l’ancienne foi (sous forme de superstition), comment cet homme moderne se querelle avec Dieu (voir aussi La Lutte de Jacob de Strindberg) et parvient finalement à trouver Dieu et à devenir un être religieux. Apprendre à prier ! [...] Avec cela, une pensée ne me lâchait pas : la prière de l’homme d’aujourd’hui. Et souvent je m’imaginais : si par hasard Dehmel... » mais le poète se défausse. Schoenberg en est réduit à rédiger seul le livret dont le syncrétisme théosophique, dans le sillage de la Huitième Symphonie de Mahler, va de pair avec une répartition spatialisée des effectifs choral et orchestral. Principal personnage du drame, l’archange Gabriel est traité sur le mode du parler‑chanter, comme plus tard Moïse. Les derniers mots sonnent telle une exhortation à la prière : « Apprenez à prier : frappez, et l’on vous ouvrira ! ».


S’il traduit les questionnements tous azimuts de Schoenberg à l’époque, le texte de L’Echelle de Jacob fait montre d’une discontinuité trompeuse : tous les détails ont été soigneusement choisis et convergent vers un point de fuite unique, à savoir le compositeur lui‑même, nouveau prophète qui, à travers « l’échelle » (de douze sons), donne au monde les nouvelles tables de la loi. L’auteur a‑t‑il péché par ambition ? Schoenberg confessera à Zemlinsky avoir perdu le fil... jusqu’à interrompre définitivement la composition de L’Echelle de Jacob aux alentours de 1922. Une énième tentative de remettre son ouvrage sur le métier n’aboutit qu’à une révision sommaire de l’instrumentation. Son disciple Winfried Zillig saura fondre les fragments épars laissés par son maître en un tout cohérent en 1961, année où Rafael Kubelík en donne la création mondiale à Vienne.


L’œuvre échappe complètement à Pierre Boulez (pourquoi un tempo si lent dans l’introduction orchestrale ?), qui s’offrit le concours de feu Siegmund Nimsgern et de Mady Mesplé (Sony, 1980). La référence revenait jusqu’à présent au dernier enregistrement en date, celui de Kent Nagano (Harmonia Mundi, 2003), avec un bouleversant Jonas Kaufmann en Appelé. Mais on n’oubliera pas les témoignages d’Eliahu Inbal (Denon, 1994) ni de Michael Gielen (Hänssler, 1996), lequel inscrit pour la première fois L’Echelle de Jacob au répertoire de l’Orchestre philharmonique de Berlin, en 1970.


La vidéo donne à voir le chœur (tour à tour chuchotant, fulminant, gémissant) divisé en trois ou quatre groupes. On aimerait se dire que le canal audio n’a pas trop terni cette spatialisation étudiée. Car Petrenko ramène l’œuvre à ce qu’elle est : non pas un simple placenta à Moïse et Aaron, mais l’apogée (certes inabouti et inachevé) de la période expressionniste de Schoenberg, riche en expérimentations variées. Tout, dans sa direction, « fait sens ». L’orchestre, à la fois aride et luxuriant, accompagne les âmes en proie aux peines et aux désillusions. Chaque personnage est subtilement caractérisé : le ténor Daniel Behle (voix tendue) incarne l’Appelé assoiffé de beauté. Nicola Beller Carbone (le Mourant) distille l’ironie mordante chère au compositeur de l’Ode à Napoléon. Quant aux coloratures de l’âme (Liv Redpath, Jasmin Delfs), elles surnagent, immatérielles, au‑dessus d’un édifice sonore dont Kirill Petrenko, comme personne avant lui, détient la clé et connaît les moindres recoins.


A la réserve du plus contestable Concerto pour violon, on recommandera donc chaudement ce coffret émaillé de deux passionnants essais signés Harvey Sachs et Martin Kaltenecker, fins connaisseurs d’un des créateurs les plus visionnaires de tous les temps.


(*) Tendance qui s’accentuera avec le temps : écoutez le concert du 5 octobre 1988 au Royal Festival Hall, publié par Testament.
(**) Simon Rattle a jeté son dévolu sur la version révisée pour grand orchestre opus 9b (EMI, 2009).


Jérémie Bigorie

 

 

 

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