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05/03/2025
« Chiaroscuro »
Leopold Godowsky : Renaissance : Livre I : 1. « Sarabande » & 4. « Menuet » (d’après Jean‑Philippe Rameau) – Livre II : 2. « Pastorale » (d’après Arcangelo Corelli) & 4. « Courante » (d’après Jean‑Baptiste Lœillet) – Livre IV : « Concert‑Allegro » (d’après Domenico Scarlatti)
César Franck : Prélude, Choral et Fugue, FWV 21
Serge Rachmaninov : Variations sur un thème de Corelli, opus 42

Roman Borisov (piano)
Enregistré à l’Historischer Reitstadel, Neumarkt in der Oberpfalz (novembre 2023) – 59’53
Alpha 1080 (distribué par Outhere)





Pour son premier disque en solo, Roman Borisov (né en 2002) propose une anthologie d’œuvres illustrant « différentes manières de nourrir son inspiration de styles plus anciens ». La démarche est originale et méritoire, à l’heure où nous redécouvrons que l’intérêt pour la musique ancienne, qu’on n’appelait encore pas « baroque », est bien antérieur au grand mouvement « baroqueux » lancé il y a un peu plus d’un demi‑siècle. Avec des approches certes très éloignées des « instruments d’époque » et des pratiques « historiquement informées », de grands musiciens du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle se sont attachés à connaître et à faire connaître les « maîtres anciens » antérieurs à la période classique : qu’on songe, pour la France, aux figures bien connues de Marcelle Meyer et Wanda Landowska, aux concerts Bach et Couperin dirigés par Cortot à l’Ecole Normale, aux entreprises éditoriales et artistiques de Louis Diémer encore auparavant. Il en va de même des innombrables transcriptions et adaptations de pièces pour clavecin ou orgue réalisées par des virtuoses de l’âge romantique et postromantique tels que Ferruccio Busoni, Alexandre Ziloti ou encore Leopold Godowsky, ce dernier étant retenu par Roman Borisov pour le présent disque.


L’idée de départ en est stimulante, bien que la pertinence du titre « Chiaroscuro » nous échappe, mais surtout, la conception et la réalisation en sont dans l’ensemble décevantes. Le corpus des « arrangements libres d’après des pièces des maîtres anciens » réalisés par le prolixe Leopold Godowsky entre 1906 et 1909 ne mérite pas, à notre sens, d’être tiré de l’oubli dans lequel il est tombé, si l’on se fie à l’anthologie qu’en propose Roman Borisov. D’une nature très pianistique, les pièces inspirées par Rameau, Corelli, Lœillet (et non Lully) et Scarlatti sont surchargées de diverses fioritures harmoniques et d’ornements encombrants qui les éloignent presque totalement de l’original pour ne garder qu’une vague couleur archaïsante. Il en résulte des éléments sonores à l’identité stylistique douteuse, d’autant que Roman Borisov les entonne dans une sonorité très large et nappée de legato, des tempos étirés (par exemple dans l’intermède lent du Menuet de Rameau, privé de tout caractère dansant) et une insistance peu subtile sur la charge harmonique ajoutée par Godowsky : gonflée d’effets virtuoses et de basses péremptoires, la malheureuse sonate de Scarlatti se transforme ainsi en objet pianistique non identifié.


L’enchaînement avec l’austère triptyque de César Franck est tout aussi discutable en termes de cohésion et de style. Certes, le Prélude est entamé de manière fluide et lisible, preuve des superbes qualités instrumentales de Borisov, mais les choses se gâtent rapidement, en raison d’une dynamique trop précipitée et fébrile, qui ôte sa majesté à ce portique initial. Bien que la sonorité en soit belle, le jeune pianiste échoue à laisser s’épanouir ses harmonies et à en trouver la bonne conduite. De même, le Choral est abordé de manière prosaïque, avec trop d’agressivité dans sa déclamation et un manque patent de décantation, tandis que la transition vers la Fugue est elle aussi trop brutale. Cette dernière pièce semble bien terre‑à‑terre également, et même franchement brouillonne : entre tapage pianistique et altération aléatoire du rythme, elle perd sa ligne directrice sans jamais décoller et atteindre à la spiritualité et à l’élévation qu’elle peut trouver sous des doigts plus subtils et dans des conceptions plus réfléchies, par exemple celles d’Ivan Moravec ou de Sergio Fiorentino. Il y a en définitive bien peu de « Chiaroscuro » dans ce piano univoque et manquant cruellement de sobriété.


L’interprétation des Variations Corelli permet toutefois de sauver le disque d’un échec complet. Dès l’énoncé du célèbre thème des « Folies d’Espagne », Roman Borisov apparaît plus à l’aise et son interprétation plus idiomatique que précédemment. C’est avec un brio certain qu’il saisit les climats variés de l’ultime œuvre pour piano de Rachmaninov, menée avec une poigne de fer de variation en variation et en accumulant toujours plus d’énergie musicale. Jouant enfin en clair‑obscur, il traduit de belle manière les variations méditatives, par exemple l’Adagio misterioso de la Huitième Variation, l’admirable cantabile de la Quatorzième ou la mélancolique Coda, et déploie un panache impressionnant dans les variations les plus spectaculaires, notamment l’Allegro scherzando plein de caprices de la Dixième et surtout les Dix‑neuvième et Vingtième qui précèdent la Coda. Il est donc indéniable que la nature extravertie de cet Opus 42 de Rachmaninov s’accorde mieux à celle d’un jeune pianiste doué de moyens certains et d’intentions louables. Gageons que ce constat lui offre une piste de réflexion dans la quête d’une identité artistique qui reste pour l’heure encore mal définie.


François Anselmini

 

 

 

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