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04/13/2025 Joseph Haydn : Die Schöpfung, Hob. XXI:2 Lucy Crowe (Gabriel, Eve), Benjamin Bruns (Uriel), Christian Gerhaher (Raphaël, Adam), Chor des Bayerischen Rundfunks, Peter Dijkstra (chef de chœur), Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Sir Simon Rattle (direction)
Enregistré en public à la Herkulessaal, Munich (18‑22 septembre 2023) – 99’44
Album de deux disques BR Klassik 900221 – Notice (en allemand et en anglais) de Vera Baur

La Création (1796-1798) représente une œuvre particulière pour Sir Simon Rattle. Bien qu’il l’ait dirigée durant son mandat berlinois, considérant même cette œuvre comme sa préférée de tout le répertoire (voir ici), il ne l’avait pas réenregistrée depuis sa gravure presque adolescente réalisée avec l’Orchestre symphonique de Birmingham en 1991 (EMI). Voici donc venue une version réalisée non plus par un jeune chef prometteur mais par une des plus grandes baguettes de la planète qui, depuis longtemps, n’a plus rien à prouver, cette fois‑ci à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise dont il tient les rênes depuis septembre 2023, cette prise en concert ayant d’ailleurs inauguré son nouveau mandat de directeur musical (voir ici).
Contrairement à notre collègue Antoine Lévy-Leboyer, avouons que cet enregistrement nous laisse une impression assez décevante. Néanmoins, comme lui, commençons tout d’abord par l’évidence : quel chœur ! Sa cohésion, sa réactivité, son élan, son sens des nuances en font le grand atout de cet enregistrement, toujours excellemment préparé par son chef Peter Dijkstra. On vibre en l’entendant dans les passages « Nun schwanden vor dem heiligen Strahle » et surtout « Stimmt an die Saiten » au sein de la première partie ; on est réellement ébahi par la qualité de la prononciation et par la technique impeccable qu’il manifeste lorsqu’il intervient après le duo entre Adam et Eve « Von deiner Güt’, o Herr ».
L’orchestre est également formidable. Simon Rattle a depuis longtemps emmagasiné quelques règles de la musique dite « historiquement informée » et cette interprétation s’en ressent. Peu de de vibrato chez les cordes, une importance donnée aux bois, fréquemment mis en avant (le « Chaos » est, à cet égard, très illustratif de ces choix musicologiques), un soin apporté à l’articulation et aux contrastes... Pour autant, cette volonté du chef de théâtraliser la partition parfois à l’extrême ne nous semble pas toujours de bon aloi. Le « Chaos », par exemple, revêt une certaine brusquerie, qui nuit à sa cohérence et donc au côté mystérieux de cette introduction hors norme. De même, dans le passage « Die Himmel erzählen die Ehre Gottes » qui conclut la première partie, on se demande pourquoi le chef anglais accélère tout d’un coup le discours à partir de 1’52 alors que ce qui précédait était si beau et avait toute son unité.
Mais là où le bât blesse, c’est surtout du côté des solistes. Bien que la voix paraisse parfois fatiguée, Christian Gerhaher campe un superbe Raphaël et un Adam non moins convaincant. S’il reste hésitant dans son premier récitatif « Im Anfang schuf Got », la voix prend peu à peu de l’assurance et culmine dans un « Rollend in schäumenden Wellen » très emporté (à l’image des volutes des cordes l’accompagnant à un rythme d’ailleurs un rien trop effréné à notre goût) ainsi que dans un poignant récitatif, « Und Gott schuf grosse Walfische ». Benjamin Bruns est également un peu inégal mais, globalement, incarne un très bel Uriel ; pour s’en convaincre, on écoutera l’air « Mit Würd’ und Hoheit angetan » dans la deuxième partie, chanté tout en souplesse, doté au surplus d’une parfaite prononciation.
Et puis, il y a Lucy Crowe... Et là, il faut bien dire que, d’air en air, on va de désillusion en désillusion. L’air de Gabriel « Mit Staunen sieht das Wunderwerk » est totalement raté : timbre voilé, aigus aux attaques constamment trop dures, prononciation perfectible. Tout est à revoir ; c’est d’autant plus dommage que le hautbois solo et le chœur sont magnifiques mais ne peuvent évidemment racheter une soliste très imparfaite. Rendez‑nous Gundula Janowitz ! Mais le pire est sans doute l’air « Auf starkem Fittiche schwinget sich » dans la deuxième partie, où, aux problèmes techniques (des notes prises trop souvent par en dessous, des aigus à la traîne), Lucy Crowe ajoute le mauvais goût avec force trilles et fioritures qui enlaidissent totalement un des plus beaux airs de l’œuvre.
C’est très surprenant de la part d’un chef, Simon Rattle, qui sait pourtant habituellement réunir de belles équipes de chanteurs : Elsa Dreisig, par exemple, avait vaillamment tenu sa partie lorsque le chef britannique avait dirigé La Création il y a quelques années à Paris à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin. Même si Lucy Crowe s’améliore par la suite, sa prestation ainsi que celles, relatives, de ses deux compagnons, ne peuvent suffire à hisser cette version parmi celles à conseiller pour qui ne connaîtrait pas l’œuvre. Par ailleurs, pour qui souhaiterait y entendre l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, les choix ne manquent pas, du génial Leonard Bernstein au rigoureux Bernard Haitink en passant par l’enthousiaste Rafael Kubelík (chez Orfeo).
Le site de Benjamin Bruns
Le site de Christian Gerhaher
Le site de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise
Le site du Chœur de la Radio bavaroise
Sébastien Gauthier
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