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12/21/2024
Anne Ibos‑Augé : Les Femmes et la Musique au Moyen Age
Les Editions du Cerf – 288 pages – 22 euros


Sélectionné par la rédaction





« J’oserais imaginer qu’Anon, qui écrivit tant de poèmes sans les signer, était souvent une femme », confessait Virginia Woolf citée par l’autrice ; on pourrait en dire autant de bien des musiques, encore que, en ce temps‑là (i.e. du XIIe siècle jusqu’au début du XVe), mots et notes étaient souvent le fruit d’un même esprit. A défaut de mettre un nom sur toutes ces figures adjugées à l’oubli, Anne Ibos‑Augé, docteure en musicologie et collaboratrice au magazine Diapason, explore ce Moyen Age féminin avec une érudition jamais sèche (la bibliographie donne la mesure de la variété des sources compulsées), où le rythme des phrases et l’exemple incarné confèrent relief et vigueur au propos. Pour une Hildegarde aujourd’hui célébrée, combien de d’Herrade ou de Hadewijch délaissées – encore me limité‑je au domaine sacré ! Celui‑ci est le propre des moniales et autres « monastères au féminin » dans le quotidien desquels l’énumération des règles et des offices suffit à nous plonger. « Parvenue au terme de son apprentissage, la religieuse devait être capable de composer et de chanter la polyphonie », précise Anne Ibos‑Augé avant de s’attarder sur le cas de la « visionnaire » Hildegarde de Bingen, « première compositrice à laisser une œuvre attribuée d’envergure [...] et autrice du premier drame liturgique [...] de l’histoire de la musique ».


Le domaine profane, plus éclaté, nous met en présence de l’image de la femme tel qu’idéalisée par l’amour courtois et de quelques poétesses compositrices de langue d’oc, « pour la plupart des nobles dames » (Tibors, la comtesse de Die, Lombarda). De plus basse extrace, les ménestrelles ont prospéré dans divers lieux et pays. L’occasion de faire un détour par l’Angleterre et de pointer les instruments privilégiés des troubadours et autres jongleurs (harpe, psaltérion, guiterne, citole, vièle à archet). Le chapitre consacré au mécénat nous projette sous les ors de la cour avec la reine Isabeau de Bavière, qui tâtait de la harpe, Blanche de Castille, la poétesse Marie de France et Marie comtesse de Champagne, protectrice de Chrétien de Troyes.


Le dernier chapitre évoque l’univers fictionnel (la femme « ... emprunte plusieurs identités dans la lyrique chantée »). L’amour courtois exalte – non sans stéréotypes – leur beauté physique et leur bonté morale, tant il vrai qu’« aimer une telle merveille est aussi, pour le poète, une manière plus ou moins détournée de se valoriser lui‑même ». A l’opposé de la pyramide sociale, « la pastourelle n’est, finalement, que l’autre côté du miroir de la courtoisie ». On rencontre cette équivalence dépréciative plus loin, lorsque la musicologue traite de l’iconographie de la musicienne à travers ces femmes monstrueuses et autres chimères des livres de piété individuelle qui « énoncent une manière d’anti‑discours [...]. Repoussées aux marges de la prière, elles en constituent l’inverse, à l’image d’un monde carnavalesque, mundus inversus, qui rassure précisément par son abomination ». Les compositrices de fiction sont assez rares, à la réserve d’Yseut et des quelques poétesses musiciennes dont Boccace a parsemé son Décaméron.


Lucide, Anne Ibos-Augé admet les nombreuses questions encore sans réponse. Ainsi de l’apprentissage de la composition, sans doute lié à l’oralité et appelé à demeurer une terra incognita de la recherche. Elle n’en jette pas moins, au terme de son étude synthétique, un beau pinceau de lumière sur près de quatre siècles d’histoire féminine, où le lecteur gagne en horizon sans rien perdre en profondeur


Jérémie Bigorie

 

 

 

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