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11/17/2024 « E il violoncello suonò »
Giulio Taglietti : Aria da suonare XIX col violoncello e spinetta o violone
Giulio de Ruvo : Ciaconna – Tarentella
Antonio Vivaldi : Sonates pour violoncelle et basse continue en mi mineur, RV 40, et en si bémol majeur, RV 46 – Sonate en trio pour violon, violoncelle et basse continue en sol majeur, RV 820
Giuseppe Maria Dall’Abaco : Capriccios pour violoncelle I en do mineur, IV en ré mineur et VI en mi mineur
Giovanni Benedetto Platti : Sonate à trois pour violoncelle et basse continue en la majeur
Giorgio Antoniotto : Sonate IV pour violoncelle et basse continue en ré mineur
Benedetto Giacomo Marcello : Sonate III pour violoncelle et basse continue en la mineur
Gasparo Garavaglia : Sonate pour violoncelle et basse continue en sol mineur Hanna Salzenstein (violoncelle), Justin Taylor (clavecin), Thibaut Roussel (archiluth), Albéric Boullenois (violoncelle), Théotime Langlois de Swarte (violon), Marie‑Ange Petit (percussions)
Enregistré en l’Eglise évangélique allemande de Paris (9‑13 octobre 2023) – 65’
Mirare MIR 698 – Notice (en français et en anglais) de Hanna Salzenstein et Olivier Fourès
Sélectionné par la rédaction
On connaît bien Hanna Salzenstein... sans finalement la connaître. On la connaît puisqu’elle est membre de l’ensemble Le Consort, dont les qualités ne sont plus à démontrer et dont la notoriété va sans cesse grandissant au sein du monde baroque. Mais, justement, face au fort tempérament de ses trois acolytes (Théotime Langlois de Swarte au violon, Justin Taylor au clavecin et Sophie de Bardonnèche, également violoniste), la jeune violoncelliste pouvait‑elle se frayer un chemin qui lui appartienne vraiment et qui lui permette de faire montre de ses ressorts personnels, et pas seulement au sein d’un ensemble de musique de chambre dont elle assure la basse toujours avec soin et conviction ?
La réponse est évidemment affirmative, Hanna Salzenstein nous apportant ici la preuve qu’elle a beaucoup à nous dire avec un disque tout à fait remarquable. Le titre de ce récital, « E il violoncello suonò », atteste un projet original, mûri de longue date, qui a souhaité illustrer l’émergence du violoncelle en tant qu’instrument soliste, depuis le milieu du XVIIe siècle jusqu’aux aux premières décennies du siècle suivant alors que, à quelques exceptions près, l’instrument était jusqu’ici cantonné au continuo. On sait que le violoncelle est apparu en Italie, créé vraisemblablement au XVIe siècle par le célèbre luthier Andrea Amati, ayant connu diverses appellations (violonzello, violetta, basso da viola...) avant de voir son nom, sa forme et sa tessiture définitivement établis dans les années 1660. Ayant dû se bagarrer avec la viole de gambe notamment, le violoncelle a peu à peu acquis ses lettres de noblesse et c’est grâce notamment à plusieurs compositeurs italiens, de plus ou moins grande renommée admettons‑le, qu’il a réussi à s’affirmer au sein d’un répertoire dont la richesse reste encore aujourd’hui à explorer.
La découverte de ce répertoire explique en grande partie qu’Hanna Salzenstein enregistre ici plusieurs œuvres en première mondiale, ayant dû choisir certaines options face à un vide qu’il importait donc de combler. Par exemple, c’est elle qui a choisi de faire accompagner le violoncelle par un archiluth dans la pièce de Giulio Taglietti qui ouvre ce disque. On est immédiatement captivé par cette ambiance de douce berceuse, une mélopée mélancolique où domine la délicatesse à la fois du trait soliste et de l’accompagnement. Suit alors ce que nous qualifierons, à titre personnel, de sommet du disque avec cette Chaconne de Giulio de Ruvo (1650 ?‑1716 ?) : après une entrée presque lointaine du crotale, l’archiluth de Thibaut Roussel impose une danse subtile que le violoncelle vient immédiatement reprendre, rejoint par les pizzicati d’un second violoncelle et l’arrivée du clavecin tenu pour l’occasion par l’ami Justin Taylor. Difficile de ne pas être emporté par cet air « de ne pas y toucher » où le côté virevoltant gagne l’auditeur, pièce de moins de trois minutes à la musicalité immédiate.
Hanna Salzenstein explore avec un goût extrêmement sûr ce répertoire méconnu du violoncelle, au sein duquel brillent trois Capriccios de Giuseppe Maria Dall’Abaco (1710‑1805), à ne pas confondre avec le relativement plus connu Evaristo Felice Dall’Abaco (1675‑1742). Dans un très beau disque paru il y a quelques années chez Brilliant Classics, Francesco Galligioni avait su nous convaincre de l’intérêt d’écouter attentivement ces pièces qui, par bien des aspects, anticipent les futures Suites pour violoncelle de Bach, sans évidemment en avoir le génie du contrepoint, ni la profondeur mélodique. Hanna Salzenstein s’y montre extrêmement impliquée avec, notamment, un Capriccio IV qui frappe par l’importance donnée aux silences, aux résonances ainsi qu’à l’appui conféré aux tonalités basses de l’instrument.
Bien connu pour ses multiples concertos pour violoncelle, Vivaldi est également bien représenté ici avec cette sublime Sonate RV 40 (souvenez‑vous que le second Largo a servi de musique à l’un des passages les plus poignants de Barry Lyndon de Stanley Kubrick) ; la jeune violoncelliste joue tour à tour sur le dialogue avec le clavecin, la profondeur des sonorités (le premier Largo), sur la fougue qui nous emporte (quel premier Allegro !), le jeu sachant émouvoir sans jamais verser dans le larmoyant facile. La Sonate en trio RV 820 du même Vivaldi met face à face le violon de Théotime Langlois de Swarte avec le violoncelle de Hanna Salzenstein : le Prêtre roux a parfaitement su mettre les deux instruments solistes sur un pied d’égalité, tant dans les passages contemplatifs (le premier Adagio, de toute beauté, accompagné avec une finesse de dentelière par l’archiluth) que dans les traits les plus virtuoses (écoutez l’entrée en matière de l’Allegro-Adagio-Allegro ou le dernier Allegro).
On conclura ce panorama par un mot sur la Sonate IV d’un certain Giorgio Antoniotto, au sein de laquelle l’ampleur du violoncelle peut s’avérer des plus impressionnantes (le premier mouvement) avant que le Vivace ne témoigne cette fois-ci d’un discours des plus conquérants, et, sur la Tarentelle de Giulio de Ruvo, où le violoncelle nous invite, aidé il est vrai par le tambourin de Marie‑Ange Petit, à une danse endiablée à laquelle tout auditeur ne pourra que succomber.
Un disque de haute volée qui illustre un esprit de recherche et une finesse instrumentale évidents : plus d’excuse désormais pour dire qu’on ne connaît pas Hanna Salzenstein !
La page consacrée à Hanna Salzenstein sur le site du Consort
Sébastien Gauthier
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