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10/05/2024
Wolfgang Amadeus Mozart : Fantaisies en ut mineur, K. 385f [396], en ré mineur, K. 385g [397], et en ut mineur, K. 475 – Rondos en la mineur, K. 511, en fa majeur, K. 494, et en ré majeur, K. 485 – Adagio en si mineur, K. 540
Ismaël Margain (piano)
Enregistré dans le salon de musique de la Fondation Singer-Polignac, Paris (17‑20 novembre 2023) – 63’12
Naïve V8443


Sélectionné par la rédaction





Au sein de l’exceptionnelle jeune génération de pianistes français que les mélomanes ont la chance de pouvoir découvrir et apprécier aujourd’hui, Ismaël Margain (né en 1992) n’est pas le plus médiatisé, mais certainement pas le moins doué, comme en témoigne ce magnifique album Mozart publié par Naïve. Ecartant les sonates pour rassembler les « pièces séparées » que sont les trois grandes fantaisies en mode mineur (K. 396, K. 397 et K. 475), les trois rondos (K. 485, K. 494 et K. 511) et l’Adagio K. 540, le disque propose un programme moins rebattu qu’on ne pourrait croire, Christian Zacharias étant l’un des derniers à avoir proposé une anthologie similaire il y a une vingtaine d’années. Il a ainsi le mérite de réunir des œuvres parfois dans l’ombre des multiples intégrales des sonates, mais qui, pour certaines d’entre elles, condensent tout le génie mozartien, qui ne s’exprime peut‑être jamais mieux qu’au sein de formes à la fois concises et très libres.


Il en va ainsi dans les deux fantaisies en ut mineur. La première (K. 396) est aussi la moins célèbre, et il est difficile de comprendre pourquoi elle demeure aussi méconnue. Est‑ce pour rendre justice à cette page, pour laquelle il dit tout son amour dans le livret, qu’Ismaël Margain la place en ouverture du disque ? Le choix est en tout cas judicieux, comme l’est son interprétation : dans un son à la fois spacieux et creusé, le pianiste en souligne la théâtralité et la véhémence dans un esprit qui anticipe Beethoven. L’épisode initial, certes, regarde en arrière, en direction de Bach et des ouvertures ornementées du baroque, mais la tumultueuse partie centrale nous projette déjà en plein romantisme, avec sa mélodie dans le registre grave, ses harmonies audacieuses et ses arpèges agitées à la main droite ; évoquant les abîmes de la mélancolie schubertienne autant que les tempêtes beethovéniennes, la fantaisie réalise ainsi en son cœur une sorte de quadrature du cercle, et constitue l’un des sommets d’expressivité de l’œuvre pour piano du compositeur, ce que l’interprétation d’Ismaël Margain traduit avec éclat. Tout aussi profonde est la deuxième Fantaisie en ut mineur (K. 475) : séparée de la Sonate K. 457, à laquelle elle sert de prologue chez certains interprètes, elle s’épanouit ici dans toute sa sombre beauté. Tout juste regrettera‑t‑on qu’elle file un peu trop droit sous ces doigts vigoureux, et qu’elle ne s’abandonne pas davantage dans ses épisodes les plus mélancoliques.


Cette petite réserve doit également être faite au sujet des trois Rondos. La lecture de celui en  majeur (K. 485) est brillante et animée, mais dans un tempo que l’on peut trouver trop allant. C’est en revanche une excellente idée que de détacher le Rondo K. 494 de la Sonate K. 533, à laquelle il a été donné par Mozart en guise de conclusion, car ce morceau souffre souvent de la comparaison avec les deux exceptionnels mouvements initiaux de la sonate. Rendu à lui‑même et chanté avec beaucoup d’innocence, il prend l’allure d’un gracieux lied pour piano seul des plus attachants, gagnant en sophistication au fil de ses différents couplets. Le Rondo en la mineur (K. 511), assurément une des plus charmantes pages du compositeur, débute à merveille lui aussi, comme in medias res. Le jeu d’Ismaël Margain, merveilleusement équilibré et élégant, traduit la plénitude de sentiments de cette musique, dont l’élégance douce‑amère dévoile peu à peu toute la richesse et la variété expressive. A peine pourrait‑on reprocher à ce piano de conserver là aussi un peu trop de sa robustesse dans certains passages. Il en va de même dans la Fantaisie en ré mineur (K. 397) : si l’interprétation de son ouverture est proche de l’idéal, évitant à la fois la sécheresse de certaines versions sur pianoforte et la grandiloquence aux effets d’orgue de pianistes du passé, sa mélodie suprêmement éloquente est entachée par un sorte de staccato, auquel on préférerait plus de douceur et de rondeur, bien que la versatilité sonore et sentimentale de la pièce soit bien rendue.


Placé en conclusion de l’album, l’énigmatique chef‑d’œuvre qu’est l’Adagio K. 540 projette le pianiste (et nous avec lui) vers d’autres horizons qu’on espère le voir explorer, ceux de Schubert notamment. Entonné de manière très dépouillée, il se charge ensuite d’intensité expressive, avec une puissance rarement entendue dans cette page trop négligée des pianistes. Cohérent jusqu’au bout dans ses choix interprétatifs, Ismaël Margain lui donne un ton plus affirmatif qu’élégiaque ou méditatif, ce qui ne l’empêche pas de mettre en valeur toute la profondeur et la grâce de cet Adagio qui pourrait être l’adieu de Mozart à son piano, jusqu’à une coda baignée d’une lumière sereine.


Si l’on passe outre les menus défauts d’un jeu pianistique un rien trop carré et décidé, que le temps et la maturité artistique viendront certainement adoucir, il convient de saluer la réussite de ce disque bien réfléchi et bien réalisé, qui témoigne de l’intelligence musicale et de la sensibilité d’un jeune pianiste qui n’a presque rien à envier aux deux grands mozartiens qu’il cite comme ses modèles, Paul Badura‑Skoda et Maria João Pires.


Le site d’Ismaël Margain


François Anselmini

 

 

 

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