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09/08/2024
Karol Szymanowski : Variations en si bémol mineur, opus 3 – Variations sur un thème populaire polonais en si mineur, opus 10
Frédéric Chopin : Sonate pour piano n° 3 en si mineur, opus 58

Jonathan Fournel (piano)
Enregistré dans la Salle de musique du Théâtre populaire romand de La Chaux‑de‑Fonds (28 octobre-1er novembre 2023) – 60’51
Alpha 1064 (distribué par Outhere)


Sélectionné par la rédaction





Pour son troisième disque publié par l’éditeur Alpha, le pianiste français Jonathan Fournel (né en 1993) propose un programme qu’il a déjà rôdé depuis quelques temps en récital, et qui paraît dès l’abord à la fois original et d’une grande cohérence. L’œuvre majeure du répertoire qu’est la Troisième Sonate de Chopin est ici encadrée par deux relatives raretés, les cycles de variations composés par Karol Szymanowski au temps de sa jeunesse et de ses études au Conservatoire de Varsovie (entre 1901 et 1904). Ainsi cette juxtaposition pose‑t‑elle la question de la filiation entre les deux grands compositeurs polonais et de la manière dont Szymanowski s’approprie l’héritage romantique de Chopin pour mieux le dépasser et trouver sa propre voie dans ses œuvres ultérieures.


Cette dimension didactique de l’album, qui pourrait probablement prêter à discussion sur le plan de l’histoire musicale, est cependant rapidement dépassée à l’écoute du piano conquérant de Jonathan Fournel. L’autorité infaillible du jeu, la projection et l’éloquence de la sonorité, la justesse du style et la perfection de la forme sont autant de qualités impressionnantes de la part d’un aussi jeune artiste. Lui qui avait déjà su de trouver le ton juste à la fois dans Brahms pour son premier disque (couplage de la Troisième Sonate et des Variations Haendel) et dans les concertos de Mozart pour son deuxième, frappe encore par sa capacité à s’adapter à toutes les situations musicales et pianistiques. Et c’est bien ce sentiment d’une maîtrise altière des œuvres et de l’instrument qui donne son unité au programme et rapproche les pages de Chopin et Szymanowski.


La versatilité de Jonathan Fournel et sa capacité à proportionner son expression pianistique aux exigences de chaque morceau conviennent à merveille aux œuvres en forme de variations, ce qui se ressentait déjà à l’écoute des Variations opus 24 de Brahms, et se ressent encore dans les deux cycles de Szymanowski. L’Opus 3, composé par un musicien de 19 ans et dédié à son grand ami et condisciple Arthur Rubinstein, est ainsi finement caractérisé dès l’énoncé ferme et grave du thème en forme de choral. Sans souligner à l’excès les réminiscences chopiniennes (particulièrement palpables dans la gracieuse neuvième variation, qui est une sorte de valse sentimentale), le pianiste rend justice à la richesse un peu hétérogène de cette œuvre de jeunesse, où se fait également sentir l’influence de Brahms (quatrième variation aux allures de Capriccio) ou du premier Scriabine, mais où s’annonce occasionnellement la modernité des pages plus tardives (troisième variation au rythme de mazurka et aux audacieuses dissonances).


Il en va de même dans les Variations opus 10 (composées en 1904), dont le thème, emprunté à un recueil de chansons folkloriques, n’est qu’un prétexte à une série de dix variations extrêmement sophistiquées, dans lesquelles Szymanowski s’affranchit davantage de ses modèles. Si les morceaux les plus brefs prennent l’aspect de préludes qui évoquent plus ceux de Scriabine que ceux de Chopin (par exemple dans l’introduction et dans les variations n°s 1, 2, 4 et 7), certaines variations se développent sous la poigne de fer de Fournel, en particulier la saisissante marche funèbre de la huitième variation, et surtout la colossale variation finale (dixième). L’aspect fugato de ce morceau conclusif, qui semble parodier de manière un peu potache le dernier Beethoven, est ici traité avec le plus grand sérieux et avec une assurance éblouissante sur le plan pianistique, qui donne envie d’entendre Jonathan Fournel dans les dernières sonates du Maître de Bonn ou dans ses Variations Diabelli.


Les mêmes qualités se retrouvent dans une lecture intense de la Troisième Sonate de Chopin. L’Allegro maestoso est également pris dans un ton décidé : la profondeur du son, la dynamique nerveuse, presque à l’excès, l’électricité qui parcourt le mouvement d’un bout à l’autre, y compris dans l’énoncé du second thème, qui n’a ici rien d’éthéré, tous ces éléments montrent là aussi que Jonathan Fournel serait très à son aise dans les sonates de Beethoven. Peut‑être pourrait-il se montrer un peu plus détendu et prendre un peu plus son temps dans cette sonate de Chopin, comme en témoigne également le Scherzo, très percutant et un peu crispé, comme pouvait le jouer Maurizio Pollini. En revanche, le mouvement lent (Largo) est une grande réussite : pris dans un tempo lent et serein, son chant se déploie avec ampleur mais sans alanguissement, grâce à la régularité infaillible de l’accompagnement à la main gauche, ce qui est judicieux dans cette page que gâchent certains interprètes par excès de rubato. Toujours aussi clair et puissant dans ses chants et contrechants, le Finale est presque trop assuré et bien en place, surtout si l’on songe à la flamboyance de la version de Martha Argerich. S’il manque un rien de folie, il évoque une nouvelle fois Beethoven et le mouvement final de la Sonate « La Tempête », qu’on suggérerait volontiers à Jonathan Fournel de jouer et d’enregistrer...


Le site de Jonathan Fournel


François Anselmini

 

 

 

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