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08/24/2024
Georg Friedrich Händel : Poro, re delle Indie, HWV 28
Christopher Lowrey (Poro), Lucía Martin Cartón (Cleofide), Marco Angioloni (Alessandro), Giuseppina Bridelli (Erissena), Paul-Antoine Bénos-Djian (Gandarte), Alessandro Ravasio (Timagène), Il Groviglio, Marco Angioloni (direction)
Enregistré dans la salle des Croisades du château de Versailles (20‑26 mars 2023) – 159’05
Coffret de trois disques Château de Versailles Spectacles CVS 123 (distribué par Outhere) – Notice (en français, anglais et allemand) de Jean-François Lattarico et Laurent Brunner





Poro, re delle Indie est un opéra en trois actes achevé par Georg Friedrich Händel le 16 janvier 1731 et créé quinze jours plus tard, le 2 février 1731 (et non le 2 janvier comme indiqué par erreur dans la notice de Jean‑François Lattarico), au King’s Theatre de Londres. Deuxième des trois opéras que Händel composa sur un livret du célèbre Métastase, Poro connut un succès immédiat grâce à plusieurs airs de haute volée, la « compétition » ayant principalement lieu entre l’air de Poro, « Dov’è ? s’affretti » (acte III, scène 8), « le meilleur air de l’ouvrage » selon Christopher Hogwood (Händel, coll. « Musiques et Musiciens », Jean‑Claude Lattès, p. 108), et l’air « Son confusa pastorella » chanté par Erissena (Eryxène) à la scène 10 du troisième acte de nouveau (fréquemment souligné comme étant le clou du spectacle, cf. par exemple Piotr Kaminski, Mille et un opéras, Fayard, p. 586).


Repris seize fois dès la première saison, donné en présence du couple royal dès la mi‑février 1731, Poro, re delle Indie était initialement centré sur le personnage d’Alexandre le Grand, au point d’ailleurs de s’intituler Alessandro nell’Indie, mais le titre fut sans doute modifié pour ne pas entraîner de confusion tant avec l’Alessandro de Händel (1726) qu’avec le tout récent Alessandro nell’Indie de Leonardo Vinci (1729), le livret de Métastase ayant à l’évidence fait des émules.


Le fond de l’histoire de l’opéra est véridique : il s’agit de la grande bataille de l’Hydaspe (326 avant Jésus‑Christ) au cours de laquelle les troupes d’Alexandre le Grand vainquirent le roi Poros, sur le territoire de l’actuel Pakistan, bataille restée dans les annales puisque ce fut une des premières fois où les troupes macédoniennes (fortes de 60 000 hommes !) furent confrontées à des éléphants de combat, près de trois cents ! Certains récits attestent d’ailleurs que, impressionnés par les pachydermes, les chevaux d’Alexandre refusèrent à plusieurs reprises de charger, nécessitant de fait un changement des plans de bataille, le grand conquérant finissant tout de même par l’emporter avant, ironie du sort, de remettre Poros sur son trône en vue de garantir la stabilité de la région une fois reparti pour d’autres aventures. Mais, de l’Histoire, l’opéra n’en a cure : ne restent principalement que les protagonistes et leurs histoires... d’amour. Passons donc sur les multiples détails d’une intrigue où jalousie, trahisons et remords sont les principaux ressorts d’une action où se confrontent les relations amoureuses entre Alexandre et Cleofide (mais qui n’aime que Poro), le faux suicide de Poro qui complote avec Timagène contre Alexandre, les élans d’Eryxène envers Alexandre qui, à la fin, pardonne à tous ceux qui ont attenté à sa personne, l’opéra s’achevant sur les amours victorieuses de Cleofide et Poro (qui reste donc sur son trône) et d’Eryxène avec Gandarte, fidèle compagnon du roi vaincu par Alexandre.


La référence discographique de l’œuvre qui existait à ce jour date de 1994 ; sous la direction alerte de Fabio Biondi, on était ainsi emporté par la Cleofide de Rossana Bertini et surtout l’Eryxène de Bernarda Fink (coffret Opus 111) en dépit d’une prise de son parfois ouatée. Le fait est que, à notre sens, la présente gravure ne la détrônera pas même si, comme on va le voir, elle ne manque pas d’atouts, à commencer par l’interprétation du couple phare de l’opéra.


Dans le rôle-titre de Poro, Christopher Lowrey est en effet impeccable de la première à la dernière note. Chantant parfois avec panache (le très bel air « Vedrai con tuo periglio » à la scène 2 de l’acte I, évidemment le fameux « Dov’è? s’affretti » à l’acte III), parfois avec toute la solennité requise (le serment qui transparaît dans l’air « Se mai più sarò geloso » à la scène 5 du premier acte, l’adresse du chant le disputant ici à l’aisance de l’émission), parfois encore avec une poésie admirable (superbe « Senza procelle encora » à la scène 6 de l’acte II, où la voix est magnifiquement accompagnée par deux flûtes à bec emplies de pastoralisme et de rêverie, l’orchestre s’avérant un rien trop vert néanmoins), le jeune chanteur confirme ici un talent depuis longtemps avéré, notamment chez Händel (rappelons ses participations exemplaires aux enregistrements d’Arminio ou Faramondo sous la direction de Laurence Cummings).


La soprano espagnole Lucía Martin Cartón incarne de son côté une Cleofide tout aussi convaincante, jouant sur la complexité du personnage (tour à tour amoureuse, tentatrice, prête au complot...) et, ce n’est pas le moindre de ses mérites, chantant parfaitement aussi bien dans les airs qui lui sont dévolus (écoutez par exemple l’air « Se mai turbo il tuo riposo » à la scène 6 de l’acte I !) que dans ses récitatifs, trop souvent délaissés. Si le deuxième acte (composé par Händel paraît‑il en une seule semaine !) compte le grand air « Digli, ch’io son fedele » à la scène 5, il faut surtout écouter l’air « Se il ciel mi divide » (scène 9) où, introduite par le violon solo de Gilone Gaubert, Lucía Martin Cartón illustre à merveille la peine ressentie par Cleofide lorsqu’elle apprend la mort de Poro qui se serait jeté dans le fleuve Hydaspe (suicide dont on saura plus tard qu’il n’en fut rien) : pureté des aigus, longueur de souffle, facilité technique... Difficile de ne pas succomber ! Evidemment, avec deux chanteurs de cette trempe, les duos imaginés entre eux par Händel ne pouvaient que briller ; et qu’il s’agisse du passage « Se mai turbo il tuo riposo » dans lequel Poro et Cleofide s’adressent ouvertement de multiples récriminations (tout en sous‑entendant néanmoins l’attachement qu’à l’évidence ils se portent) ou, surtout, du très beau « Caro, Dolce amico » (acte II, scène 2), l’entente entre les deux chanteurs est évidente et nous livre ainsi deux des plus beaux airs de l’opéra.


Dans le rôle d’Eryxène, Giuseppina Bridelli s’avère très à l’aise, comme nous avions déjà pu nous en rendre compte dans ce répertoire (voir ici). Si le sommet attendu, l’air « Son confusa pastorella » au troisième acte, est effectivement très beau, on retiendra surtout les deux airs qui lui sont attribués au premier acte, qui témoignent à la fois du soin porté à la caractérisation du personnage et des facilités vocales de la belle chanteuse italienne. Dommage tout de même qu’elle ne soigne pas davantage certains récitatifs (dans la première scène de l’acte III) ou que sa voix soit quelque peu engorgée dans quelques passages du troisième acte ; l’ensemble de sa prestation demeure néanmoins d’un très bon niveau. Idem pour Paul-Antoine Bénos-Djian, idéal et irréprochable à la fois dans le rôle de Gandarte, auquel ne sont malheureusement pas dévolus de nombreux airs ; mais, qu’il s’agisse du passage « E prezzo leggero » au premier acte (chanté avec panache et idéalement accompagné par les hautbois et les cordes) ou du très touchant « Se viver, non poss’io » (scène 10 de l’acte II), air dans lequel Gandarte refuse de s’enfuir seul en laissant Eryxène, sa bien‑aimée, on tient là un chanteur de tout premier ordre dans Händel comme on avait pu le remarquer tant dans Rinaldo que dans Theodora. Dommage enfin que le personnage de Timagène ne se voie confier que des récitatifs et aucun air tant la voix puissante et suave d’Alessandro Ravasio nous ravit.


D’un très bon niveau jusque-là, l’équipe vocale se voit néanmoins fortement handicapée à notre sens par le maître d’œuvre de cet enregistrement ; en effet, dans le rôle d’Alexandre le Grand, Marco Angioloni s’avère très décevant. Dès sa première intervention (un récitatif à la scène 2 de l’acte I), il campe un personnage falot et monocorde, contrairement à Poro, qui manifeste, en revanche, une réelle et puissante présence ; on se demande si le vaincu n’est pas finalement le véritable vainqueur dans cette brève confrontation ! Lorsqu’il chante (mentionnons les airs « Vil trofeo d’un alma imbelle » à la scène 3 de l’acte I ou « Serbati a grandi imprese » à la scène 6 de l’acte III), on est étonné par une technique fragile, une voix étriquée, sans noblesse ni legato, dont l’émission parfois difficile nous fait regretter que le rôle n’ait pas été confié à un chanteur plus aguerri. Et que Marco Angioloni porte au ténor Annibale Piò Fabbri, créateur du rôle en 1731, une admiration sincère (souvenons‑nous pour le coup de son beau disque « A baroque tenor » chez Panclassics, entièrement dévolu à Fabbri), cela ne suffit pas en l’espèce.


Dernière question à examiner ici : l’Angioloni chef d’orchestre allait‑il « racheter » l’Angioloni chanteur ? Là encore, on n’est pas totalement convaincu... Poro, re delle Indie commence par une belle Ouverture dont nombre d’observateurs ont souligné la parenté avec le début du Messie : beau basson, beau clavecin, cordes au diapason... L’ensemble Il Groviglio fait montre d’une véritable dextérité (l’accompagnement de l’air d’Alexandre à la scène 4 de l’acte II !) mais il pourrait davantage s’affirmer de temps à autre, qu’il s’agisse des deux cors dans la sinfonia du premier acte ou de la trompette dans celle débutant le deuxième. Outre une certaine acidité des violons (bizarrement souvent dans les airs d’Eryxène), l’orchestre s’avère globalement trop sage, Marco Angioloni manquant parfois d’entrain ou d’imagination (les da capo sont trop souvent reproduits à l’identique, sans fantaisie dans les ornementations) ; il n’en demeure pas moins que la partition strictement orchestrale explique en grande partie le bon accueil réservé à l’opéra lors de sa création et de ses reprises en 1731, le biographe de Händel Jonathan Keates ayant également souligné que « l’intérêt de Poro réside presque exclusivement dans sa musique, car cet ouvrage ne contient guère de numéro ennuyeux » (Fayard, p. 191).


Une belle version, par conséquent, encore une fois grâce à une équipe de chanteurs globalement de très haut niveau, pour laquelle on regrettera enfin que le livret d’accompagnement comporte plusieurs scories, version à placer sans doute derrière Biondi (même si le rôle‑titre est alors confié à une mezzo, Gloria Banditelli, et non à un contre‑ténor) en attendant une référence incontestable à venir.


Le site de Marco Angiolini et de l’ensemble Il Groviglio
Le site de Christopher Lowrey
Le site de Giuseppina Bridelli
Le site de Paul-Antoine Bénos-Djian


Sébastien Gauthier

 

 

 

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