Back
07/21/2024 Johannes Brahms : Sonates pour clarinette et piano n° 1 en fa mineur et n° 2 en mi bémol majeur, opus 120 – Trio pour cor, violon et piano en mi bémol majeur, opus 40 [*] Nicolas Baldeyrou (clarinette), Antoine Dreyfuss (cor), Amaury Coeytaux (violon), Geoffroy Couteau (piano)
Enregistré à l’Arsenal Cité Musicale de Metz (5‑6 mai 2018 et 15‑16 octobre 2022 [*] – 69’26
La Dolce Volta LDV 68
Must de ConcertoNet
La monomanie brahmsienne de Geoffroy Couteau le conduit à se vouer depuis près d’une dizaine d’années à une exploration à la fois fervente et méthodique de la musique avec piano du compositeur allemand. Après un premier album pour l’éditeur Intrada dévolu aux pièces tardives (Opus 116, 118 et 119), c’est pour le compte de La Dolce Volta qu’a d’abord été réalisée une intégrale de la musique pour piano seul (parue en 2016), puis une version du Premier Concerto, et enfin une intégrale de la musique de chambre avec piano, dont le présent disque constitue le dernier jalon, enregistré et édité avec le soin particulier qui caractérise les productions du label.
Cet ultime volume regroupe de manière heureuse les œuvres de musique de chambre dans lesquelles Brahms fait appel aux instruments à vent. Bien que ces pages illustrent des périodes différentes de la carrière du compositeur (le Trio a été composé par Brahms à l’âge de 32 ans, tandis que les deux sonates sont ses dernières pages chambristes), le programme est parfaitement cohérent, au sens où les formations adoptées par Brahms offrent des associations de timbres inhabituelles, mais d’une grande richesse, pour lesquelles il revient aux interprètes de rechercher un équilibre parfois difficile à trouver.
Cette gageure est parfaitement tenue par Geoffroy Couteau et Nicolas Baldeyrou dans les deux Sonates. La sonorité par nature méditative et élégiaque de la clarinette est soutenue et animée à merveille par un piano symphonique et parfois véhément, par exemple dans l’Allegro appassionato de la Première Sonate, ou dans son Vivace final, sorte d’équivalent chambriste du final du Second Concerto pour piano, enjoué et conquérant. A l’inverse, Geoffroy Couteau sait se muer en accompagnateur attentif pour laisser son partenaire déployer ses mélodies d’une belle longueur de souffle dans un Andante un poco adagio aux allures de lied, tandis que l’Allegretto grazioso, en forme de scherzo, elliptique et perlé, n’est pas sans évoquer certains des Intermezzi pour piano composés au même moment. La Seconde Sonate, abordée dans le même esprit, est tout autant réussie, tant Nicolas Baldeyrou, par l’assurance et l’ampleur de sa sonorité, parvient à répondre aux interventions fougueuses de son partenaire. Un des sommets de l’album est atteint avec l’Allegro appassionato du deuxième mouvement, dont les deux interprètes soulignent l’élan rhapsodique, tout en conférant une grande expressivité à l’austère Trio central. L’Andante con moto final, débutant par une simple mélodie en forme de choral, se déploie ensuite au fil de cinq variations où la complicité virtuose de Couteau et Baldeyrou fait merveille.
Composé en 1865, le Trio opus 40 est certes l’un des piliers du répertoire des cornistes, mais la formation inhabituelle qu’il demande fait qu’il ne s’agit pas d’une des pages les plus courues de la musique de chambre de Brahms. Il s’agit pourtant d’un incontestable chef d’œuvre, auquel Geoffroy Couteau et ses partenaires rendent pleinement justice. Ici, le pianiste se fait volontairement plus discret pour laisser briller le violon et le cor, dont les timbres se conjuguent en un dialogue intense dans le mouvement initial, Geoffroy Couteau se contentant de faire le trait d’union et de soutenir l’ensemble avec intelligence. A peine pourra‑t‑on trouver le cor d’Antoine Dreyfuss un rien effacé face à l’exubérance du violon d’Amaury Coeytaux, notamment dans un Scherzo néanmoins énergique et bondissant. Le mouvement lent (Adagio mesto), composé peu de temps après le décès de la mère du compositeur, est assurément à la hauteur des plus belles pages de Brahms : les trois interprètes en traduisent le ton accablé et la mélancolie funèbre dans un climat qui paraît emprunter aux Ballades de l’Opus 10, avec les couleurs automnales du cor et du violon en plus. Les rythmes de chasse et les fanfares du final, remarquablement menés par le piano et le violon (mais de nouveau avec un cor plus en retrait), apportent une conclusion détendue et enjouée à ce Trio qui n’a décidément rien d’une page anecdotique.
En définitive, cet enregistrement mérite d’être considéré comme une nouvelle référence en ce qui concerne les pages avec instruments à vent de Brahms, particulièrement pour les Sonates, et vient compléter une intégrale de la musique de chambre de très haut vol, que l’éditeur a certainement prévu de réunir prochainement en coffret. Il convient donc de saluer la constance et la passion de Geoffroy Couteau, maître d’œuvre de cet ensemble discographique d’une rare qualité, surtout si l’on y ajoute son intégrale de la musique pour piano seul. Puisque le voici arrivé au terme de son parcours brahmsien (seul le Second Concerto manque pour l’instant à l’appel), on ne peut qu’être impatient de découvrir quels horizons ce musicien de grande valeur souhaitera explorer dans les prochaines années.
Le site de Geoffroy Couteau
François Anselmini
|