About us / Contact

The Classical Music Network

CD

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

07/06/2024
Frédéric Chopin : Sonate pour piano n° 2 en si bémol mineur, opus 35
Ludwig van Beethoven : Sonate pour piano n° 29 en si bémol majeur « Hammerklavier », opus 106

Beatrice Rana (piano)
Enregistré à la Sala Sinopoli, Rome (30 avril, 2 mai, 12 et 13 juillet 2023) – 71’20
Warner Classics 5054197897658





Frédéric Chopin : Ballades n° 1, opus 23, n° 2, opus 38, n° 3, opus 47, et n° 4, opus 52 – Prélude en do dièse mineur, opus 45 – Sonate pour piano n° 2 en si bémol mineur, opus 35
Florian Krumpöck (piano)
Enregistré du au Kurhaus de Semmering (11‑14 septembre 2018) – 70’09
Sony 19658826202





La Deuxième Sonate de Chopin, célèbre pour sa marche funèbre, est certainement l’une des œuvres les plus enregistrées de l’histoire du disque, mais il est toujours intéressant de voir des pianistes d’aujourd’hui s’attaquer à ce monument : sa richesse est telle que chaque nouvelle interprétation est en mesure d’offrir des découvertes et d’en renouveler notre écoute. Deux éditeurs discographiques majeurs (Warner Classics et Sony Music) proposent ainsi chacun une nouvelle version du chef‑d’œuvre, dans des approches très différentes l’une de l’autre.


L’Italienne Beatrice Rana (née en 1993) est une étoile montante du piano d’aujourd’hui, dont le parcours discographique a jusqu’à présent été jalonné de belles réussites. Son dernier album couple la sonate de Chopin avec la Sonate « Hammerklavier » de Beethoven, association pour le moins incongrue que la pianiste s’emploie à justifier dans le livret, en déclarant qu’« elles sont toutes deux liées à la peur de la mort et à la peur de la solitude ». Il est permis de penser que tant qu’à associer Chopin avec ses prédécesseurs, la Douzième Sonate de Beethoven (dont la Marche funèbre a inspiré Chopin) aurait été plus appropriée, ou, de façon plus originale, la Sonate D. 625 de Schubert, dont le final n’est pas sans anticiper celui de l’Opus 35.


Placée en ouverture du disque, la Deuxième Sonate de Chopin déçoit : certes, Beatrice Rana dispose de moyens pianistiques et d’un tempérament fougueux qui lui permettent de faire forte impression dans certains passages, tels que l’introduction théâtrale du premier mouvement, les rafales rageuses du Scherzo ou encore le début de la Marche funèbre, dont la sonorité détimbrée crée un effet lugubre assez saisissant. Néanmoins, l’interprétation d’ensemble est grevée par des partis pris trop appuyés : tout au long de la sonate, Beatrice Rana accentue les contrastes de rythme, de volume et de timbre, au risque de désarticuler chaque mouvement. A la fébrilité du Scherzo, par exemple, fait suite un Trio volontairement morne et aux phrasés quasi précieux, qui s’étire en longueur. Le crescendo de la Marche funèbre apparaît de même forcé, et le tempo, bien trop lent, n’a plus rien de celui d’une marche.


Un certain nombre de ces maniérismes se retrouvent dans la Sonate « Hammerklavier », même si la sonorité de la pianiste, se faisant plus franche et précise, convient mieux à Beethoven qu’à Chopin. Là aussi, la maîtrise instrumentale est impressionnante, en particulier dans le premier mouvement et dans la fugue finale. En revanche, le sublime Adagio sostenuto central est inégal, avec un son une nouvelle fois privé de couleur au départ, mais qui s’épanouit en de beaux moments par la suite. Le voyage métaphysique que constitue ce mouvement connaît en revanche de nouveaux passages à vide au fil de son développement.


En définitive, la conception d’ensemble de Beatrice Rana ne semble pas très arrêtée : si certains éléments sont bien rendus, elle semble justement privilégier l’anecdote plutôt que l’épopée, le détail plutôt que la fresque. Surtout, a vitalité avec laquelle elle se joue des difficultés pianistiques confère à cette Hammerklavier un côté ludique, quasi espiègle, qui manque un peu de substance et lui ôte tout caractère « funèbre » et « angoissant ». Cela nous ramène au point de départ, et à la pertinence discutable du couplage avec la sonate de Chopin : sous les doigts de Beatrice Rana, cette sonate ne traduit en rien « la peur de la mort et de la solitude ».


Moins médiatisé que sa jeune collègue, l’Autrichien Florian Krumpöck (né en 1978) propose un programme beaucoup plus classique, en associant la Deuxième Sonate avec les quatre Ballades et le Prélude opus 45. Jouant un magnifique Bösendorfer, il fait entendre une sonorité enveloppante et d’une belle longueur. Sa volonté explicite de souligner la richesse du matériau harmonique de Chopin le conduit à faire usage d’un rubato parfois peu naturel, avec par exemple un léger retard systématique avant chaque accord dans la Première Ballade. Cette approche un peu trop concertée et verticale se fait parfois au détriment de la ligne de chant et de la dimension narrative de certaines pièces : ainsi les Deuxième et Troisième Ballades paraissent‑elles bien prosaïques et sans imagination. Elle convient mieux au caractère plus abstrait et à la texture plus serrée de la Quatrième Ballade, ainsi qu’au Prélude opus 45, qui s’épanouit en une belle arche aux sonorités d’orgue. Si les Ballades paraissent un rien empesées, la Deuxième Sonate voit Florian Krumpöck se laisser davantage aller à l’intensité de son jeu et à de beaux emportements. Si l’on regrette que l’omission de la reprise coupe l’élan du premier mouvement et que le Final soit un peu noyé, le Scherzo et son Trio sont menés dans un climat nocturne bien venu, tandis que la Marche funèbre, bien construite, impressionne par sa densité et sa solennité en ses chants et contrechants.


En définitive, si ces deux disques ne sont pas dépourvus de mérite, ils ne sont à l’évidence pas appelés à concurrencer les innombrables références établies de la discographie chopinienne. La proposition de Florian Krumpöck, certes plus traditionnelle, mais surtout plus sobre et mieux pensée, est toutefois à privilégier par rapport au relatif ratage que représente l’enregistrement de Beatrice Rana, qu’on espère voire renouer rapidement avec les réussites de ses débuts.


Le site de Beatrice Rana
Le site de Florian Krumpöck


François Anselmini

 

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com