About us / Contact

The Classical Music Network

CD

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

12/21/2023
« Festin Royal du mariage du Comte d’Artois. Versailles 1773 »
Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie, Alexis Kossenko (direction)
Enregistré à l’Opéra royal du Château de Versailles (2‑4 octobre 2022) – 125’56
Album de deux disques Château de Versailles Spectacles CVS101 (distribué par Outhere) – Notice (en français, anglais et allemand) de Benoît Dratwicki et Alexis Kossenko


Must de ConcertoNet





Un des « tubes » de la musique du Grand Siècle fut sans aucun doute les Symphonies pour les Soupers du Roy de Lalande. Passons quelques décennies et retrouvons‑nous au mois d’octobre 1773 pour le mariage du comte d’Artois (qui n’était autre que le futur Charles X, alors cinquième fils du Dauphin et à ce titre petit‑fils de Louis XV) avec Marie-Thérèse de Savoie ; comme le signale la notice de Benoît Dratwicki, un tel événement ne pouvait se passer de musique et on confia donc à François Francœur, alors Surintendant de la musique de la Chambre du Roi, le soin d’organiser tout un programme musical propre à accompagner les invités lors du grand festin royal qui avait été organisé pour ce mariage. Le fait d’organiser de somptueuses manifestations musicales pour ce type d’événements était alors chose commune à la cour de Versailles. Dans sa magnifique somme La Musique à Versailles (Actes Sud - CMBV, septembre 2007), le claveciniste et musicologue Olivier Baumont cite par exemple le mariage du futur Louis XVI, le 23 février 1745, où l’on joua aussi bien La Princesse de Navarre de Rameau que divers morceaux pour lesquels « M. Rebel surintendant de la musique du roi en survivance a présidé à l’exécution de la musique de tous ces divertissements et battu la mesure » (p. 260).


La partition qu’il nous est ici donnée d’écouter, et que l’on peut consulter en partie grâce au site Gallica de la Bibliothèque nationale de France, nous était déjà en partie connue grâce à Hugo Reyne, infatigable découvreur, qui avait enregistré des Musiques des Tables Royales de Francœur en 1993 (FNAC Music) et qui ne contenaient alors que trois suites (respectivement celles en sol mineur,  majeur et fa majeur). Citons également le disque de Daniel Cuiller et de son ensemble Stradivaria qui proposait pour sa part une suite de Simphonies de Francœur (Cyprès, 2000), mais qui s’avérait beaucoup moins enthousiasmant que l’opus réalisé par Hugo Reyne, bien que ce dernier fût par ailleurs incomplet. Toujours est-il que le présent coffret de deux disques efface ces divers souvenirs musicaux par sa complétude (nous avons ici les quatre suites, qui plus est en intégralité !) et par son interprétation, davantage conforme à ce qu’elle devait être voilà deux cent cinquante ans. En effet, comme le signale la notice, ce ne sont pas moins de soixante‑dix‑huit musiciens qui officiaient alors, dont nombre de souffleurs (dix flûtes et hautbois, sans que l’on connaisse la répartition entre les deux types d’instruments, six bassons, deux clarinettes, trois cors, une seule trompette bizarrement...) ! Qui a dit que musique baroque signifiait obligatoirement orchestre amaigri ?


A la tête d’un formidable ensemble Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie, Alexis Kossenko nous propose donc de revivre toute la luxuriance et toute la verve de cette musique accompagnant le royal festin. Loin d’être une œuvre unique composée par Francœur, il s’agit en fait de quatre suites certes de sa main mais rassemblant des extraits d’œuvres diverses, émanant tant de compositeurs connus (Francœur lui‑même, Dauvergne, Rameau, Rebel, Royer...) que de musiciens plus confidentiels (Joseph Hyacinthe Ferrand, Jean‑Claude Trial, Louis Granier, Bernard de Bury...), puisant donc dans des pièces quasi contemporaines du mariage princier (l’« Air en chaconne vive » de Bury date de 1770, certaines pièces ajoutées par Francœur à Pirame et Thisbé datent de 1771) mais également dans des œuvres plus anciennes remontant notamment aux années 1730.


On est littéralement transporté par cette interprétation dirigée avec maestria par Alexis Kossenko ! Tout d’abord grâce aux divers pupitres de l’orchestre, à commencer par la verve des cors, fréquemment requis au fil de ces divers extraits (l’« Air grave » de Francœur, l’« Air gay » de Dauvergne ou la « Chasse en rondeau » de Royer, trois extraits de la Première Suite), lesquels peuvent parfois frapper l’oreille par leur verdeur (l’« Air très vif » de Dauvergne dans la Deuxième Suite) ou par certains accents les faisant tout d’un coup pencher vers les sonorités des cors de chasse (le « Rondeau gay » de Francœur dans la Quatrième Suite) mais quel entrain, quelle gouaille, quelle prestance !


Les anches doubles sont également fortement sollicitées ; on ne peut à ce titre que saluer hautboïstes et bassonistes qui, par leur art du détaché et une technique sans faille, rendent pleinement justice à la dentelle de certaines partitions : qu’on écoute en priorité, à ce titre, les « Première et Deuxième gavottes » tirées d’Isbé de Mondonville. On n’oubliera pas non plus (qu’on nous permette cet hommage personnel) les superbes clarinettes requises par Bury dans les deux extraits du méconnu Hylas et Zélis (Troisième Suite). Si les sonorités doivent être louées lorsque les instruments jouent seuls, elles doivent l’être également (surtout ?) lorsqu’elles s’entremêlent, donnant ainsi de véritables frissons à l’auditeur lorsqu’il écoute l’orchestre gagner en ampleur dans la superbe « Chaconne » de Francœur (Troisième Suite), le passage après 7’, succédant à des cuivres éclatants tout aussi irrésistibles !


On est également émerveillé par cette interprétation grâce à la diversité des pièces choisies. Se taillant quelque peu la part du lion (on n’est jamais mieux servi que par soi‑même, il est vrai...), Francœur a judicieusement choisi des extraits brillants (la « Marche » de Rameau ou la « Contredanse vive » de Trial au sein de la Troisième Suite) mais aussi des extraits dansants (la « Contredanse » de Francœur dans la Deuxième Suite au son enjoué du tambourin) ou des extraits dans lesquels seul compte l’élan de l’orchestre (l’« Air vif » de Berton dans la Première Suite)... L’oreille n’entend ainsi jamais deux fois la même chose et cette diversité a finalement assez souvent de quoi surprendre puisque nombre de pièces nous semblent mal s’accorder avec le cadre offert par un festin royal, plusieurs d’entre elles semblant davantage être faites pour de la musique festive de plein air comme pouvait l’être en 1749 la Musique pour les feux d’artifice royaux de Händel.


Enfin, on est transporté par l’énergie et la joie communicative de cet orchestre de plus de soixante‑dix musiciens qui, sous la houlette d’Alexis Kossenko, s’en donne à cœur joie du début à la fin. On passe ainsi des magnifiques sonorités des hautbois (dans la « Chaconne » de Francœur concluant la Première Suite, à partir de 5’52 en particulier) à des échanges virevoltants entre pupitres (l’Ouverture de Scanderberg de Francœur de nouveau, ou la très enjouée « Contredanse vive » de Trial au sein de la Troisième Suite, dans laquelle des flûtes, sans doute des flageolets, et des cors font preuve de toutes les espiègleries, les notes voletant à qui mieux mieux contrastant de fait avec certains accents véhéments, presque guerriers).


Avec ces deux disques, Alexis Kossenko et son ensemble Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie nous transportent donc littéralement. Ils nous transportent évidemment par leur jeu mais également, au sens propre du terme, dans une sorte de machine à remonter le temps grâce à laquelle nous est ainsi brossé un véritable panorama de tout ce dont la musique française du milieu du XVIIIe siècle était alors capable. Ce n’est pas le moindre des mérites de ce coffret enthousiasmant !


Le site d’Alexis Kossenko
Le site de l’ensemble Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie


Sébastien Gauthier

 

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com