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06/27/2023 Anton Bruckner : Symphonies n° 1 en ut mineur, WAB 101 (édition Nowak, 1955) [1], n° 2 en ut mineur, WAB 102 (édition Nowak, 1977) [2], n° 3 en ré mineur, WAB 103 (édition Nowak, 1977) [3], n° 4 en mi bémol majeur « Romantique », WAB 104 (édition Nowak, 1953) [4], n° 5 en si bémol majeur, WAB 105 (édition Nowak, 3e édition révisée) [5], n° 6 en la majeur, WAB 107 (édition Haas) [6], n° 7 en mi majeur, WAB 107 (édition Haas) [7], n° 8 en ut mineur, WAB 108 (édition Haas) [8] & n° 9 en ré mineur, WAB 109 (édition Benjamin-Gunnar Cohrs, 2000) [9] Gewandhausorchester Leipzig, Herbert Blomstedt (direction)
Enregistré en concert au Gewandhaus de Leipzig (juillet 2005 [8], novembre 2006 [7], septembre 2008 [6], mai [5], septembre [3], octobre [4] 2010, juin [1], novembre [9] 2011 et mars 2012 [2] – 596’51
Coffret de dix disques Accentus Music – Notice (en allemand, anglais et français) de Hagen Kunze
Sélectionné par la rédaction
Parmi les grands brucknériens d’aujourd’hui, Herbert Blomstedt occupe une place de choix. Sa modestie et sa discrétion auraient presque pu nous faire oublier ses nombreux enregistrements du maître de Saint‑Florian (la Septième gravée à la tête de l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde en 1981 pour Denon, la Romantique l’année suivante pour Eterna avant quelques enregistrements chez Decca avec San Francisco et l’intégrale des symphonies chez Querstand, de nouveau avec Leipzig). Depuis quelques années, on semble redécouvrir ce chef immense qui a toujours à cœur de diriger Bruckner, que ce soit à la tête de l’Orchestre de Paris (des Cinquième et Huitième d’anthologie), du Philharmonique de Vienne (une Romantique d’une rare intensité, que ce soit à Vienne ou, quelques jours plus tard, à Berlin), de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig (dans la Septième) ou du Philharmonique de Berlin (on se souvient entre autres d’une immense Troisième dans sa version originale).
Bref, n’en jetons plus : Herbert Blomstedt est aujourd’hui un des trois ou quatre chefs les plus attendus lorsqu’on programme une symphonie de Bruckner. Et ce n’est pas cette intégrale qui nous démentira, intégrale qui n’est pas totalement nouvelle puisqu’il s’agit en fait de la reprise (avec une prise de son améliorée) de celle précédemment parue chez Querstand. A la tête d’un Orchestre du Gewandhaus de Leipzig au sommet, le chef suédois (naturalisé américain) nous offre une intégrale des symphonies de Bruckner, issues de neuf concerts étalés sur une peu moins de sept ans, qui se hisse sans conteste parmi les plus belles actuellement sur le marché.
Ce qui frappe en premier lieu, à l’évidence, c’est une superbe phalange. Héritier d’une longue tradition brucknérienne (c’est notamment à la tête de cet orchestre qu’Arthur Nikisch créa la Septième Symphonie le 30 décembre 1884), l’orchestre brille dans chaque symphonie grâce à une plénitude qui n’a ni le côté « rouleur compresseur » que l’on trouve à Berlin, ni ces sonorités diaphanes que l’on a à Vienne, ni non plus cette légère raideur que l’on a parfois dans les orchestres munichois. Ici, la clarté des plans sonores rend l’ensemble extrêmement lisible (alors que certains mouvements sont particulièrement touffus, que ce soit par exemple dans les Troisième ou Cinquième) et même solaire ; ce dernier aspect irrigue tout spécialement les Première et Deuxième, mais c’est aussi ce que l’on ressent dans l’entrée des violoncelles débutant le premier mouvement de la Septième. Les tutti peuvent souvent s’avérer incroyables (la coda du premier mouvement de la Première, la fin fulgurante de la Deuxième notamment à 10’14 et à partir de 13’20, la fin du dernier mouvement là encore mais de la Troisième à partir de 14’04, le Scherzo de la Neuvième...) mais, au‑delà, on ne peut qu’être admiratif à l’écoute de l’amplitude des cordes, des divers pupitres (quels cuivres, notamment dans le redoutable premier mouvement de la Cinquième !), sans oublier bien sûr l’excellence des solistes qu’il serait trop fastidieux de détailler ici.
En second lieu, on est frappé, après plusieurs écoutes de ce vaste ensemble, par sa cohérence, son unité, éventuellement pourront dire certains par le caractère quelque peu monochrome qui peut en ressortir. Le chef sait se montrer facétieux de temps à autre et, pour ceux qui ont eu la chance de le voir plusieurs fois en concert, on devine ici ou là son sourire espiègle (presqu’enfantin parfois) sous ses sourcils broussailleux : le trio du Scherzo de la Troisième, la joie totalement maîtrisée du Finale de la Sixième, la décision de placer le Scherzo en guise de deuxième mouvement dans la Deuxième en sont autant de marques. Herbert Blomstedt conduit toujours l’ensemble avec une maîtrise souveraine qui transparaît en particulier dans la Troisième (le premier mouvement, Gemässigt, misterioso) et dans l’Adagio des Huitième et Neuvième, où la tension alterne sans aucune rupture avec des épanouissements orchestraux de toute beauté, le chef ayant une véritable vision de chaque mouvement et, au‑delà, de chaque symphonie, ne se contentant pas d’aligner épisode après épisode, phrase après phrase. On pourra sans doute regretter certaines baisses de tension dans la Huitième (le premier mouvement ne possède pas toute la noirceur que l’on souhaiterait y trouver) ou avoir du mal à déceler une ligne directrice dans le dernier mouvement de la même œuvre, un Adagio de la Septième qui pousse parfois les cordes de Leipzig dans leurs extrêmes limites, mais l’appréhension globale reste à l’évidence d’un très haut niveau.
A côté donc de certains résultats un rien décevants, on mettra au sommet les Première, Troisième, Quatrième (interprétation idéale...) et Cinquième. Alors, certes, on peut sans doute trouver meilleure interprétation de telle ou telle symphonie, y compris chez Blomstedt lui-même (sa Troisième avec le Philharmonique de Berlin, incroyable, ou sa Romantique avec Vienne ou Dresde, toutes deux disponibles sur YouTube) mais cette intégrale, par sa noblesse et sa cohérence, portée par un orchestre d’exception et conduite par un chef au sommet, s’impose comme l’une des plus belles et des plus convaincantes qui soit.
Le site de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig
Sébastien Gauthier
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