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05/07/2023 « Au cinéma ce soir »
Nino Rota : La dolce vita (thème principal) – Due Valzer sul nome BACH : 1.« Circus-Valzer »
Gustav Mahler : Symphonie n° 5 : 4. Adagietto (adaptation Alexandre Tharaud)
Wolfgang Amadeus Mozart : Fantaisie en ré mineur, K. 385g [397]
Johannes Brahms : Thème et variations en ré mineur, opus 18b – Drei Intermezzi, opus 117
Scott Joplin : Solace
George Gershwin : Rhapsody in Blue
Richard Wagner : Elegie, WWV 93
Frédéric Chopin : Mazurkas, opus 17 : 4. En la mineur Jean-Marc Luisada (piano)
Enregistré à la Salle Philharmonique de Liège (2‑5 juillet 2022) – 74’42
La Dolce Volta LDV118 – Notice en français, anglais et japonais
Le pianiste Jean-Marc Luisada (né en 1958) est un passionné de cinéma – il en parle très bien dans la notice – et nous propose avec ce disque de parcourir des bandes musicales de films plus ou moins célèbres au travers des pièces classiques les ayant illustrés. Simplement, il reprend dans la plupart des cas, non les partitions originales mais leur arrangement pour piano seul. Il n’y a donc, à part deux pièces de Nino Rota pour La dolce vita (clin d’œil à l’éditeur ?) et Le Casanova de Federico Fellini, aucune page écrite spécifiquement pour le cinéma et aucune en tout cas dans sa version originale. Le cinéma paraît alors plus comme un prétexte, assez artificiel, pour présenter des tubes, ceux‑ci pouvant éventuellement faire penser, éventuellement, pour les plus cinéphiles d’entre nous à certains films les ayant exploités, parfois sans vergogne.
Cela étant, le double voyage cinématographique et musical n’est pas inintéressant et a le mérite de montrer que le pianiste, lauréat du Concours Chopin de 1985, sait sortir du carcan chopinien dans lequel on le cantonne trop souvent, même si le disque s’achève sur du... Chopin.
En matière de films, on passe de Louis Malle (Les Amants, 1958) à Woody Allen (Manhattan, 1979) en faisant étape chez John Huston (Le Vent de la plaine, 1960), Federico Fellini (La dolce vita, 1960, et Le Casanova, 1976), Luchino Visconti (Mort à Venise, 1971, et Ludwig ou Le Crépuscule des dieux, 1972), le moins connu André Delvaux (Rendez‑vous à Bray, 1971), Ingmar Bergman (Cris et chuchotements, 1972) et George Roy Hill (L’Arnaque, 1973). On ne discutera pas la liste retenue, assez hétéroclite : elle aurait naturellement pu être à la fois complètement différente (et plus longue), tant les classiques ont été surexploités au cinéma, avec des résultats au demeurant mitigés quand ils n’ont pas été mis en pièces voire massacrés ou dénaturés par des arrangements (chez Kubrick par exemple). On n’ouvrira pas davantage le dossier de la présence même des classiques au cinéma : sans évoquer les films sans musique et même sans parole, sans rien, qui tiennent tout seuls, on peut être circonspect, sans prôner pour autant l’ascétisme intégriste en la matière des Robert Bresson ou Eric Rohmer, face à l’utilisation de classiques comme bande‑son, les deux mondes se neutralisant souvent. Il en est au fond un peu de même, symétriquement, dans les mises en scène d’opéra, où l’utilisation de plus en plus fréquente de films ou vidéos tend à hypnotiser et détourner l’attention des aspects strictement musicaux des spectacles.
En tout cas, ici, le résultat est le fruit du plaisir. Il faut s’en tenir là et dire que Jean‑Marc Luisada atteint son but. C’est le cas avec l’arrangement de l’Adagietto de la Cinquième Symphonie de Gustav Mahler, presque lisztien, d’autant plus qu’on évite grâce au seul disque cette scène interminable et assez ridicule où Dirk Bogarde est affalé sur un transat de la plage du Lido. On a droit aussi à une Fantaisie de Mozart racée et subtile, des Brahms raffinés quoique peut‑être un peu trop opulents et sans la poésie, la désolation et l’évanescence qu’y mettait un Radu Lupu, un Scott Joplin ouvragé et délicieusement déhanché l’éloignant pourtant de toute vulgarité, un Gershwin un tantinet appuyé et manquant par force des contrastes prévus initialement entre un orchestre et un piano même si les orchestrations du concerto, non signées par Gershwin (qui était incapable de les écrire), ont pu varier, des Nino Rota reconsidérés – sa « Circus-Valzer » n’a pas le côté mécanique qu’avait la bande originale du Casanova de Fellini –, un Wagner au bord du précipice et enfin un Chopin superbe faisant complètement oublier pour le coup le cinéma. Un beau disque finalement.
Stéphane Guy
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