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04/17/2023 « [Complete] Lachrimæ »
John Dowland : Lachrimæ or Seven Teares (Antiquæ, Antiquæ Novæ, Gementes, Tristes, Coactae, Amantis, Veræ) – The King of Denmarks Galiard – Sir John Souch his Galiard – M. Nicholas Gryffith his Galiard – M. Giles Hoby his Galiard – The Earle of Essex Galiard – Captaine Piper his Galiard – M. Henry Noell his Galiard – Sir Henry Umptons Funerall – M. Bucton his Galiard – M. John Langstons Pavan – M. Thomas Collier his Galiard with two trebles – M. George Whitehead his Almand – Mistress Nichols Almand – Semper Dowland, semper dolens Musicall Humors : Julien Léonard, Nicholas Milne, Myriam Rignol, Lucile Boulanger, Josh Cheatham (viole de gambe), Thomas Dunford (luth)
Enregistré en l’église de Condat-sur-Trincou (15‑18 octobre 2018) – 70’29
Alpha Classics 944 (distribué par Outhere) – Notice (en français, anglais et allemand) d’Els Vanvolsem
Sélectionné par la rédaction
En 1604, John Dowland (1563‑1626) publiait pour luth et un ensemble de cinq violes les sept pavanes dites Lachrimæ accompagnées de divers other pavans, galliards et almands. Musicall Humors présente le recueil en entier, les sept Larmes séparées en alternance par sept des pièces diverses et suivies des sept restantes. Le luth de Thomas Dunford éclaire la douce harmonie serrée des cinq violes qui correspondent très exactement au consort of viols tant apprécié à l’époque élisabéthaine. Le consort se compose d’un dessus de viole, deux violes ténor et deux basses de viole tenant les cinq parties : Cantus, Quintus, Altus, Tenor & Bassus. Avec musicalité et maîtrise, les six musiciens filent le cours de ces pièces comme le flux d’une mer calme aux courants irrépressibles.
Quel que soit le mouvement de danse, pavane, allemande ou gaillarde, les vingt‑et‑une pièces révèlent quelques constantes de l’écriture de Dowland à commencer par une fréquente absence de résolution in fine. Les lignes mélodiques s’embellissent de diminutions et d’ornements divers et, se soumettant à modulation et à variation, progressent sur un soutien harmonique à plusieurs strates. Si la mélancolie, tant prisée au temps de la Renaissance anglaise, teinte délicatement l’ensemble, elle domine les pavanes et les sept Lachrimæ bien que Dowland démontre que les larmes coulent de sources aussi différentes que joie et tristesse.
Musicall Humors marque l’humeur de chacune des vibrantes Lachrimæ avec une émotion contenue et une fluidité bienvenue, les violes soutenant le beau chant du luth de Thomas Dunford ou s’y mêlant. Chaque « Larme » se développe sur un même thème clairement marqué au luth, le thème de l’air Flow my tears, qui se lance sur quatre notes qui retombent comme une petite pluie salée. Cette unité classique était plutôt rare à l’époque et c’est pour cela que l’on peut regretter la décision de faire suivre chaque pavane d’un morceau relativement plus enjoué. Selon les goûts, on peut aussi saluer la mosaïque créée par cette initiative. C’est à noter que « Lachrimæ antiquae novæ » et « Lachrimæ coactæ » proposent une parodie de la pavane qui précède, parodies tellement discrètes que la grande beauté musicale prime toujours.
Les morceaux divers sont tous plus brefs que les sept Lachrimæ, à l’exception du sombre et touchant Sir Henry Umptons Funerall et de deux autres pavanes dont l’élégante M. John Langtons Pavan. Comme les deux cités, tous sont dédiés à une personne précise parmi les connaissances du compositeur, qu’elle soit roi ou pirate ou même une femme comme Mistress Nichols, la dédicataire d’une vive et gracieuse allemande. Une seconde allemande tout aussi digne et souriante se destine à un pasteur philosophe. Les neuf gaillardes ont en commun un vigoureux allant non dénué de noblesse. D’une vivacité lumineuse et dansante bien menée par le luth et les violes, elles apportent une touche peut‑être plus allègre à la mélancolie régnante. L’interprétation des six musiciens est une joie tant elle capte et livre à sa juste mesure le caractère finement différent de chaque miniature, allemande ou gaillarde.
Le concert se clôt sur la devise emblématique du compositeur, Semper Dowland, semper dolens, donnée en titre à une magnifique pavane intériorisée et finement expressive. Dowland était un homme de son temps, temps où s’adonner à la mélancolie et à l’introspection était signe d’humanisme et de raffinement intellectuel, qualités que Dowland déploie ici à un très haut niveau. La pièce s’épanouit généreusement au luth et aux violes de Musicall Humors et elle émeut. On n’oublie pas pour autant que l’agile Thomas Dunford en a déjà enregistré une touchante version plus dépouillée pour luth seul, toujours chez Alpha.
Les connaisseurs de ce genre de musique apprécieront certainement les subtiles nuances de couleur apportées par les légères différences de touche et de jeu d’archet surtout au dessus de viole tenu ici tantôt par l’un, tantôt par l’autre des cinq violistes de Musicall Humors. L’ensemble, à géométrie variable, existe depuis 2005, formé à l’initiative de Julien Léonard et un groupe de d’autres instrumentistes baroques dont Thomas Dunford. Leur consort de violes en tant que tel a vu le jour en 2010. S’il existe une abondance d’enregistrements consacrés à Dowland, celui‑ci a l’avantage de proposer, quelle que soit leur nature, toutes les pièces publiées ensemble en 1604, interprétées ici avec une verve et une richesse sonore qui ne peuvent qu’en souligner le grand attrait.
Le site de Thomas Dunford
Christine Labroche
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