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08/14/2022 « Révolutions »
Claude Debussy : Images (Seconde Série) : 1. « Reflets dans l’eau » – Préludes (Second Livre)
Tristan Murail : Cailloux dans l’eau – Le Rossignol en amour – Mémorial – Résurgence – Le Misanthrope – Impression, Soleil levant François‑Frédéric Guy (piano)
Enregistré à Soissons (22‑25 octobre 2021) – 78’54
La Dolce Volta LDV110
Le titre de l’entretien faisant office de notice (« Douces révolutions ») vient immédiatement tempérer celui de l’album (« Révolutions »). Car si le piano de Debussy est « révolutionnaire », ce que François‑Frédéric Guy (né en 1969) ne manque évidemment pas de souligner dans son propos, ce n’est pas ce qu’il s’attache principalement à souligner dans son interprétation. Et si Tristan Murail (né en 1947) a appartenu à une certaine avant‑garde, il s’assume désormais davantage comme un continuateur de « révolutionnaires » plus ou moins anciens du piano, Liszt, Debussy et, bien sûr, son maître Messiaen, tandis que par endroits, la prolifération des trilles rappelle le dernier Scriabine. Le pianiste, qui a donné la première de la plupart des six pièces très récentes de Murail au programme de ce disque et auquel certaines sont même dédiées, s’impose comme un guide privilégié pour faire découvrir cet univers où exigence et séduction coexistent harmonieusement.
Avec « Reflets dans l’eau », première des trois pièces de la Première Série d’Images (1905), la profondeur et la douceur de la sonorité plongent d’emblée l’auditeur dans le confort euphorisant d’une sorte de liquide amniotique. Et pour ses Cailloux dans l’eau (2018), Murail reconnaît s’être « inspiré, librement » de la pièce de Debussy : « Ces reflets, quelques cailloux, négligemment jetés, vont les perturber en agitant la surface de l’eau par quelques ondes "spectrales"... On pourra néanmoins reconnaître la grande forme de la pièce de Debussy au travers de ces perturbations, tandis que l’écriture pianistique s’inspire largement des techniques à l’œuvre dans ces Images [...] et tâche de les mettre au service de mon langage personnel. »
Suit Le Rossignol en amour (2019), qui, en revanche, n’entretient « aucun rapport avec la pièce homonyme de François Couperin » mais dont les « éléments mélodiques, couleurs harmoniques, etc. » sont « tous extraits et dérivés d[e] chant[s] du rossignol », « analysés à l’aide de logiciels d’analyse spectrale, puis traités par divers algorithmes (transposition, dilatation temporelle, "stretching", fréquentiel...) ». Le Mémorial (2020) est celui de la Shoah à Berlin, une pièce qui « ne cherche qu’à évoquer ce monument si émouvant dans sa simplicité : l’allégorie d’une allégorie » mais qui se révèle aussi glaçante que « Le Gibet » de Gaspard de la nuit.
Dans Le Misanthrope (2021) – « d’après Liszt et Molière », comme précisé immédiatement en dessous du titre –, Guy entend un « "mélodrame" teinté d’interrogations qui surgissent comme dans un monologue du compositeur avec lui‑même », et on peut de fait y déceler une parenté avec « Il Penseroso » des Années de pèlerinage. Ces Années où l’on trouve aussi bien « Les Jeux d’eaux à la Villa d’Este » que trois Sonnets de Pétrarque, références qui confluent dans Résurgence (2021), ou La Sorgue à Fontaine-de-Vaucluse, où, précisément, le poète de la Renaissance a vécu. Il n’y a pas ici davantage de restrictions à évoquer le passé : Murail « essaie de recréer bouillonnements sonores, nuages d’écume, irisations – parfois à l’aide des techniques instrumentales inventées par Liszt ».
Avec Impression, Soleil levant (2021), qui reprend le titre du tableau fondateur de Monet, on en revient à cet « impressionnisme musical » dont Debussy a été plus ou moins pertinemment considéré comme le chef de file. En tout cas, l’évocation de ces premiers pas vers l’abstraction et la disparition du sujet constituent un enchaînement parfait avec « Brouillards », premier des Préludes du Second Livre (1910). Tout au long du recueil, on va d’enchantement en enchantement, ébloui par l’extraordinaire variété des nuances et couleurs que le pianiste sollicite du Steinway. Cette jouissance auditive prive peut‑être d’un griffe plus acérée dans « La Puerta del Vino », mais cette Espagne fantasmée peut difficilement moins inciter à la sensualité. Nul parti pris appliqué mécaniquement à l’ensemble des douze pièces, car chaque Prélude est parfaitement caractérisé : « Les Fées sont d’exquises danseuses » ne touche pas terre, « "General Lavine" -eccentric‑ » claque avec toute l’insolence attendue et « La Terrasse des audiences du clair de lune » se détache dans une atmosphère idéalement onirique.
« Feux d’artifice » conclut le cycle – avec éclat, on s’en doute – mais le titre apparaît également comme on ne peut plus approprié pour qualifier l’intelligence et le jeu de l’interprète de cet album au très généreux minutage.
Le site de Tristan Murail
Le site de François‑Frédéric Guy
Simon Corley
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