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03/31/2022
Mâkhi Xenakis : Iannis Xenakis. Un père bouleversant
Actes Sud – 242 pages – 32 euros
 Sélectionné par la rédaction
Sept ans après une première publication, Actes Sud réédite opportunément ce livre (agrémenté d’une postface inédite) dans lequel Mâkhi Xenakis, par ailleurs co‑commissaire de l’exposition « Révolutions Xenakis » qui se tient en ce moment à la Philharmonie de Paris jusqu’au 26 juin, rend hommage à son père. Disons‑le sans ambages : le sous‑titre, convenu, ne rend pas justice à ce méticuleux travail d’anamnèse où, à la suite d’une immersion dans les archives, carnets et correspondances, la fille de Françoise et de Iannis Xenakis entend livrer son témoignage, frappé au coin de l’authenticité ; et de l’amour. C’est aussi, comme l’auteur en convient elle‑même, un questionnement sur son propre univers (*) – on comprend qu’il ne lui a pas été facile de percer la chrysalide entre un père partisan de l’abstraction en peinture et qui n’avait de cesse que de lui inculquer une formation scientifique (« Mon père ne comprend pas que je renonce définitivement aux mathématiques et qu’en plus ma peinture reste figurative »), et une mère au fort tempérament, ayant elle‑même eu à souffrir, en tant que romancière, de la promiscuité avec ce géant tricéphale à la fois architecte, compositeur et mathématicien (même si c’est Xenakis qui l’incita à coucher ses premiers textes sur le papier). Mâkhi Xenakis évoque cependant la vocation contrariée qui fut la sienne avec beaucoup d’élégance ; celle‑ci s’inscrit en creux derrière un hymne à la créativité intarissable de celui qu’elle appelle affectueusement, tout au long du livre, « mon père ».
Livre dont la richesse iconographique joint à une texture très agréable au toucher constitue l’un des atouts majeurs et le distingue des exégèses musicologiques existantes. A la fois plongée dans le destin de l’homme (sa jeunesse combattante en Grèce contre les armées allemande puis britannique, ses rapports houleux avec les sériels et Le Corbusier), dans l’atelier de l’artiste (nombreux croquis, lettres et dessins, liés autant à l’architecture qu’à la musique) et, d’une certaine manière, dans la psyché du créateur (hanté par la nature et le cosmos). La manière de Mâkhi Xenakis n’est pas sans rappeler l’art de Louise Bourgeois en ce qu’elle explore le domaine domestique, le corps ou la famille. De la pelote de ce « Iannis Xenakis intime », Mâkhi Xenakis tire le fil de réflexions pénétrantes où alternent continûment la vie de son père, son œuvre, la sphère privée et le regard rétrospectif qu’elle porte sur eux cours de l’écriture. Sans doute fallut‑il l’expérience de la maternité et la distance de quelques années afin que ce témoignage, fruit d’une artiste désormais libérée de ses inhibitions et pétrie d’admiration, ne laissât entre le ressenti et sa traduction graphique que l’épaisseur d’un miroir.
(*) Marquée par Louise Bourgeois qu’elle rencontra à New York, Mâkhi Xenakis partage son temps entre sculpture, dessin et écriture.
Jérémie Bigorie
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