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03/21/2022
« Ad perpetuam JSB memoriam »
Paul Hindemith : Trauermusik (arrangement Karsten Dobers et Loïc Mallié)
Johann Sebastian Bach : Orgelbüchlein : « Christ lag in Todesbanden » BWV 625, « Herr Gott, nun schleuss den Himmel auf » BWV 617, & « Gelobet seist du, Jesu Christ », BWV 604 – Ach bleib bei uns, Herr Jesu Christ, BWV 649 (arrangement Karsten Dobers et Loïc Mallié)
Gorka Cuesta : Mors et vita
Louis Maillé : Alors, leurs yeux s’ouvrirent – Improvisation à l’orgue
Edith Canat de Chizy : J’ai vu le Ciel ouvert
Bernd Alois Zimmermann : Sonate pour alto seul « Gelobet seist du, Jesu Christ »

Karsten Dobers (alto), Loïc Maillé (orgue)
Enregistré à l’Orgelpark, Amsterdam (date d’enregistrement non précisée) – 58’38
Hortus 204 – Notice en français et en anglais


Sélectionné par la rédaction





Voilà un duo inusité, un programme original et un disque tout à fait intéressant.


Le duo est constitué d’un altiste allemand, Karsten Dobers (né en 1964), et d’un organiste français, Loïc Mallié (né en 1947), co‑ titulaire des grandes orgues de l’église de la Trinité à Paris. Si l’on connaît l’association fréquente de la trompette et de l’orgue, instruments capables de rivaliser dans les nefs d’église, ils nous font découvrir un nouveau type de rapprochement, dans deux cas sur cinq au travers d’arrangements, qu’ils signent au passage eux‑mêmes. D’un côté donc, l’orgue avec sa puissance sonore, son allure implacable, sans nuance possible ; de l’autre, un instrument à cordes, frêle et pouvant jouer sur le vibrato contrairement à l’orgue. La joute n’est‑elle pas inégale entre ces deux instruments qui ne jouent pas du tout dans la même catégorie ? Cela dépend de l’orgue utilisé et des conditions d’enregistrement. Le 13 février dernier, Odile Foulliaron et Sacha Dhénin proposaient aussi un programme d’arrangements pour leurs instruments respectifs, également rarement associés (harpe et orgue) en l’église Notre-Dame-de-Lorette à Paris. Le résultat fut des plus décevants malgré la qualité des interprètes. Si l’orgue, adapté aux lieux, s’en sortait naturellement bien, les sons de la harpe étaient rapidement noyés sous la réverbération, surtout dans les graves. Donc tout dépend du lieu de captation et, au disque, de la captation elle‑même pour redresser éventuellement les choses. En la matière, grâce au positionnement judicieux des micros, il faut convenir qu’il y a d’ailleurs beaucoup de petits arrangements avec le naturel dans la plupart des disques associant l’orgue à d’autres instruments voire à l’orchestre. Parfois l’orgue est même enregistré, seul, à part, et on arrange le tout dans les studios de mixage.


S’agissant du présent CD, la notice n’est malheureusement guère explicite sur tout cela. On repère simplement que trois orgues distincts sont utilisés. Un Utopa pour les pièces du Livre pour orgue de Johann Sebastian Bach, un Sauer pour les duos alto et orgue, où l’orgue est manifestement plus en retrait, et l’improvisation de Loïc Maillé, et un Verschueren pour les duos les plus récents et le Choral BWV 649. Pourquoi ? Rien n’est dit sur le sujet.


On sait simplement que les enregistrements ont été effectués dans l’Orgelpark d’Amsterdam. Il est pourtant dommage que la notice n’évoque pas davantage cette salle car elle est tout de même extraordinaire. De style Art déco et pourtant pas démesurée, elle ne comporte pas moins de sept orgues dont les trois utilisés pour le présent CD. On déduit de la présentation des instruments sur le site de la salle que l’orgue Utopa – une copie de l’orgue baroque Hildebrandt d’Hettsedt (1749) aujourd’hui détruit – a été préféré car convenant logiquement mieux aux pièces d’orgue de Bach. Le Sauer, datant de 1922, sert plus naturellement Hindemith et Mallié tandis que le Verschueren, héritier des instruments de Cavaillé‑Coll, plus symphonique par conséquent, est employé pour Cuesta, Canat de Chizy et l’arrangement du Choral BWV 649, où l’orgue remplace l’orchestre comme dans un concerto et valorise du coup l’alto. Mais l’ensemble, et c’est important, est capté dans la même salle et celle‑ci bénéficie d’une réverbération somme toute contenue. Ces deux éléments évitent les ruptures d’impression sonore à l’écoute du disque comme une perte d’harmoniques du côté de l’alto. Un positionnement de micros près de l’alto achève sans doute de maintenir un semblant d’équilibre.


S’agissant du programme, « en mémoire perpétuelle de Johann Sebastian Bach » comme l’indique la pochette, il fait alterner, après un arrangement de la Musique funèbre (1936) de Paul Hindemith (1895-1963), initialement écrite pour alto – l’instrument du compositeur – et orchestre, pièces pour orgue seul (à part le Choral BWV 649) de Bach et créations contemporaines inspirées des œuvres du Cantor retenues. Cela dynamise singulièrement l’écoute du disque et nous permet d’entendre pages connues et découvertes. Si la pièce du compositeur et organiste basque Gorka Cuesta (né en 1969) – Mort et vie – paraît assez déchirée, les tensions entre les instruments étant palpables et les rythmes étant finalement du côté de l’alto et de la vie, le duo de Loïc Mallié est plutôt marqué par le recueillement ; il va à l’essentiel et parle au cœur. La pièce d’Edith Canat de Chizy (née en 1950), qui avec la précédente et le duo de Cuesta résulte d’une commande de l’Orgelpark et est aussi écrite originellement pour alto et orgue, attire moins l’attention. La Sonate pour alto (1955) de Bernd Alois Zimmermann (1918-1970) est en revanche aussi belle que désespérante. De facture sérielle, elle crie à l’aide comme au milieu du silence d’espaces infinis. Il est vrai qu’elle a été écrite peu après le décès de la fille du compositeur. Quant à l’improvisation finale de Loïc Mallié, elle nous touche par sa profonde spiritualité, la lumière surgissant des ténèbres, sans esbroufe, comme dans un petit tableau de Rembrandt.


ll s’agit au total d’un beau disque, inspirant, sensible, intelligemment et fervemment construit.


Le site de Karsten Dobers


Stéphane Guy

 

 

 

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