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11/30/2021
Johann Sebastian Bach : Die Kunst der Fuge, BWV 1080 (complété par Thierry Escaich)
Eloïse Bella Kohn (piano)
Enregistré au Studio Teldex, Berlin (février-mars 2021) – 81’26
Hänssler Classic HC21049 – Notice en anglais, allemand et français





S’il paraît acquis, selon les dernières études musicologiques, que L’Art de la fugue (1740-1750) a été composé par Johann Sebastian Bach (1685-1750) pour le clavecin, son interprétation au piano est admise depuis longtemps même si les enregistrements ne sont finalement pas si nombreux, les réalisations au concert étant encore plus rares, probablement en raison de son ampleur et de ses difficultés, assez redoutables. Eloïse Bella Kohn (née en 1991) vient de s’atteler à ses vingt fugues et canons sur un piano Yamaha avec probité, sans que la prestation soit particulièrement marquante et bouleverse la discographie. On trouvera mieux chez Evgeni Koroliov ou Pierre-Laurent Aimard. Le piano chante et la pianiste, à la technique irréprochable sans être brillante, tient un discours d’une parfaite clarté tout en évitant la sécheresse, nonobstant son refus d’utilisation de la pédale mais l’on cherche en vain une autorité, une ligne ferme, un jaillissement surtout.


On s’intéresse du coup beaucoup plus au complément de la dernière fugue à trois sujets, restée célèbre pour être demeurée inachevée du fait de la mort du compositeur, probablement pas à sa table de travail comme on l’a longtemps cru au vu d’une annotation de son fils Carl Philipp Emanuel sur le manuscrit de la dernière page. La notice indique qu’il existe à ce jour une douzaine de versions de l’achèvement de la fugue. En l’espèce, il a été fait appel, cette année même, à Thierry Escaich, l’ancien professeur de la pianiste au Conservatoire de Paris. Cela tombait bien : le compositeur, co-titulaire des orgues de Saint-Etienne-du-Mont à Paris, enseigne la fugue. Allait-il écrire de l’Escaich, partir du matériau brut et s’inspirer de la fugue originale comme Luciano Berio compléta en 1990, dans Rendering, la symphonie en majeur inachevée D. 936 de Schubert, en faisant du Berio ? Ou allait-il combler les lacunes et simplement poursuivre le travail du Cantor dans le respect de son style, comme Franz Xaver Süssmayr acheva le Requiem de Mozart, Franco Alfano Turandot de Puccini ou Friedrich Cerha Lulu de Berg par exemple, dans le respect de leur écriture respective ? C’est cette dernière option qu’a choisi Thierry Escaich, en écartant toute différence stylistique, pour finir ce qui était déjà presque fini selon lui. Le résultat est modeste quantitativement, démentant ainsi quelque peu l’annonce de la pochette du disque où les deux noms de Bach et Escaich sont accolés de façon peu compréhensible, l’ensemble de la dernière pièce, le Contrapunctus XIV, durant seulement 10’12. Esthétiquement, Thierry Escaich prolonge véritablement l’œuvre de Bach et propose un final aux rythmes marqués et très ornementé qui s’achève dans les graves comme si l’on descendait du ciel.


L’intérêt paraît pourtant quand même assez limité ; pourquoi écrire comme Bach aujourd’hui si ce n’est pour montrer sa science contrapuntique à des élèves ? L’inachèvement de la dernière fugue n’empêche en effet pas son exécution puisque la partition ne manque de rien avant que Bach ne lève la plume pour ne plus y revenir et le complément ne la grandit pas particulièrement. Enfin, critique plus radicale, pourquoi, en musique, n’appliquerait-on pas la Charte de Venise bien connue des architectes et ne différencierait-on pas bien clairement ce qui est authentique de ce qui est reconstitué ?
Au total, on reste donc un peu sur sa faim, tout en saluant le beau travail d’Eloïse Bella Kohn.


Le site d’Eloïse Bella Kohn
Le site de Thierry Escaich


Stéphane Guy

 

 

 

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