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10/07/2021
«Organs of the World, vol. 1. Orgues de Sicile»
Œuvres de Marco Antonio Cavazzoni, Pietro Vinci, Antonio Valence, Giovanni de Macque, Antonio Il Verso, Rocco Rodio, Sebastian Raval, Bernardo Storace, Sigismondo d’India, Bartolomeo Montalbano, Ercole Pasquini, Giovanni Maria Trabaci, Luca Marenzio, Giovanni Pierluigi da Palestrina, Vincenzo Gallo, Girolamo Frescobaldi, Gregorio Strozzi et d’un anonyme

Perrine Devillers (soprano), Jérôme Van Waerbeke (violon), Sarah Dubus, Camille Frachet (cornet), Arnaud De Pasquale, François Guerrier (orgue)
Enregistré à Noto, Regalbuto, Castelbuono, Ficarra et Alcara Li Fusi (décembre 2019, janvier, septembre, octobre et novembre 2020) – 80’
Harmonia Mundi HMM 905331 – Notice (en français, anglais et italien) d’Arnaud De Pasquale et Dinko Fabris

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Il est des entreprises de longue haleine dépourvues d’originalité: enregistrer sur plusieurs années, toutes les sonates de Domenico Scarlatti, les symphonies de Beethoven ou celles de Mahler, ou encore tout l’œuvre pour clavier de Bach, voire de recommencer. Il en est d’autres plus audacieuses. Arnaud De Pasquale, continuo de l’ensemble Pygmalion de Raphaël Pichon, a par exemple entrepris d’allier son goût des voyages avec son talent d’organiste en enregistrant des pièces d’orgue sur des instruments anciens rencontrés lors de séjours effectués dans différents pays. Harmonia Mundi s’était lancé dans une aventure similaire dans les années 1960 avec sa collection «Orgues historiques» mais le projet entamé par Arnaud De Pasquale chez le même éditeur promet d’être autrement plus passionnant car les restaurations d’instruments se sont naturellement multipliées ces dernières décennies, tout comme les découvertes de partitions d’époque à la suite des recherches des baroqueux. Le premier volume de la nouvelle série est ainsi consacré aux orgues de Sicile et aux compositeurs du sud de l’Italie, souvent méconnus.


Il faut d’abord saluer le courage et la ténacité nécessaires à l’entreprise. Il y aurait 1 500 orgues en Sicile mais seuls 10 % d’entre eux seraient encore en état de marche. Peu sont entretenus et joués régulièrement. Guidé par un facteur d’orgue passionné, Francesco Oliveri, Arnaud De Pasquale est parvenu à dénicher six instruments disséminés sur l’ensemble de l’île. Il faut imaginer les difficultés de leur accès. Le livret reste relativement pudique sur ce point mais les laisse quand même entrevoir. On peut penser que la simple ouverture des églises concernées n’a pas été dans la plupart des cas une mince affaire. Le simple amateur d’églises et de chapelles baroques peut l’imaginer aisément. Jean-Paul Kauffmann a tiré un récit – Venise à double tour (Equateurs Littérature, 2019) – sur sa recherche obsessionnelle d’ouvertures de serrures des églises vénitiennes, du même diocèse et évidemment plus proches les unes des autres qu’en Sicile. On imagine fort bien qu’en Sicile, les choses ont été plus compliquées; il a fallu obtenir les autorisations d’autorités ecclésiastiques différentes, contacter les curés, pas forcément mélomanes ou simplement conscients de la richesse des instruments abrités dans leur église, attendre le responsable, trouver la bonne clef, ajuster l’orgue dans l’église glaciale – les enregistrements ont eu lieu essentiellement à la fin de l’automne –, repasser parce qu’il se fait tard et qu’il faut fermer les portes... Faire tout cela lorsque le temps est forcément compté et lorsque la Sicile se recroqueville sur elle-même, a dû relever, en soi, déjà, de la performance. L’aventure a sans doute été encore plus piquante lorsqu’il s’est agi d’enregistrer, comme le narre Arnaud De Pasquale dans le livret, sous la menace de fuites d’eaux comme à Alcara Li Fusi!


On ne sait si d’autres volumes seront consacrés à d’autres orgues siciliens que les six choisis, dont deux situés dans la même église de Regalbuto. On l’espère car il y a probablement d’autres instruments miraculeusement conservés nonobstant les vicissitudes de l’histoire à Palerme, Catane, Messine ou Syracuse, quand on sait qu’il y a des milliers de chapelles ou d’oratoires un peu partout demeurant désespérément fermés, à double tour. En tout cas, le présent volume permet de découvrir le petit orgue de Castelbuono dans les montagnes des Madonies, dans l’arrière-pays de Cefalù, dont les milieux cultivés locaux ne soupçonnent guère l’existence. C’est une révélation. Il s’agit d’un instrument datant de 1547 (restauré en 2007) et dès lors l’un des plus vieux d’Europe. En effet, 90 % de son matériel phonique est d’origine. Ce bijou est accordé en mésotonique au tiers de comma, un tempérament caractéristique de son temps, aujourd’hui quasiment inutilisé. Les sonorités déroutantes de ses 338 tuyaux ont un charme fou. Le livret en fournit une description technique complète comme d’ailleurs pour les autres orgues joués datant de 1666, 1726, 1714 et 1782.


On sera plus critique sur le choix des courtes pièces (entre une et trois minutes pour la plupart). Arnaud De Pasquale a choisi des compositeurs souvent peu connus à part Sigismondo d’India (seul compositeur palermitain de la série) et surtout Palestrina et Frescobaldi. Ils sont essentiellement napolitains, ce qui peut se comprendre tant les relations, sous influence espagnole, entre les deux parties du futur royaume des Deux-Siciles étaient étroites. Fantaisies, folies, toccatas, symphonies, courantes, passacailles et chansons se succèdent. Mais les pièces ne sont pas toujours passionnantes et surtout, en dehors du cas de Castelbuono, elles sont antérieures, parfois nettement, à la date de construction des orgues joués (du XVIIIe siècle pour quatre d’entre eux), ce qu’on peut regretter. Cela étant, l’artiste a la bonne idée, pour éviter toute monotonie et relancer l’attention, d’entrelarder son récital de pièces faisant appel à la voix de Perrine Devillers, au violon de Jérôme Van Waerbeke ou au cornet de Sarah Dubus ou de Camille Frachet (par ailleurs responsable des prises de son, à bonne distance et remarquables, et auteure des photographies de Sicile agrémentant le livret). Il fait même appel à un autre organiste, François Guerrier, pour quatre dialogues avec le second orgue, plus petit, de l’église Madre San Basilio de Regalbuto. Le récital s’achève en tout cas par une somptueuse Toccata de Gregorio Strozzi où la grandeur n’empêche pas la recherche d’harmonies audacieuses utilisant à plein les surprenantes dissonances du grand orgue de Regalbuto.


Vraiment une réussite. La passion, la curiosité et la volonté d’Arnaud De Pasquale obtiennent là un premier résultat exceptionnel. On attend impatiemment la suite du périple, notamment dans les pays de l’Europe du Sud dont le parc d’orgues reste largement inexploré, beaucoup plus en tout cas que dans les pays du Nord, par exemple en Espagne où les instruments anciens sont plus rares qu’en Italie, bon nombre d’entre eux n’ayant pas survécu à la conquête napoléonienne, qui a ravagé beaucoup de monastères, aux révolutions comme aux Asturies (voir ici), et à la Guerre civile, où les tuyaux des instruments à peu près jouables sont souvent muets depuis une éternité, peu voyant l’intérêt de restaurations forcément coûteuses, voire de les entendre tout simplement et où les associations de sauvegarde locales ont du mal à convaincre. On espère, sans doute naïvement, que l’entreprise folle de «l’étranger» Arnaud De Pasquale consistant à faire sonner les instruments d’exception de divers pays contribuera à stimuler les restaurations. L’enjeu n’est en effet pas que musical; il est aussi doublement patrimonial. Non seulement, il faut ressusciter des partitions en adéquation avec les orgues, et dignes d’être rejouées, tâche déjà ardue, mais aussi sauver des instruments.


Stéphane Guy

 

 

 

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