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04/23/2021 Roger Baillet : Vivaldi ou L’évanescence de l’être L’Harmattan, collection «Amarante» – 238 pages – 21 euros
Ancien professeur à l’Université Lyon III, spécialiste de la Renaissance italienne et déjà auteur de plusieurs ouvrages (citons notamment Les Bronzes de Riace ou Michel-Ange ou la sculpture de l’être), Roger Baillet nous emmène ici dans la Venise de Vivaldi au travers du regard (si l’on peut dire puisque Camille, l’héroïne, devient aveugle au cours de notre histoire) d’une petite orpheline qui, en 1709, va être recueillie par l’Ospedale della Pietà, institution au sein de laquelle travaille notamment un prêtre nommé Antonio Vivaldi.
On connaît bien la haute réputation de cet Ospedale, un des quatre que comptait Venise, fondé en 1346, qui recueillait orphelins et enfants abandonnés, et au sein duquel Vivaldi enseignait donc la musique à ces jeunes filles qui jouaient de divers instruments (le Président de Brosses en a laissé une impression fort juste dans ses lettres...) et qui attiraient un public venu des quatre coins de l’Europe pour les entendre à défaut de les voir, celles-ci jouant derrière des grilles et étant donc en grande partie invisibles aux yeux des spectateurs. Par le biais du personnage de Camille qui, mise au violon, s’enticha bientôt du violoncelle dont elle devint une virtuose, Roger Baillet nous fait à la fois découvrir la vie tant au sein de l’institution que de la vie musicale de Venise, et brosse par petites touches le portrait de Vivaldi, qui demeure le cœur du propos.
Mais, on le sait bien: qui trop embrasse mal étreint... Aussi, en voulant à la fois nous peindre la ville de Venise en cette première moitié du XVIIIe siècle, nous faire croiser tous les célèbres personnages de l’époque (de Farinelli à Goldoni en passant par Benedetto Marcello ou les membres des grandes familles de la ville au premier rang desquelles les Contarini), Roger Baillet, à notre sens, rate l’exercice. Son écriture, assez spéciale (phrases brèves, multiplication des images, rapidité dans le propos au risque de paraître décousu ou confus...), ne s’avère guère séduisante et se révèle finalement à mille lieues de la musique de Vivaldi qu’elle est censée peindre ou imiter, à savoir une simplicité dans la partition mais dont les effets sont ceux d’un feu d’artifice ou d’un trop-plein émotionnel. Ici, avouons-le, la lecture s’avère en fin de compte surtout ennuyeuse; on a du mal à entrer dans l’esprit de Camille, qui sert davantage de prétexte pour distiller çà et là quelques connaissances sur l’époque (le fait que les orphelines de la Pietà étaient marquées au fer rouge, au talon, par ce que l’on appelait le «sceau de la Pietà», le portrait de la peintre Rosalba Carriera...) et dont la proximité avec Vivaldi (elle finit par être hébergée à plusieurs reprises dans la maison de celui-ci, qui vit encore chez ses parents avec ses sœurs) nous apparaît des plus factice.
On relèvera en outre, et c’est dommage pour un livre axé sur Vivaldi, quelques erreurs sur le plan musical. Ainsi, contrairement à ce qui est écrit (page 37), l’instrumentarium de Juditha Triumphans n’a jamais compté deux clarinettes. Il a en revanche recours dans cette partition au chalumeau soprano (le scialumò en italien, que l’on connaît aussi dans les partitions baroques sous le nom de salmoè) dans l’air «Veni, veni me sequere fida». Rappelons à cette occasion que Vivaldi n’a eu recours aux clarinettes (l’hésitation est d’ailleurs permise sur le point de savoir si l’on doit effectivement parler de «clarinettes» puisque ce sont en principe des chalumeaux qui interviennent mais les partitions portent la mention clarino) que dans les concertos RV 556 (le célèbre Concerto «Per la Solennita di S. Lorenzo» qui requiert en effet deux clarinettes), RV 559 (un concerto en ut majeur pour deux hautbois, deux clarinettes et basse continue) et RV 560 (même tonalité et même effectif). De même, ce n’est certainement pas à l’époque baroque que les instruments s’accordaient sur le la du hautbois avant de commencer un concert (page 36), l’accord étant plutôt donné par le violon solo ou un violoncelle, le rôle pivot du hautbois en la matière n’intervenant qu’au XXe siècle.
Voilà donc un livre dont la neutralité générale ne peut qu’étonner au regard encore une fois du génie bondissant de Vivaldi. Aussi, pour qui souhaite un roman en accord cette fois-ci avec la personnalité du compositeur, on ne pourra que conseiller le superbe Stabat Mater de Tiziano Scarpa, auréolé du prestigieux prix Strega en 2009.
Sébastien Gauthier
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