About us / Contact

The Classical Music Network

CD

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

12/30/2020
Georg Friedrich Händel : Samson, HWV 57
Matthew Newlin (Samson), Klara Ek (Dalila), Lawrence Zazzo (Micah), Luigi Di Donato (Manoah, Harapha), Julie Roset (Une Philistine, Une Israélite), Maxime Melnik (Un messager, Un Philistin), Chœur de chambre de Namur, Thibaut Lenaerts (préparation musicale du chœur), Alain Bajot (accompagnateur du chœur), Millenium Orchestra, Leonardo García Alarcón (direction)
Enregistré en public en l’église Saint-Loup de Namur (4 juillet 2018) – 148’48
Album de deux disques Ricercar RIC 411 (distribué par Outhere) – Notice (en anglais et en français) de Marc Maréchal et traduction des textes chantés





Fondé sur un poème de Milton (Samson Agonistes), adapté par le librettiste Newburgh Hamilton, Samson a été un succès mémorable dans la carrière de Händel. Composé en 1741 peu après l’achèvement du Messie, l’oratorio a été fortement remanié l’année suivante avant d’être créé le 18 février 1743 à Covent Garden. Triplement soumis à la tentation (tentation de céder au désespoir en réclamant la mort à l’acte I, tentation féminine avec l’apparition de Dalila au deuxième acte et tentation de céder à la colère, toujours mauvaise conseillère, à l’acte III lorsqu’il est provoqué par son ennemi Harapha), Samson apparaît ici dans sa plus simple solitude, dans sa condition d’esclave fatigué et aveugle dont le destin se révèle au fil de l’œuvre pour mourir enseveli par les colonnes du temple dédié à Dagon, dieu des Philistins, dont il réussit finalement à ébranler les colonnes avec l’aide de Jéhovah. En raison tant de sa force dramatique que de la diversité des airs (qu’il s’agisse de ceux dévolus aux solistes ou au chœur), Samson fait l’objet d’une riche discographie, des gravures pionnières de Ferenc Fricsay (avec Ernst Haefliger dans le rôle-titre) ou Karl Richter aux versions plus récentes dominées, à notre sens, par Nikolaus Harnoncourt (Teldec) et Harry Christophers (Collins Classics). Le pari de Leonardo García Alarcón de se frayer un chemin était donc à la fois tentant et risqué: dire que celui-ci est gagné tient néanmoins de l’évidence.


Et ce, tout d’abord, grâce à un Chœur de chambre de Namur dont la réactivité et l’engagement, quelle que soit l’atmosphère recherchée (le glorieux «Then round about the starry throne» concluant le premier acte, le coloré «To man God’s universal law» à la fin de la scène 3 de l’acte II, ou le poignant «Weep, Israel, weep a louder strain» à la scène 3 de l’acte III), impressionnent de bout en bout. Même si la comparaison avec le Chœur Arnold Schönberg de la version Harnoncourt s’avère plus flatteuse pour l’ensemble autrichien, il n’en demeure pas moins que le chœur flamand participe pleinement au déroulé du drame, quitte parfois à être un peu trop véhément, voire confus (le passage «Awake the trumpet’s lofty sound!» à la scène 1 de l’acte I, qui, sur 2 minutes, dure tout de même 20 secondes de moins que chez Harnoncourt!). Il en va de même pour l’ensemble instrumental, le Millenium Orchestra, fondé par Leonardo García Alarcón en 2014 et dont les talents individuels ne masquent en rien l’osmose collective que l’on ressent fréquemment ici tant la partition de Samson est ajourée et brillante. Dès l’ouverture, le théorbe de Thomas Dunford et les cors de Bart Cypers et Rozanne Descheemaeker sonnent à qui mieux mieux; évidemment, les couleurs sont des plus chatoyantes dans les chœurs qui concluent triomphalement chaque acte mais l’orchestre sait également adopter davantage d’intimité, à l’instar du passage très «arcadien» «Ye men of Gaza, hither bring» (acte I, scène 1) où les flûtes sont particulièrement mises en valeur. Si García Alarcón dirige l’ensemble avec une attention évidente, on regrette néanmoins que certains passages soient marqués qui par une inattendue sécheresse («Oh, mirror of our fickle state!» à la scène 2 de l’acte I) ou par une baisse de tension malvenue alors que l’orchestre devrait au contraire nous émouvoir ou nous faire trembler (le superbe air de Samson «Total eclipse! No sun, no moon» à la même scène). Enfin, mais peut-être est-ce dû au placement des micros, certains éclairages auraient sans doute pu être évités (le théorbe ou le hautbois dans l’air de Micah «Return, O God of hosts! Behold» à la première scène de l’acte II), cette individualité soudaine affectant inutilement le climat que l’on pourrait au contraire souhaiter plus unitaire.


Du côté des chanteurs, chapeau bas tout d’abord (à tout seigneur, tout honneur) à Matthew Newlin qui, à la suite par exemple d’un Anthony Rolfe Johnson, n’a pas à rougir de son incarnation de Samson. Ce qui nous semble particulièrement caractéristique ici, c’est que, autant Rolfe Johnson ne perdait pas de vue le caractère héroïque de Samson, autant ici, Newlin en fait davantage un homme, un homme avec ses fêlures, ses faiblesses, ses étonnements et finalement sa capacité à se surpasser avec l’appui du divin. La comparaison est, de fait, des plus intéressante. Si l’air «Tornments, alas, are not confined» est plus empli de noblesse que de désespoir (mais quel chant: écoutez par exemple la dernière reprise des mots «That rob the soul itself of rest»!), les fêlures du personnage central sont bel et bien des plaies ouvertes et douloureuses lorsqu’on écoute «My genial spirits droop, my hopes are fled» (acte I, scène 3), chanté avec un dépouillement incroyable. De même, dans l’air «Your charms to ruin led the way» (scene 2 de l’acte II), Matthew Newlin nous donne davantage à entendre de la colère plutôt que de la fragilité (comme avec Harnoncourt ou McGegan chez Carus): mais, finalement, n’est-ce pas là une nouvelle preuve de l’humanité de Samson, de son côté «imparfait» pourrait-on dire, et ainsi des accents de colère qu’il peut légitimement exprimer face à la traîtresse Dalila?


Dans le rôle de Dalila justement (qui, ne l’oublions pas, n’apparaît que durant le deuxième acte), Klara Ek est également très convaincante, notamment dans le duo rageur «Traitor to love!» (scène 2, acte II). Même si son interprétation du duo «My faith and truth, o Samson» avec la Philistine est excellente, elle doit tout de même céder face au duo Roberta Alexander-Angela Maria Blasi (excusez du peu) qui, chez Harnoncourt, est un sommet quasi indépassable, lequel justifie à lui seul l’achat du coffret, émouvant aux larmes à chaque écoute contrairement à la présente interprétation qui, peut-être parce que moins dépouillée, moins emplie de désolation, ne «fait que» nous émouvoir profondément.


Dans le rôle de la Philistine, la jeune Julie Roset est tout bonnement irréprochable. Douce sans être ingénue, elle éclaire chacun de ses passages par une voix solide et une implication psychologique de chaque instant; de même lorsqu’elle chante le rôle de l’Israélite, notamment dans le presque conclusif «Let the bright seraphim in burning row», d’une fraîcheur solaire – certes, cet oxymore peut surprendre – enthousiasmante. Si les interventions fort brèves de Maxime Melnik n’appellent pas de commentaire particulier, on ne peut par ailleurs que saluer la prestation de Luigi Di Donato qui campe les deux rôles assez lourds de Manoah (le père de Samson) et d’Harapha (le guerrier philistin, ennemi de Samson). Sa voix sait être ténébreuse, profonde, puissante mais jamais dure et, suivant le personnage, transmet parfaitement les sentiments de chacun des deux personnages. Déploration pour le père, rouerie et moquerie pour le guerrier, on est totalement séduit par l’air «Honour and arms scorn such a foe» et par le duo avec Samson «Go, baffled coward, go» (Di Donato incarne là le guerrier Harapha, à la scène 4 de l’acte II). Et, ensuite, comment ne pas être pleinement touché par l’air bouleversant là aussi «How willing my patrenal love» (à la scène 2 de l’acte III? Si ses premières interventions avaient pu faire craindre une prestation en demi-teinte (un «Thy glorious deeds inspir’d my tongue» peut-être pris trop rapidement et occasionnant une légère instabilité dans la ligne de chant ou un accompagnato «To sorrow now I tune» à la justesse vacillante dans le grave), le résultat global est à la hauteur de ce que l’on était en droit d’attendre. En fin de compte, la vraie déception vient sans doute de Micah, l’ami israélite de Samson, personnage dans lequel Lawrence Zazzo ne convainc guère en raison d’un timbre de voix pas toujours très agréable (l’air «The Holy One of Israel be thy guide» à la fin de la première scène de l’acte III) et d’une caractérisation globalement peu convaincante.


Il n’en demeure pas moins que cette version de Samson ne déparera pas les discothèques, se singularisant encore une fois par une vision très humaine de Samson, portée par une interprétation globalement très théâtrale et pleine de couleurs. A titre personnel, on en restera néanmoins à la version superlative signée Harnoncourt (captée en mai 1992 en concert, au Musikverein de Vienne, Teldec), peut-être, à notre sens, son plus beau Händel et sans doute l’un de ses plus grands disques.


Le site de Leonardo García Alarcon
Le site de Matthew Newlin
Le site de Lawrence Zazzo
Le site du Chœur de chambre de Namur et du Millenium Orchestra


Sébastien Gauthier

 

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com