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12/19/2020
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonates pour violon et piano en fa majeur, K. 374d [376], en sol majeur, K. 373a [379], et en la majeur, K. 526
Vineta Sareika (violon), Amandine Savary (piano)
Enregistré à Bruxelles (juillet 2019) – 64’37
Muso MU-041





Sélectionné par la rédaction


Après avoir traversé en 2018 l’Europe du Nord d’Edvard Grieg et d’Arvo Pärt, la violoniste lettone Vineta Sareika et la pianiste française Amandine Savary transportent leur duo plus au sud, à la cour de l’empereur d’Autriche, Joseph II, pour interpréter trois des sonates pour piano et violon de Mozart, composées dans les années 1780.


Si déchiffrer n’importe quelle œuvre de Mozart met instantanément sous le charme d’une musique maintes fois décrite comme un idéal de perfection et de beauté, les interprètes savent qu’il est difficile de bien le jouer, cet art tendu entre délicatesse et force dramatique. A priori, le duo féminin, rompu à la musique de chambre (Trio Dalí, Trio Salieca, Quatuor Artemis) et qui l’enseigne dans les plus hautes institutions, a toutes les raisons de relever le défi. Sareika, lauréate comme Baranov du concours Reine Elisabeth, est une violoniste pleine de mordant, «sans compromis» comme elle se définit elle-même, qui sait faire rugir son Stradivarius jusqu’à la rauquitude dans les œuvres romantiques; Savary, passée par la Royal Academy of Music de Londres, est une pianiste expressive et vitaliste, ayant déjà enregistré Bach et Schubert, des monuments qui précèdent et suivent ce que Charles Rosen appelle le «style classique». De là, est-ce que le duo saura trouver le point d’équilibre mozartien entre puissance et finesse?


Ce qui frappe d’emblée est le remarquable équilibre entre le piano et le violon, cordes frappées et cordes frottées aux timbres assez opposés. Cette alchimie du duo sert parfaitement l’évolution de la sonate pour violon et piano engagée par Mozart dans les années 1780. Elle conçoit le violon comme un véritable partenaire du clavier, à la fois autonome et dialoguant avec lui, mettant fin au «piano accompagné» qui reléguait les autres instruments à leur rôle de doublure. Désormais, les deux instruments font histoire ensemble, ne s’oublient jamais, se répondent toujours; quand l’un se fâche, l’autre le ramène à la douceur et ainsi de suite, pour ne faire plus qu’un, cette troisième personne qu’on appelle le couple.


Couple pour le moins passionné, débordant de vitalité comme devait l’être Mozart en 1781, date à laquelle il compose les Sonates K. 376 et K. 379 et où il s’installe à Vienne après avoir claqué la porte de l’archevêque de Salzbourg qui venait de le traiter de voyou et de crétin. La version de Sareika et Savary est pleine de ces irrévérences: violon nerveux, piano gracieusement emporté qui font penser aux couleurs chaudes des tableaux de Fragonard; ces jaunes, oranges et rouges qui donnent un feu superbe aux allegros, que ce soit dans l’entrée triomphale de la Sonate K. 376, dans l’Allegro de la Sonate K. 379 qui finit dans l’allégresse de ses marches de quinte ou dans les effusions thématiques de la Sonate K. 526.


Mais la passion ne s’arrête pas à la fougue: il y a aussi ces moments suspendus dans les mouvements plus lents. Dans l’Andante de la K. 376, joué au tempo d’un adagio, chaque phrase est chantée avec noblesse, le rubato prolonge la grâce des notes écrites, donnant un accent presque «chopinesque» aux phrases de Mozart. Il en est de même dans l’Adagio de la K. 379, sorte de nocturne ouvert par le piano tendre de Savary, soulignant les accords tendus, comme ce 7/5 à la mesure 6, bientôt rejoint par le violon de Sareika chantant une poignante confidence à la lueur des arpèges du piano, ces chandelles éclairant doucement. On retrouvera cet esprit dans l’Adagio de la Troisième Sonate pour piano de Beethoven dédiée à Haydn.


La ductilité du duo sert aussi admirablement certains des thèmes et variations, où crépitent les accents Sturm und Drang par-dessus le souvenir de la basse obstinée baroque: quel charme aérien dans l’exposition du Tema, dans la variation I où le piano seul brode admirablement les doubles croches perlées ou dans l’Adagio de la variation V – rappelant le Largo du Cinquième Concerto de Jean-Sébastien Bach – où l’on retrouve ce temps suspendu grâce au rubato et au pizz! Quel entrain aussi dans le fracas des doubles croches de la deuxième partie des variations II et III!


Pour autant, l’énergie du duo accuse çà et là certaines lourdeurs eu égard au style. Dans le Rondo allegretto de la Sonate K. 376, l’interprétation est musclée, on n’oserait pas dire virile pour ce duo féminin. Mais en gardant cette intention, il aurait pu mettre davantage de sautillements dans ce thème populaire, d’humour dans les petites notes comme l’ont fait Anne-Sophie Mutter et Lambert Orkis par exemple. Il en est de même pour les trilles et mordants de la variation III, pas assez pétillants. La Lettone et la Française semblent parfois oublier que le style classique est un style comique dès l’origine, issu de l’opéra bouffe et de la musique de danse, ainsi que le rappelle Charles Rosen dans son ouvrage de référence.


C’est peut-être la force et le reproche que l’on puisse faire à ce disque: hormis les teintes chaleureuses des salons qui peuvent devenir ardents, on peine parfois à retrouver le XVIIIe siècle à son crépuscule: l’ironie de Voltaire, la simplicité de Joseph II, ces politesses de Cour qu’il n’est pas bon d’assombrir trop longtemps, ces pétulances qui triomphent encore du fatum prérévolutionnaire. Le duo tend davantage vers le XIXe siècle, sa déchirure romantique contre la sociabilité du temps, sa passion au premier degré qui s’emporte et se désillusionne, sans grand humour. Dans certains accents, on a parfois l’impression d’entendre une œuvre du dernier Beethoven, voire de Sibelius! C’est le cas surtout dans le Rondo de la Sonate K. 376, dans certains passages des variations de la K. 379, et dans la dernière sonate, celle de 1787, contemporaine de la composition de Don Giovanni, et donc la plus justifiée à recevoir ce type d’emportements. Le choix du son plein et rond du clavier, très éloigné de la sécheresse du pianoforte d’époque, y est sûrement pour beaucoup. Sans doute aussi que le violon de Sareika, rompu à ce répertoire, que l’on sent toujours sur le point de s’emporter, a poussé le piano de Savary à franchir le siècle.


Au vu de l’homogénéité du disque, c’est un choix qui s’impose agréablement à l’auditeur mais qui s’éloigne de Mozart tel qu’on se l’imagine; il est certes le plus personnel des compositeurs classiques, en proie à des angoisses intimes, terrifié par l’approche de sa propre mort – la grande inspiratrice! comme le disait Louis-Ferdinand Céline – mais n’en pratiquait pas moins le style galant, la mutine délicatesse, l’humour primesautier voire scatologique, et considérait que les grands sentiments ne devaient jamais être poussés jusqu’à l’excès.


Difficile donc de bien jouer Mozart. Garder «l’esprit de gaieté ensoleillée» et «la gravité qui respire la douceur» en évitant de faire parler à tout prix le langage dramatique, comme le dit si bien Nietzsche. Mais pour peu que l’on considère le compositeur comme le premier des romantiques plutôt que le dernier des classiques, le disque de Sareika et de Savary nous en restitue toute sa puissance et son avant-gardisme.


Le site d’Amandine Savary


Roman Marlière

 

 

 

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