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11/08/2020 Anton Bruckner : Symphonie n° 6 en la majeur (1879-1881) Bergen filharmoniske orkester, Thomas Dausgaard (direction)
Enregistré en studio dans la salle Grieg de Bergen) – 52’48
BIS Records BIS-2404 – Notice (en anglais, allemand et français) de Horst A. Scholz
Anton Bruckner : Symphonie n° 6 en la majeur (1879-1881)
Karl Amadeus Hartmann : Symphonie n° 6
SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, Ferdinand Leitner (direction)
Enregistré au studio Hans Rosbaud de Baden-Baden (27-28 octobre 1982) – 79’59
SWR Music Centuries Classics SWR19523CD
«Mariss Jansons dirigiert Anton Bruckner»
Anton Bruckner : Symphonies n° 3 en ré mineur, WAB 103 (version 1889) [1], n° 4 «Romantique» en mi bémol majeur, WAB 104 (version 1878-1880) [2], n° 6 en la majeur, WAB 106 (version 1879-1881) [3], n° 7 en mi majeur WAB 107 (version 1881-1883) [4], n° 8 en ut mineur, WAB 108 (version Nowak 1890) [5] et n° 9 en ré mineur WAB 109 (version originale) [6]
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Mariss Jansons (direction)
Enregistré en public à la Philharmonie am Gasteig, Munich (20-21 janvier 2005 [1], 26 et 28 novembre 2008 [2], 13 et 17 janvier 2014 [6], 22-23 janvier 2015 [3] et 13 et 18 novembre 2017 [5]) et dans la grande salle du Musikverein, Vienne ( 4 novembre 2007 [4]) – 384’45
Coffret de six disques BR-Klassik 900718 – Notice (en allemand et en anglais) de Renate Ulm
Sélectionné par la rédaction
Décidément, l’engouement des orchestres et des chefs pour les symphonies d’Anton Bruckner (1824-1896) ne se dément pas, chaque mois délivrant au critique musical son lot de disques consacrés à l’un des maîtres de la symphonie au XIXe siècle. En voici trois nouveaux exemples: après une confrontation consacrée dans nos colonnes, au mois d’octobre dernier, à la Première Symphonie, nous proposons ici un comparatif dédié à l’autre «petite effrontée», Bruckner ayant en effet affublé de ce sobriquet («Das kecke Beserl») deux symphonies: la Première et la Sixième.
Commençons par un chef que l’on n’attendait guère dans Bruckner, à savoir le Danois Thomas Dausgaard, directeur musical en titre de l’Orchestre symphonique de Seattle. S’il a certes déjà enregistré la Deuxième Symphonie avec l’Orchestre de chambre de Suède, le grand compositeur autrichien ne fait guère partie de ses habitudes. Sa version de la Sixième n’en est pas moins très honorable! Le début du premier mouvement frappe d’emblée par sa rapidité mais le chef possède un certain sens du rubato (on notera par exemple le ralenti assez prononcé dès 1’34 pour une reprise plus rapide à partir de 8’) qui le conduit tout de même à mener ce Majestoso en 15’04, ce qui est assez conforme à la moyenne. Le côté «espiègle» de l’œuvre est très bien retranscrit avec des passages de cordes assez enlevés. L’Adagio est particulièrement réussi, le chef restituant parfaitement la noirceur du magnifique passage à 4’50 où la tonalité se veut bien plus mahlérienne que véritablement brucknérienne, les couleurs diaphanes de la fin du mouvement étant également très bien rendues par une formation de très bon niveau, l’Orchestre philharmonique de Bergen. Le Scherzo est bien emmené même si l’indication de la partition («nicht schnell») n’est pas pleinement respectée, le discours étant mené plutôt tambour battant: on n’en demeure pas moins pris. Grosse déception en revanche pour le dernier mouvement, que Thomas Dausgaard ne nous semble pas parvenir à véritablement gérer. Alors qu’une certaine maîtrise du temps serait là aussi nécessaire pour bien faire ressortir un climat qui devrait s’avérer globalement dramatique, le chef s’avère à nos yeux trop pressé et a même tendance à franchement devenir brouillon. Dommage qu’il nous faille conclure sur une note aussi négative alors que l’interprétation, dans son ensemble, mérite tout de même qu’on lui prête une oreille plus que bienveillante.
Dans son livre consacré aux grands chefs d’orchestre (voir ici), Christian Merlin ne lui consacre pas de notice, ni même étonnamment une seule ligne. Et pourtant, même s’il ne peut sans doute pas être considéré comme une des très grandes baguettes du XXe siècle, Ferdinand Leitner (1912-1996) mérite sans doute d’être quelque peu réhabilité. Ayant étudié la musique à Berlin entre 1926 et 1931, il devint l’assistant de Busch à Glyndebourne avant de faire carrière essentiellement en Allemagne (à Stuttgart) mais aussi à Zurich et à la tête de l’Orchestre de la RAI de Turin, ce qui lui vaudra tout de même d’enregistrer de très nombreux disques pour Deutsche Grammophon dans les années 1950 et 1960, notamment avec le Philharmonique de Berlin (on se souvient tous de l’intégrale des Concertos pour piano de Beethoven avec Kempff) et l’Orchestre symphonique de Bamberg. Très attaché à la musique de son temps, il est également connu pour avoir conduit les répétitions de The Rake’s Progress de Stravinsky, préparant l’orchestre de la Fenice en 1951 pour la création de l’œuvre sous la direction du compositeur lui-même. Le présent disque n’est pas une nouveauté puisqu’il a déjà été édité chez Hänssler Classic en 2002; rien à chercher donc du côté de l’inédit. Le premier mouvement est excellent: le climat, très différent de celui imposé par Dausgaard, est marqué par une plus grande noirceur. Légèrement plus lent (15’51), il bénéficie, outre d’un bon orchestre, d’une conduite extrêmement maîtrisée de la part de Leitner, qui dirige l’ensemble sans excès, avec une rigueur toute tudesque sans jamais être raide pour autant. L’Adagio bénéficie également de cette probité un rien austère et l’auditeur ne devra donc pas essayer d’y trouver de quelconque épanchement; de fait, la saveur et le côté extrêmement prenant de cette page (que sait si bien faire ressortir Mariss Jansons comme on le verra après) font défaut, au bénéfice d’une vision assez distanciée mais, de ce point de vue, très réussie là encore. Ratage assez évident en revanche en ce qui concerne le Scherzo, très massif, sans humour ni légèreté, le Trio central s’avérant des plus pesants. Dommage car les vents, notamment les bois, interviennent tous avec une très grande finesse. Leitner retrouve pour le coup une certaine réussite avec le Finale où, malgré une allure très modeste, les cuivres se donnent à fond et les cordes vrombissent à qui mieux mieux. Une vision assez retenue donc mais qui bénéficie d’une vraie cohérence. En complément, une autre Sixième Symphonie, celle que Karl Amadeus Hartmann (1905-1963) a composée entre 1951 et 1953, année de sa création sous la baguette d’Eugen Jochum. Leitner a toujours défendu la musique de Hartmann et ses affinités avec le compositeur allemand sont ici évidentes. L’Adagio, qui oscille entre musique atonale et tonale, est très bien fait, bénéficiant d’interventions solistes (basson, cor anglais, hautbois, clarinette notamment) qui ne sont pas sans évoquer à l’oreille le Concerto pour orchestre de Bartók. Leitner adopte une direction très souple qui nous conduit dans ces méandres mélodiques avec une grande fluidité, y compris dans certains tutti où percussions, cordes et cuivres se mêlent comme dans un véritable capharnaüm. Le second mouvement –(Toccata variata. Presto) bénéficie dès le début de la grande précision de cordes de l’Orchestre de la SWR avant que les percussions (nombreuses et diversifiées: cymbales, caisse claire, xylophone...) et le piano n’interviennent pour parfois de véritables morceaux de bravoure (les timbales à partir de 8’27!). Le jeu exemplaire des solistes (les deux bassons, les deux clarinettes à partir de 3’58) et l’engagement tant de l’orchestre que du chef font de cette version une véritable réussite. Pour qui souhaiterait acquérir ce disque, on conseillera donc un classement à la lettre «H» comme Hartmann plutôt qu’à «B» comme Bruckner...
Le coffret consacré à Mariss Jansons (1943-2019) vient opportunément nous rappeler que le grand chef avait, dans les dernières années de sa vie pour l’essentiel, souvent dirigé Bruckner, et de quelle manière! Précisons immédiatement que certaines gravures ici sont déjà bien connues puisque figurant dans le magnifique coffret, consacré par l’éditeur BR-Klassik à l’intégrale donnée par l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise des symphonies du maître de Saint-Florian sous la direction de plusieurs chefs prestigieux. On ne pourra donc que renvoyer le lecteur à ce que l’on avait déjà écrit en entendant les Troisième, Quatrième, Septième et Huitième symphonies, toutes enregistrées en concert, cette série de quatre symphonies culminant dans une Troisième dont la réécoute nous convainc encore plus que la première fois: une version à marquer d’une pierre blanche dans la discographie de l’œuvre tant l’équilibre et l’engagement y sont patents. Mais, puisque tel est ici le cœur de notre propos, arrêtons-nous avant tout sur cette Sixième Symphonie, enregistrée au cours de deux concerts de la fin du mois de janvier 2015. Rappelons qu’il est tout particulièrement intéressant d’écouter Mariss Jansons dans cette œuvre puisqu’un de ses principaux concurrents n’est autre que... Jansons Mariss dans une gravure fabuleuse, également en concert, avec Amsterdam (voir ici). A n’en pas douter, le chef letton avait une affinité particulière avec cette Sixième Symphonie dont il livre ici une version de la plus haute tenue. L’orchestre y est rutilant mais sans ostentation tapageuse, sans clinquant de mauvais goût: les solistes sont tous en état de grâce (cor, hautbois, flûte...), les cordes développent un velouté et des phrasés d’une beauté suffocante. Le premier mouvement est grandiose: la pulsation implacable n’empêche pas le chef de mettre en valeur les bois dans certains passages qui font presque figure de pause (le passage à 5’12), Jansons conduisant avec grand art certaines transitions particulièrement redoutables (le passage à 7’30 jusqu’à la reprise du thème initial). Après une coda conclusive du plus bel effet, Jansons nous emmène dans les tréfonds du crépusculaire deuxième mouvement, dont les sonorités donnent ici la chair de poule: plainte, désespoir, solitude, noirceur... Inutile de multiplier les termes pour qualifier cette page des plus prenantes. Le Scherzo, parfois qualifié de véritablement «faustien», est espiègle à souhait, sans se départir tout de même de la grandeur inhérente à cette musique (le tutti de cuivres à 2’26!). Le Finale est quant à lui une véritable explosion de couleurs, le mouvement étant traversé par une rythmique des plus complexes où les thèmes se succèdent et s’enchevêtrent avec un art consommé de la polyphonie. Là encore, l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise brille de mille feux sous la direction énergique de Mariss Jansons qui, à l’instar par exemple de Herbert Blomstedt, aborde ce mouvement davantage sous l’angle de l’explosion d’une joie jubilatoire que sous celui du drame: si la version amstellodamoise nous semble encore supérieure (en raison d’un deuxième mouvement difficilement surpassable à notre sens), nul doute que le présent enregistrement fait tout de même partie des versions les plus recommandables de la Sixième. Un mot maintenant sur la Neuvième qui conclut cet ensemble de six symphonies de Bruckner et qui ne figurait pas dans le coffret précédemment cité (la version qui y figure étant justement dirigée par Blomstedt): à noter que le présent enregistrement (concerts de janvier 2014) précède de peu celui réalisé également par Mariss Jansons en concert, mais cette fois-ci à Amsterdam, au mois de mars (voir ici). On ne trouvera donc guère de différence de style chez le chef, l’orchestre allemand n’ayant bien entendu pas à rougir de la comparaison avec l’orchestre hollandais. Le premier mouvement (Feierlich misterioso) est une réussite en soi: l’orchestre, superbe, suit avec une réactivité impressionnante la direction tout en souplesse de Mariss Jansons (écoutez en priorité la coda d’une beauté et d’une solidité incroyables). On est en revanche un rien déçu par le Scherzo puisque les cordes, après l’introduction des bois, développent un ostinato un peu trop massif et auraient sans doute gagné à être plus percutantes; de fait, le contraste avec le Trio, extrêmement enlevé au contraire, presqu’aérien, n’en est que plus fort. Le troisième mouvement, cette véritable prière composée par Bruckner, est plastiquement idéal: la profondeur des basses offre à l’ensemble de l’orchestre des fondations d’une plénitude et d’une ampleur auxquelles on ne peut être insensible. Pour autant, cette interprétation manque parfois d’intensité et nous semble rester un peu trop souvent à la surface du discours, mais l’écoute de cette Neuvième ne pourra, à l’évidence, être boudée par tout amoureux des symphonies d’Anton Bruckner.
Le site de Thomas Dausgaard
Le site de l’Orchestre philharmonique de Bergen
Le site de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise
Sébastien Gauthier
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