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11/01/2020
Thomas Adès : Paraphrase de concert sur «Powder Her Face» [1] – The Exterminating Angel: «Berceuse» [2] – Mazurkas, opus 27 [3] – In Seven Days [4]
Kirill Gerstein (piano), Tanglewood Music Center Orchestra, Thomas Adès (piano [1], direction [4])
Enregistré en public dans la salle Seiji Ozawa de Tanglewood, Lenox (30 juillet 2018 [4]) et en studio au Symphony Hall de Boston (17 [1] et 19 [2, 3] mars 2019) – 58’52
Myrios Classics MYR027 – Notice (en anglais, allemand et français) de Tom Service


Sélectionné par la rédaction





Thomas Adès, pianiste, concertiste, compositeur et chef d’orchestre britannique né en 1971, est actuellement le partenaire artistique de l’Orchestre symphonique de Boston et par extension de l’Orchestre du Centre musical de Tanglewood, formation de jeunes musiciens sélectionnés et formés par le BSO. Une première commande (honorée en 2018) pour un concerto pour piano pour Kirill Gerstein accompagnait sa nomination à ce poste créé à son intention en 2016. Son étroite collaboration avec le pianiste russo-américain, avec qui il se produit régulièrement en duo ou en tant que chef d’orchestre lors d’œuvres concertantes, lui a inspiré, en plus du concerto, la Berceuse (2018) au programme de ce récent enregistrement où Adès, le compositeur, s’illustre tout aussi brillamment en tant que pianiste aux côtés de Gerstein, et en tant que chef d’orchestre.


La Berceuse est une réinterprétation pour piano de l’une des trois berceuses de l’opéra The Exterminating Angel (2016) qui, avec un même ange symbolique, avaient déjà donné lieu à une version pour alto et piano la même année. Le piano devient ange touchant et consolateur avant de développer tout l’effroi qu’inspirent sa condition et sa terrible mission. Le morceau se termine en résonances et frémissements sismiques nés d’accords et de trémolos assourdissants. Adès aime à retravailler le matériau de partitions antérieures comme il le fait à la Liszt pour la dansante et cruelle Paraphrase de concert sur «Powder Her Face» (2009) pour piano solo, en se limitant à l’essence de seulement quatre scènes de l’opéra. Ce n’est pas sa seule réexploitation de matériaux tirés de cette œuvre de 1994. Il considère que certains thèmes appellent de nouveaux développements qui les métamorphosent. Il ne s’agit pas de simples transcriptions mais de recréations dans un autre genre.


Si la Paraphrase de 2015 pour duo de piano reprend l’œuvre initiale de 2009, au-delà de la densification des textures attendue, Adès procède à un enrichissement transformateur qui crée résonances et contrastes entre les deux pianos et des ornementations en halo du flux de l’un par l’autre. L’adresse et l’expressivité des deux pianistes intiment tout le désastre dramatique d’une papillonnante vie décadente qui touche à sa fin. Sans perdre de sa substance, l’ironique finale se base sur un tango de Carlos Gardel fragmenté, déconstruit et élaboré dans une nouvelle dimension. C’est un des nombreux exemples qui montrent comment Adès arrive à citer ou à faire référence à un connu stylistique sans s’y plier. Autre exemple, les trois Mazurkas qui déferlent en un Moderato provocant et généreux, un Prestissimo ruisselant et un tragique Grave balbutiant. Composées en 2010 pour le bicentenaire de Chopin, elles font très nettement allusion au style du compositeur polonais, à sa grâce, son ampleur et jusques aux divines hésitations de son rubato, mais, loin du pastiche, c’est une puissante évocation qui fait néanmoins appel à tant de distorsion et de distanciation qu’au travers d’irrégularités rythmiques, de dissonances et d’intrus sonores, elle ne peut être que signée d’Adès. Gerstein vient à bout de ces pages inventives avec un sens du phrasé remarquable et une précision digitale qui, sur toute l’étendue de chaque morceau, en accusent la profondeur de champ.


Un grand nombre d’œuvres d’Adès sont programmatiques au sens large, c’est à dire une source littéraire ou picturale peut les inspirer mais le résultat, ambigu et inattendu, fuit le linéaire anecdotique. Dans le cas d’In Seven Days (2008), «symphonie pour orchestre avec piano obbligato» selon le point de vue de Gerstein, la source est biblique. Suivant le premier livre de la Genèse, les sept mouvements correspondent aux six jours de la création du monde et au jour de repos, qui devient ici «Contemplation», une longue coda qui calme l’instinct créateur. Quelques notes égrenées forment un premier thème qui sera soumis à variations, seul ou mêlé à un second thème formé d’accords qui, harmoniquement, invitent une exploitation à métamorphoses. La tension est permanente. Chaque mouvement se pose sur un substrat mouvant, grouillant, fébrile, tout comme on peut imaginer le travail incessant de création, alors que les lignes principales évoquent les aspects, les couleurs et la nature profonde de l’objet de chaque nouvelle étape. Le troisième mouvement, «Land - Grass - Trees», à mi-chemin du travail de création, marque un premier point culminant extraordinaire. A partir d’un seul accord au piano, s’y développent deux crescendos, le premier tendu et timide, le second immense. Celui-ci gagne en vitesse, en ampleur et en étendue grâce à l’augmentation du nombre et de la variété des instruments et à l’efficacité engagée des jeunes musiciens dirigés par le compositeur.


C’est un ensemble dense, changeant, haut en couleurs, et c’est tout à fait captivant. A la création, une installation vidéo l’accompagnait mais Adès et Gerstein, efficaces et investis, portent la preuve, si besoin en était, que la «symphonie» est brillamment autonome. Comme pour les autres œuvres au programme, on peut remarquer que le langage d’Adès semble être plus accessible que celui de certaines autres musiques contemporaines, peut-être parce qu’il passe sans heurt du tonal au modal, à l’atonal ou à la dissonance grâce aux systèmes harmoniques employés et qu’il fait référence, indirectement, par éclairs taquins ou par le choix parfois éphémère d’une forme connue, à notre culture musicale enracinée. Cela n’altère en rien son originalité et sa valeur. Bravo.


Le site de Thomas Adès
Le site de Kirill Gerstein


Christine Labroche

 

 

 

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