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08/30/2020 Antonio Vivaldi : Concertos pour clarinette et orchestre n° 1 en si bémol majeur «Sant’Angelo», n° 2 en ré mineur «La Fenice» et n° 3 en fa majeur «Il Mezzetino» – Il Giustino, RV 717: Sinfonia pour cordes et basse continue en ut majeur – L’Olimpiade, RV 725: Sinfonia pour cordes et basse continue en ut majeur – Juditha triumphans, RV 644: air pour chalumeau «La Tortora» (arrangements Andreas Nicolai Tarkmann) Martin Fröst (clarinette), Concerto Köln, Alexander Scherf (violoncelle solo et direction)
Enregistré aux studios Stolberger, Cologne (17-21 juin 2019) – 58’50
Sony Classical 886447483497 – Notice (en anglais et en allemand) d’Andrea Enzmann
Sélectionné par la rédaction
Aurait-on raté une découverte musicologique majeure? C’est toujours possible bien évidemment mais voir ainsi paraître un disque où se trouvent notamment trois concertos pour clarinette d’Antonio Vivaldi, voilà qui ne peut qu’interpeller. Car, on le sait, Vivaldi n’a jamais composé pour cet instrument. Il a certes eu recours au chalumeau (le scialumò en italien, que l’on connaît aussi dans les partitions baroques sous le nom de salmoè), notamment dans l’air bien connu «Veni, veni me sequere fida» tiré de Juditha Triumphans, qui requiert un chalumeau soprano pour incarner une tourterelle. On sait également que Vivaldi a composé spécifiquement trois concertos pour le chalumeau, que certains attribuent spécifiquement à la clarinette puisque les partitions portent chacune le mot de clarino en tête de portée (l’instrument, inventé par le facteur Christian Denner à Nuremberg à la toute fin du XVIIe siècle, ayant, il est vrai, sans doute fait son apparition à l’Ospedale della Pietà vers 1716), répertoriés sous les numéros RV 556 (le célèbre Concerto «Per la Solennità di S. Lorenzo», qui requiert deux clarinettes au sein d’un effectif extrêmement varié), RV 559 (un concerto en ut majeur pour deux hautbois, deux clarinettes et basse continue) et RV 560 (même tonalité et même effectif).
Alors, qu’en est-il en l’espèce? En vérité, il ne s’agit que d’une transcription pour clarinette de divers airs d’opéras de Vivaldi qui ont ensuite été assemblés pour former donc trois concertos, invention due à la main experte du compositeur et arrangeur allemand Andreas Nicolai Tarkmann (né à Hanovre en 1956). Il en résulte ainsi un premier concerto qui puise à la fois dans L’Olimpiade RV 725 (les deux premiers mouvements) et Ottone in Villa RV 729 pour le troisième, un deuxième qui boit respectivement à la source de La fida ninfa RV 714, Il Giustino RV 717 et Juditha triumphans RV 644, et enfin un troisième concerto qui s’inspire successivement, pour chacun de ses quatre mouvements, de Tito Manlio RV 738, Juditha triumphans, Il Giustino et Tieteberga RV 737.
Avouons d’emblée que nous ne sommes guère féru de ce genre de partitions ou de tentatives, la voix humaine ne pouvant bien entendu être remplacée d’une quelconque manière dans ces opéras (ou, pour Juditha triumphans, oratorios), où la variété des atmosphères, la liberté dans les appogiatures et le mariage avec l’orchestre ne peuvent en aucune manière trouver de remplaçant à la hauteur. Mais, après avoir plusieurs fois écouté ce disque, comment ne pas être séduit et même, en fin de compte, totalement convaincu par cette prestation?
Car le résultat est incroyable.
Incroyable tout d’abord en raison de la technique époustouflante de Martin Fröst: on se demande même comment il parvient à un tel résultat dans l’art du détaché ou dans le jeu des ornementations. Ecoutez à ce titre, en priorité, le premier mouvement du Concerto n° 1 (ou le troisième mouvement dont les aigus chatoyants rappellent certains concertos composés par Molter) ou, surtout, le dernier mouvement du Concerto n° 3, où les sons déployés s’avèrent aériens et d’une légèreté quasi surnaturelle mais surtout avec une technicité que l’on n’a que rarement entendue portée si haut pour la clarinette. Mais Martin Fröst n’est pas seulement cela: il sait également faire montre d’une musicalité tout à fait exemplaire, à l’image du célèbre et bouleversant «Mentre dormi, Amor fomenti» tiré de L’Olimpiade RV 725, ici le deuxième mouvement du Concerto n° 1. A n’en pas douter, la clarinette émeut autant que la voix, fut-elle par exemple celle de Lea Desandre lors d’un concert récemment entendu. Quant aux emportements qui évoquent, comme souvent chez Vivaldi, les colères les plus froides et les amours les plus passionnées, Martin Fröst se mesure sans peine aux vocalises et incarnations par exemple d’une Sandrine Piau dans l’air «Alma oppressa da sorte crudele» qui conclut la scène 9 du premier acte de La fida ninfa. Le seul air peut-être où la clarinette doit céder devant la voix est «Vedrò con mio diletto» (Il Giustino) où, là encore, Lea Desandre ou Jakub Józef Orlinski avaient davantage su nous séduire.
Incroyable également grâce au soutien et à la complicité de l’excellent (comme toujours) Concerto Köln, dirigé du violoncelle par Alexander Scherf. L’orchestre est là aussi formidable, qu’il joue en soutien (le troisième mouvement du Concerto n° 1 déjà évoqué ou l’extraordinaire Andante du Concerto n° 3, merveille d’équilibre tiré lui aussi d’Il Giustino, opéra décidément à redécouvrir!) ou seul comme pour ces deux introductions, chacune en trois mouvements, d’opéras que sont Il Giustino et L’Olimpiade. Une relative déception viendra néanmoins de l’air célèbre de Juditha triumphans, «Veni, veni me sequere fida», où le remplacement de la voix par le violoncelle (il ne pouvait en être autrement, Martin Fröst tenant bien évidemment à la clarinette la partie dédiée au chalumeau) ne s’avère pas des plus convaincants, surtout lorsqu’il n’arrive pas tout à fait à se hisser au niveau de la douceur et de la chaleur du clarinettiste suédois.
Voilà donc un disque des plus originaux où le pari initial était risqué. Dire qu’il est ici remporté haut la main tient de l’évidence et il y a fort à parier que Vivaldi, à une époque où le pasticcio était monnaie courante, n’aurait pas renié un tel résultat qui, écoute après écoute, s’avère totalement bluffant.
Le site de Martin Fröst
Le site du Concerto Köln
Sébastien Gauthier
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