|
Back
08/06/2020
Francis Poulenc: Lettres inédites à Brigitte Manceaux
Editées par Pierre Miscevic
Orizons – 415 pages – 27 euros
 Sélectionné par la rédaction
Myriam Chimènes a rassemblé il y a plus de vingt-cinq ans la correspondance de Poulenc chez Fayard, un ouvrage important mais incomplet. En effet, Pierre Miscevic édite, à son tour, les lettres adressées à Brigitte Manceaux (1914-1963), fille de sa sœur Jeanne, et qui n’avaient jamais été rendues publiques, à quelques exceptions – en tout 192, datées de 1941 à 1963.
Ce recueil comporte la lettre testamentaire de 1954 à l’intention de sa nièce, sa légataire universelle. Brigitte la découvre suite à la mort de Poulenc et apprend avec sidération l’existence d’une fille, Marie-Ange, que ce dernier n’a jamais voulu reconnaître officiellement. Cette révélation cause un choc considérable à cette confidente à qui le compositeur dévoile bien des aspects de sa vie privée, alors qu’il dissimile à d’autres amis et membres de sa famille de nombreux recoins de son existence.
Ces lettres, qui reflètent la complexité et la richesse de la personnalité et de l’existence de Poulenc, ne permettent pas d’en savoir beaucoup sur Brigitte, soudainement et prématurément disparue quelques mois après lui. Mais il parait évident que cette femme, qui jouait et enseignait le piano, vit de manière privilégiée la genèse et la création des œuvres de son oncle, en particulier des Dialogues des carmélites, qui lui causèrent tant d’efforts. Forte et fière de cette relation de confiance, elle exerça de bonne grâce une fonction d’assistante ou de secrétaire, un terme qui ne doit pas être pris ici dans un sens péjoratif. Il est savoureux de lire Poulenc demander, à maintes reprises, à Brigitte de se charger de diverses commissions, lui si souvent en villégiature ou en tournée, avec Pierre Bernac ou Denise Duval – ses récits de voyage, en particulier à New York, sont particulièrement vivants, et même truculents.
Poulenc ouvre donc à sa nièce adorée les portes de son atelier et de sa vie sentimentale. Il lui écrit dans un style fluide et concis, construisant ses phrases de manière personnelle, avec légèreté ou gravité, à l’image de sa musique. Le contenu peut souvent paraitre factuel, voire anecdotique, mais il faut s’attarder sur ces lettres pour déceler entre les lignes tout ce qui rend cette existence et cette époque passionnantes.
Cette publication bénéficie d’un appareil éditorial de premier ordre. Auteur d’une introduction aussi éclairante qu’admirablement écrite, Pierre Miscevic annote précisément chaque lettre et carte – 1400 notes, au total, ce qui témoigne d’un immense travail de documentation et de recherche. Le livre se clôt ainsi par un index des amis et membres de la famille de Poulenc, complété d’une notice biographique pour chacun d’eux. Aidé par d’utiles repères chronologiques, le lecteur passionné s’attardera sur le cahier en papier glacé reproduisant de belles photographies du compositeur, seul ou entouré de ses proches, autant d’images empreintes d’émotion et de nostalgie.
Sébastien Foucart
|
