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07/31/2020 Joseph-André Metten : Gustav Mahler. Un génie universel Editions L’Harmattan – 230 pages – 23,50 euros
Après Un couple pour la vie, témoignage écrit avec sa défunte femme sur sa vie de couple, Joseph-André Metten, ingénieur civil, économiste de l’université de Liège et passionné de musique classique, se lance dans un opus sur Gustav Mahler retraçant l’essentiel de la vie et de l’œuvre du compositeur.
Cet ouvrage aux dimensions respectables nous amène d’abord à nous poser la question: comment écrire sur Mahler après Henry-Louis de La Grange? Peut-être en annonçant d’emblée, comme le fait M. Metten que, n’étant pas musicologue, ce qu’il rappellera plusieurs fois dans son ouvrage, il ne cherche pas à aborder les œuvres sous leur aspect technique. Néanmoins, il fait le choix de les considérer dans la longue première partie, en dressant une analyse des symphonies mouvement par mouvement, d’après une approche descriptive sans originalité et sans intérêt réel pour le lecteur. Il est malheureusement difficile de rendre intéressant un discours sur la musique en négligeant de parler de la musique même, au travers de la partition! D’autant plus lorsqu’il s’agit d’œuvres symphoniques et non d’opéras, où le non-spécialiste peut s’appuyer sur le livret. A ce titre, on peut penser à Jean-Victor Hocquard, plus convaincant dans ses analyses des opéras de Mozart que lorsqu’il rend compte de ses symphonies.
Malgré les nombreuses citations de chefs d’orchestre et musicologues intercalées, l’analyse par M. Metten des symphonies de Mahler apparaît comme une énumération lassante et monotone qui semble avoir pour seul but de clamer l’admiration d’un homme pour un autre homme dont il pressent la grandeur, sans pouvoir toutefois en expliquer les raisons objectives. Le ton général est à la louange, comme une ode au génie mahlérien – agrémentée d’une suite de qualificatifs admiratifs ne révélant en définitive que l’exaltation de l’auteur pour le musicien – empruntant l’indicatif présent dans un style journalistique qui sied peu au propos.
La lecture devient plus intéressante dès lors que M. Metten aborde la vie du compositeur, sa destinée avec Alma, l’infidélité de celle-ci ou encore sa rencontre avec Freud. Ces passages biographiques, qui alternent avec la description des symphonies, aèrent en effet le discours dont les nombreuses anecdotes – amusantes ou tristes – contribuent à attirer l’attention et la curiosité du lecteur et rendent le contenu plus vivant. On peut penser que ceci est dû à une identification de l’auteur à certains aspects de la vie du compositeur – il n’hésite pas à introduire des éléments de sa vie privée – dont il semble partager les souffrances; ainsi apprend-on en plein milieu de son opus qu’il a vécu «le même drame que Gustav et Alma Mahler», la perte d’un enfant.
M. Metten paraît également plus à l’aise quand il évoque les principales sources littéraires des textes chantés, auxquelles il consacre quelques pages à la fin de la première partie; il est regrettable cependant d’avoir opté pour une présentation sous forme d’énumérations laborieuse.
La forme générale de l’ouvrage suit malheureusement la même logique qui, malgré le contenu intéressant de certaines parties, rend la lecture vite ennuyeuse. Cette construction déconcertante, dont le seul repère s’appuie sur la chronologie, fait appel à une numérotation confuse mélangeant caractères romains et chiffres arabes où le lecteur se perd facilement dans la hiérarchisation des parties et sous-parties et finalement ne parvient plus à discerner l’important de l’accessoire. Les titres, trop longs, contiennent des informations en surabondance, à tel point que le développement qui suit devient presque superflu, comme le montre les exemples suivants: «II.2.1.1.1. (1884) Bruno Walter (1876-1962) – chef d’orchestre, compositeur et pianiste allemand, héritier naturel de Mahler» ou encore «II.2.2.2. (1973) Daniel Barenboïm (1942- ) – pianiste et chef d’orchestre argentin et israélien (il est également porteur d’un passeport palestinien». Cette surcharge d’informations superflues, que l’on peut attribuer à une maladresse de l’auteur, apparaît aussi dans la première partie analytique dans les nombreux détails (lieux, chef d’orchestre) concernant les représentations de chaque symphonie, qui, en définitive, n’apportent rien à la lecture et ne font que la rendre fastidieuse.
Il convient néanmoins de saluer le travail de recherche de l’auteur qui s’est appuyé, dans la rédaction de son livre, sur de nombreuses sources (Henry-Louis de La Grange, Theodor Adorno, Nathalie Bauer-Lechner, Isabelle Werck ou Jean Matter – entre autres –) citées abondamment. On peut en revanche regretter l’absence de bibliographie à la fin de l’ouvrage.
A son crédit, il semble que M. Metten soit un bon connaisseur de la programmation de la musique de Mahler dans les grandes salles à travers le monde, des différents chefs d’orchestre qui l’ont dirigée ainsi que des multiples enregistrements qui ont vu le jour depuis les années 1960/1970, période qui correspond à la redécouverte du compositeur autrichien. Il se tient donc informé de l’actualité mahlérienne y compris la plus récente comme l’annonce de la Sixième Symphonie à la Philharmonie prévue le 4 mars 2020 mais annulée en raison de la crise sanitaire.
Concernant cette Sixième Symphonie, on aurait apprécié, dans le dernier chapitre consacré aux chefs d’orchestre ayant un lien tout particulier avec Mahler, que l’enregistrement historique de la «Tragique» dirigé par Kirill Kondrashin ne soit pas omis, d’autant qu’une place non négligeable est donnée aux interprétations de Barenboïm et de Harding, qui se situent très loin derrière celles du chef russe.
Plutôt qu’une présentation essentielle, l’ouvrage de M. Metten s’offre comme un témoignage personnel sous la forme d’un long éloge visant à justifier le «merveilleux personnage de Mahler», «humaniste», «prophète», «visionnaire», et enfin «génie universel».
Jessica Naïm
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