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07/19/2020
«Voices of Angels»
Brett Dean : Voices of Angels [1]
Sofia Goubaïdoulina : Ein Engel [2] – Meditation über den Choral «Vor deinen Thron tret’ ich hiermit» [3]
Serge Rachmaninov : 14 Romances, opus 34: 8. «Mouzyka» – 12 Romances, opus 21: 7. «Zdes’ khorosho» [4]
Johann Sebastian Bach : 18 Leipziger Choräle: 18. «Vor deinen Thron tret’ ich hiermit», BWV 668 (transcription pour violon, alto, violoncelle et contrebasse) [5]
Richard Wagner : Wesendonck-Lieder, WWV 91: 1. «Der Engel» [4]
Alfred Schnittke : Hymn II [6]

Christianne Stotijn (mezzo-soprano) [2, 4], Andrej Power (violon) [1], Lawrence Power (alto) [1, 3], Stockholm Syndrome Ensemble: Malin Broman (violon) [3, 5], Malin William-Olsson (violon [5], alto [3]), Johannes Rostamo (violoncelle) [1, 3, 5, 6], Rick Stotijn (contrebasse) [1, 2, 3, 5, 6], Simon Crawford-Phillips (clavecin [3], piano [1, 4])
Enregistré à Stockholm (septembre 2017 [1, 3] et octobre 2018 [2, 5] et à Västerås (juin 2019 [4]) – 64’12
SACD BIS Records BIS-2344 – Livret (en anglais, allemand et français; textes inclus) de Paul Griffiths





Fondé en 2012, l’Ensemble Stockholm Syndrome réunit cinq musiciens, concertistes, ou membres de l’un des quatre orchestres de Stockholm, animés du désir commun de présenter des programmes qui sortent des sentiers battus, bâtis autour d’une pensée, une œuvre ou une personne par association d’idées évidentes et inattendues. Augmenté à l’occasion d’instruments d’amis invités, l’effectif du Stockholm Syndrome seul correspond à celui du quintette avec piano, une contrebasse en plus et un violon ou un alto en moins selon les besoins. Pour «Voices of Angels», ils partent de l’œuvre éponyme de Brett Dean (né en 1961) pour construire un programme autour du thème de l’ange et d’une certaine emprise spirituelle, mêlant comme ils ont coutume les styles et les époques. A la recherche d’une voix humaine bien réelle, et conscient de la puissance virtuose qu’exige Voices of Angels (1996), le quintette invite Christianne Stotijn, mezzo-soprano néerlandaise, Andrej Power, premier violon de l’Orchestre philharmonique royal de Stockholm et Lawrence Power, ami et excellent altiste de renom. Tout cela ne va pas sans prise de risque mais, à huit, ils captivent leur auditoire et le «syndrome de Stockholm» opère pleinement.


Compositeur et altiste australien, et de 1985 à 1999 membre des Berliner Philharmoniker, Brett Dean compose Voices of Angels pour les concerts de chambre donnés par des solistes de l’orchestre. Inspirée des anges des Elégies de Duino de Rilke, la pièce expressionniste crée un univers parallèle où les anges, dénués de tout sentiment religieux mais détenteurs d’une énergie volcanique et spirituellement intense, errent entre le domaine très animé des vivants et le domaine crépusculaire des morts. Conséquente par la durée, la partition, globalement atonale, navigue entre dissonance et consonance, polarisée à l’occasion sur E (mi) pour Engel. Le violon, sorti du néant, lance en douceur le premier volet dynamique, «Evocation»; le second, «Different Realms», passe d’un diurne éruptif à un nocturne fantasque. Diverses techniques de jeu aux cordes épicent les tremolos, les notes répétées, les notes tenues et les instants lyriques ou syncopés, qui, isolées ou accumulées, engendrent des couleurs intenses ou diaphanes, éclairées des accords et envolées lumineux du piano. Chaque instrument peut dominer l’ensemble, se fondre à l’ostinato ou se mêler aux vives strates empilées, qui criaillent comme une nuée d’oiseaux déchirant le ciel de leurs battements d’aile.


L’ange de Sofia Goubaïdoulina (née en 1931) est plus réconfortant. Christianne Stotijn et Rick Stotijn, son frère, sont les deux interprètes d’Ein Engel (1994) sur le poème d’Else Lasker-Schüler. La voix ronde de la mezzo-soprano distille une ligne mélodique hautement originale ornée des interventions intermittentes d’une contrebasse discrète, qui s’affirme ensuite seule en reprenant le chant à son compte comme un Lied ohne Worte, sa belle voix sombre ponctuée de silences éloquents. La prise de son très proche empêche les aigus évanescents, cependant, et l’ange de Richard Wagner (1813-1883) en souffre davantage. «Der Engel» ouvre les Wesendonck-Lieder (1857-1858) dont tant de belles interprétations rendent exigeant, il est vrai, face à toute nouvelle tentative. Les mêmes aigus trop perçants perturbent à l’occasion les mélodies de Serge Rachmaninov (1873-1943) aux instants où la mezzo-soprano développe en crescendo une tenue de note, mais Christianne Stotijn communique avec adresse l’emprise spirituelle de la musique et de la nature qu’expriment respectivement «Musique» (1912) et «C’est beau ici» (1902), romances de deux recueils différents bien soutenues au piano par Simon Crawford-Phillips.


Le choral Devant ton trône je vais comparaître, méditation intime de Johann Sebastian Bach (1685-1750), sert ici de prélude à une nouvelle méditation en hommage. Il n’est interprété ni à l’orgue ni au clavier mais par les quatre instruments à cordes de l’Ensemble. Trois voix célestes prennent appui sur le souffle profond de la contrebasse et c’est tout à fait plaisant de l’entendre ainsi. Entre recueillement et effroi, la Méditation (1993) de Sofia Goubaïdoulina, fait offrande d’un festin de timbres rares et raréfiés, déployés en une suite de sons composés qui, de manière organique, se transforment et s’épanouissent dans une puissante poussée en avant. La tension est extrême. La composition, qui obtient technicité, musicalité et maîtrise de ses interprètes, doit pourtant sa facture raisonnée aux lettres BACH, JESUS et SOFIA, et aux nombres qui ressortent du calcul de leur valeur selon leur place dans l’alphabet.


L’emprise spirituelle revêt une importance presque révolutionnaire pour les compositeurs russes de l’époque soviétique. De la même génération que Goubaïdoulina, Alfred Schnittke (1934-1998) sait aussi y trouver inspiration. Entre 1974 et 1977, il compose quatre Hymnes pour violoncelle principal et petit ensemble instrumental, celui-ci différent pour chacun. Hymne II réunit le violoncelle et la contrebasse pour un jeu de contrastes entre accords et harmoniques, cordes frottées et pincées, douceur et puissance, qui éclaire le monde d’une lumière noire. E (mi) pour Engel joue un rôle de pivot et Rilke impose de nouveau sa voix: «Tout ange est terrible».


Un certain équilibre atteint en alternant par deux les pièces instrumentales et celles avec voix, plus brèves, la richesse, la diversité et l’originalité du programme plaident en la faveur du très compétent Ensemble Stockholm Syndrome et de ses invités de marque. Ils mènent ce beau projet à bien avec feu et conviction et c’est, sans aucun doute, une aventure à tenter.


Le site de Christianne Stotijn
La page d’Andrej Power sur le site de l’Orchestre philharmonique royal
Le site de Lawrence Power
Le site de l’Ensemble Stockholm Syndrome


Christine Labroche

 

 

 

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