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07/16/2020
«Quinze»
Gilles Binchois : Amours mercy de trestout mon pooirLiesse m’a mandé salutQuoy que Dangier Male Bouche et leur gentMa dame que j’ayme et croyAdieu ma dulceJe me recomande humblementMargarite fleur de valeurAmours et souvenir de celleMon cuer chante joyeusementMa leesse a changié son nomAmoreux suy et me vient toute joyeAmours et qu’as tu en penséMes yeux ont fait mon cuer porterLes tres doulx ieux du viaire ma dameFilles a marier ne vous mariez jaSe je souspire plains et pleureHélas que pouray je plus faireVostre alee me desplaist tantJ’ay tant de deul que nul homs peut avoir
Johannes Ockeghem: J’en ay dueil que je ne suis morteMort tu as navré de ton dartS’elle m’amera je ne scayLes desleaulx ont la saisonPrenez sur moi vostre exemple amoureuxUng aultre l’a n’en querés plusL’autre d’antan l’autrier passaSe vostre cuer eslongne de moy a tortBaisiés moy donc fort ma maistresse
Josquin des Prez: Baisés moy ma doulce amyeNimphes des bois, déesses des fontaines

Comet Musicke: Sarah Lefeuvre (soprano, flûte à bec), Marie Favier (mezzo-soprano), François Joron (baryton), Erwan Picquet (baryton), Aude-Marie Piloz (vièle, viole Renaissance), Daniela Maltrain (viole de gambe), Cyrille Métivier (cornets, flûte à bec, contre-ténor), Camille Rancière (vièle, baryton), Francisco Manalich (ténor, vièle, viole Renaissance, direction artistique)
Enregistré à Lannion (22-25 octobre 2018) – 95’03
Album de deux disques Son an ero 13 (distribué par UVM)


Sélectionné par la rédaction






L’ensemble Comet Musicke aborde le vaste répertoire de la musique ancienne, de la polyphonie de la Renaissance aux airs baroques, et se produit régulièrement dans de nombreux festivals en ayant à cœur de de «féconder le passé en fondant l’avenir», restaurant la musique du passé au service du présent.


Pour cet enregistrement, l’ensemble fait le choix d’une anthologie de chansons polyphoniques du XVe siècle autour de Gilles Binchois (c. 1400-1460) et de Johannes Ockeghem (c. 1420-1497), dans une volonté de rendre le plus fidèlement possible la pratique de ces musiques, en se fondant sur une documentation approfondie du contexte historique qui a vu naître les œuvres, de l’étude de l’iconographie (tapisseries, miniatures) aux différents manuscrits et traités. Il s’agit donc d’un travail musicologique sérieux entrepris par Francisco Manalich, directeur artistique, dont le mémoire de master à la Sorbonne portait précisément sur les chansons à trois voix (superius, tenor, contratenor) de Binchois. Dans les nombreux rondeaux et les quelques ballades du maître bourguignon, le texte chanté étant rarement repris aux parties de tenor et contratenor, il a fallu s’interroger également sur la place et le choix des instruments. L’album, fruit d’un travail de recherche qui s’étend également à la collaboration avec des spécialistes pour la fabrication des instruments, apparaît alors comme un terrain d’expérimentation où, outre la restitution de la prononciation au plus proche de la déclamation, les voix sont soutenues par un instrumentarium de plus en plus large et dont les combinaisons – variant sonorités et couleurs – s’inscrivent dans la finalité de «refléter les évolutions organologiques de cette époque», et de créer un renouvellement.


«Quinze», titre du premier album enregistré de l’ensemble, désigne non seulement le XVe siècle mais également les quinze timbres vocaux et instrumentaux qui ont servi à la réalisation de ce disque. De fait, les chanteurs et musiciens, au nombre de neuf au total, font preuve d’une remarquable polyvalence et nous offrent, par ce large coffret, une programmation musicale fournie qui dessine un «portrait profane» de ce XVe siècle, âge d’or de la chanson française.


Représentée par les grands maîtres de l’Ecole franco-flamande – Binchois, Dufay puis Ockeghem et Busnois –, la chanson courtoise jouit d’une grande faveur à l’époque; elle fait partie de la vie même, exprime à la fois l’amour, la joie, la tristesse. Célèbre dans toute l’Europe et adaptée aux instruments (transcrite pour orgue, épinette ou luth), elle accompagne les grandes fêtes et se voit très appréciée des grands seigneurs comme à la cour de Bourgogne, où se concentre sa production.


La filiation entre Binchois et Ockeghem s’enchaîne ingénieusement dans le choix de la programmation, où une cohérence transparaît. Les chansons de Binchois, surnommé le «père de joyeuseté», appartiennent au style nouveau de l’époque et bénéficient de l’influence de la musique anglaise (notamment de Dunstable, installé à Paris), à qui l’on doit le goût de la mélodie, l’usage des ornements fleuris de la voix ou encore les emprunts au faux-bourdon avec ses intervalles de tierces et de sixtes. Les mêmes caractéristiques sont en usage dans la musique sacrée à la seule différence qu’au lieu du tenor, c’est la voix supérieure et mélodique (le superius) qui a la primauté dans la chanson, ce qui constitue le trait marquant du style nouveau. Le lyrisme du verbe poétique se voit ici mis en valeur par la clarté de la prosodie des chanteurs, soucieux de restituer les prononciations de l’époque, encore plus distinctes dans les passages déclamés et non chantés. La grande qualité sonore de ces chansons aux structures polyphoniques à trois parties, qui empruntent les formes simples du rondeau et de la ballade héritée de l’Ars nova au siècle dernier, ressort également du bel équilibre entre les voix et les instruments et la valorisation des timbres, renforcée par le choix pour certaines chansons d’alterner une interprétation exclusivement vocale avec sa version instrumentale, où le superius est prêté à un instrument.


Binchois fut reconnu comme un maître de son vivant, notamment par Ockeghem, son héritier en somme. Ayant composé une vingtaine de chansons – alors qu’on en dénombre une cinquantaine chez Binchois –, Ockeghem s’est surtout illustré dans la musique religieuse. Le ton plus austère du compositeur franco-flamand de la deuxième génération transparaît dans les œuvres proposées en particulier dans la Déploration sur la mort de Gilles Binchois («Mort tu as navré de ton dart/Miserere») de vaste dimension écrite en mémoire du maître bourguignon – utilisant certains éléments de son langage – et adroitement insérée dans le programme. Il y déploie une plainte profonde au superius tandis que le tenor et le contratenor clament la supplication latine «Miserere pie Jhesu Domine, dona ei requiem» («Prends pitié pieux Seigneur Jésus, donne lui le repos») soutenue par un contratenor basis qui fait entendre de longues notes tenues. Ce motet-chanson, modèle traditionnel de la chanson à couplets (ici une ballade) à laquelle s’ajoute un texte sacré chanté par une autre partie sera repris par Josquin des Prez (c. 1440-1521) dans sa douloureuse déploration conjuguant le poème «Nymphes des bois/Déesses des fontaines» à l’introït «Requiem æternam» et que la mort d’Ockeghem lui a inspiré, concluant admirablement cet album, comme un double hommage à deux grands maîtres à l’aube de la Renaissance.


L’auditeur est accompagné tout au long de son «exploration» par la transcription des chansons en français moderne ainsi que grâce à une notice très instructive donnant de précieux éléments de compréhension du langage. Guidé avant tout par un souci d’authenticité, Comet Musicke parvient avec cet album à la fois à la restitution d’un répertoire et à une vision interprétative particulièrement réussie.


Le site de Comet Musicke


Jessica Naïm

 

 

 

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