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06/06/2020
Jules Massenet : Thaïs
Erin Wall (Thaïs), Joshua Hopkins (Athanaël), Andrew Staples (Nicias), Nathan Berg (Palémon), Liv Redpath (Crobyle), Andrea Ludwig (Myrtale), Stacey Tappan (La Charmeuse), Emilia Boteva (Albine), Neil Aronoff (Un serviteur), Toronto Mendelssohn Choir, David Fallis (chef de chœur), Toronto Symphony Orchestra, Jonathan Crow (premier violon), Sir Andrew Davis (direction)
Enregistré à la Roy Thomson Hall, Toronto, Canada (4-9 novembre, 2019) – 131’42
Coffret de deux disques Chandos CHSA 5258(2) – Notice (en anglais, allemand et français, livret inclus) de Hugh Macdonald


Sélectionné par la rédaction





Sir Andrew Davis est actuellement directeur musical et chef principal de l’Opéra lyrique de Chicago, chef principal de l’Orchestre symphonique de Melbourne, et conductor laureate de l’Orchestre symphonique de la BBC et de l’Orchestre symphonique de Toronto, dont il est en ce moment le directeur artistique intérimaire. Il a dirigé Thaïs à plusieurs reprises, dont deux fois, à Edimbourg et à Melbourne, avec Erin Wall dans le rôle-titre. A Toronto, il réunit des talents principalement canadiens et britanniques et, à la tête de son orchestre sur scène avec eux, il démontre la force de cette comédie lyrique en trois actes et sept scènes en version de concert, version qui souligne le rôle important octroyé à l’orchestre, protagoniste du drame. En effet, l’orchestre campe les décors, crée les climats, caractérise les personnages, appuie les sous-entendus et avance le récit, l’exemple le plus étendu et le plus frappant étant la célèbre «Méditation», le point tournant du drame, qui par la suite se distille au travers des moments-clés des relations entre Thaïs et Athanaël. Massenet (1842-1912) déclare avoir «travaillé en vivant avec le [Thaïs] d’Anatole France» et on ose penser que, par moments, la partie orchestrale compense l’absence de l’ironie sceptique de France, gommée du livret poétique en prose (poème mélique) de Louis Gallet (1835-1898).


Les forces orchestrales sont importantes mais Massenet se concentre sur les couleurs et sur la transparence, étoffant ou affinant les textures selon les effets ou les caractérisations voulus. L’exotisme était à la mode mais il n’y a recours que pour établir une couleur strictement nécessaire au climat, tout comme il réserve une certaine stylisation grégorienne aux religieux. Préludes, visions symphoniques, méditation ou accompagnement, l’orchestre sert toujours le drame. Davis dirige un Orchestre symphonique de Toronto investi avec beaucoup d’acuité, soignant le relief et l’équilibre avec les voix. On peut apprécier, au deuxième acte, leur interprétation tout à fait dans la note du prélude orientalisant qui évoque la maison de Thaïs, l’Egyptienne, au moyen d’un hautbois, un cor anglais et un piano rehaussés de tintements de crotales et de pulsations de darbouka. A l’opposé, vient leur manière de faire sonner les accords dramatiques à la Mahler du prélude à l’acte trois, en contraste avec la grâce fragile des motifs y alternés. Ils abordent peut-être trop violemment la course folle d’Athanaël dans la nuit vers une Thaïs mourante mais ils y enchaînent des échos de la «Méditation» avec une juste délicatesse. Leur prestation dans la «Méditation» in situ, coup de génie dramatique et musical de Massenet, reste d’une belle discrétion, le violon sensible de Jonathan Crow tout à fait éloquent.


Massenet confie le rôle de l’éternel amoureux non au ténor attendu mais à un baryton. La belle voix profonde et chaleureuse de Joshua Hopkins traduit d’entrée toute l’ambiguïté du rôle d’Athanaël, dont la ferveur dirigée vers le spirituel chemine vers une prise de conscience d’une ardeur plus humaine. Thaïs fait le chemin inverse, quoique non sans ambiguïté à son tour. Le rôle exige beaucoup de l’interprète. Ecrits pour mettre en valeur la tessiture extraordinaire de Sybil Sanderson, soprano de la création en 1894, les contre-ut ne manquent pas. Erin Wall, soprano à la voix riche, les assure avec souplesse, ceux filés en douceur tout à fait exquis alors que, à pleine voix, le son est moins rond. On ne peut lui reprocher que sa diction et l’approximation de son français. Tout à fait à l’opposé, sybarite désinvolte et charmant, Nicias survole le drame non sans reconnaître les désirs d’un ailleurs de ses deux amis, et sa munificence les sauve in extremis du dépit d’une foule enragée. Andrew Staples, ténor, le campe avec une élégante conviction. Sa présence scénique l’étoffe et sa voix fluide et agréable lui confère un petit air d’innocence et de fraîcheur. Erin Wall et Joshua Hopkins nuancent à souhait les échanges intimes entre leurs personnages, antagonistes, compréhensifs, tendres ou éperdus. Lors de l’émouvant tableau final, ils transmettent, avec un lyrisme absolu, l’extase de Thaïs et le poignant désespoir d’Athanaël, la ligne vocale de la première proche de la «Méditation» distillée par l’orchestre, le second en contrepoint. Ils expriment avec une justesse équilibrée leurs émotions contradictoires qui atteignent leur paroxysme lors du silence orchestral en point d’orgue couronné de l’extrême aigu du «Je vois Dieu», lourd de sens, de Thaïs, qui plonge Athanaël dans l’extrême détresse de sa mort.


Davis ne retient des courtes danses de la version définitive de Thaïs (1897) que celle où figure La Charmeuse, en compagnie des deux esclaves musiciennes, Crobyle et Myrtale. Grâce à ses trois interprètes, la scène est aussi souriante et délicieuse que celle où les deux esclaves parent Athanaël pour la fête vers la fin du premier acte. Les voix tout en douceur enjouée de Liv Redpath, soprano, et Andre Ludwig, mezzo-soprano, se mêlent à la perfection. Quand la belle voix coloratura de Stacey Tappan vient rehausser le duo, elles créent ensemble un second bref moment de détente qui n’a toujours rien de superflu. Les voix graves, chacun dans sa tessiture, d’Emilia Boteva, Neil Aronoff et Nathan Berg soulignent avec efficacité, des instants autrement plus tendus et dramatiques. Le Polémon percutant de Berg, plus particulièrement expressif, permet de pressentir le futur revirement d’Athanaël dès qu’ il l’exhorte à ne point se mêler aux gens du siècle et à craindre les pièges de l’Esprit.


Quoique relativement peu sollicité, le chœur prend part à l’action, tour à tour moines cénobites, religieuses, anges, philosophes, acteurs et foule alexandrine. Le Chœur Mendelssohn y est toujours efficace et son soutien, bouche fermée, de l’orchestre dans le de la «Méditation» ajoute une densité et un frisson qui manquent à bien des prestations isolées de l’opéra. Davis dirige l’ensemble avec une conviction investie. Il fait ressortir tous les excès, les écartèlements, les contrastes et les beautés de cette œuvre finalement superbe. Si l’énonciation du français n’est pas toujours parfait, c’est une réussite, d’autant plus que la prise de son Chandos tient encore ses promesses.


Le site d’Erin Wall
Le site de Joshua Hopkins
Le site d’Andrew Staples
Le site de l’Orchestre symphonique de Toronto
Le site du Chœur Mendelssohn de Toronto


Christine Labroche

 

 

 

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