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05/30/2020 Giuseppe Verdi : Otello Jonas Kaufmann (Otello), Federica Lombardi (Desdemona), Carlos Alvarez (Iago), Virginie Verrez (Emilia), Liparit Avetisyan (Cassio), Carlo Bosi (Roderigo), Riccardo Fassi (Lodovico), Fabrizio Beggi (Montano), Fian Paolo Fiocchi (Araldo), Coro dell’Accademia nazionale di Santa Cecilia, Ciro Visco (chef de chœur), Orchestra dell’Accademia nazionale di Santa Cecilia, Antonio Pappano (direction)
Enregistré à Rome (24 juin-6 juillet 2019) – 126’13
Coffret de deux disques Sony Classical 886448058847
Après deux incarnations scéniques à Londres et Munich, Jonas Kaufmann a enregistré le rôle d’Otello de Verdi, longtemps convoité, longtemps mûri, à Rome sous la direction d’Antonio Pappano.
En préambule à l’analyse de cet enregistrement de studio réalisé à Rome en 2019, rappelons que Jonas Kaufmann a chanté deux fois le rôle d’Otello sur scène. D’abord au Royal Opera House de Covent Garden à Londres en juin 2017, sous la baguette de son directeur musical, Antonio Pappano. Pour cette prise de rôle si longtemps attendue de son public et si longtemps différée et murie par le ténor allemand, on avait réuni une distribution honnête et une production signée Keith Warner sans risques, ni trop traditionnelle, ni exagérément moderne, sans charme ni grande efficacité mais qui avait le mérite d’être crédible. Ses deux partenaires auraient pu être à la hauteur mais Ludovic Tézier n’ayant pu chanter Iago, il fut bien mal remplacé par le baryton italien Marco Vratogna. La direction de Pappano conférait à la soirée un niveau général satisfaisant. Sony a publié la vidéo de ces représentations londoniennes avant d’en décider la réalisation audio en studio. Au Bayeriches Staatsoper à Munich, on avait réuni pour le ténor maison une distribution a priori plus prestigieuse. Sa partenaire régulière en Verdi comme en Wagner, le soprano Anja Harteros, pour Desdémone et le baryton canadien Gerald Finley pour Iago. Et surtout la direction de Kirill Petrenko, qui chauffait à blanc orchestre et chœur, car la production, confiée à Amélie Niermeyer, était bien peu engageante. Otello habillé en chef de rayon de grand magasin, Iago en pyjama rayé et Desdémone en robe du soir passe-partout, cela fait qu’à force de vouloir les rendre originaux ont fait perdre aux personnages toute crédibilité. Dans les deux soirées, la vidéo de Munich n’étant pas commercialisée, Jonas Kaufmann est aux limites physiques du rôle, encore plus à Munich qu’à Londres et dans la mesure de ce que lui permet la mise en scène, il crée un personnage peu crédible, trop distant à Londres, trop névrotique à Munich.
En studio et même avec les artifices du studio, on entend sans cesse les limites vocales du ténor, dont le rôle du Maure met à l’épreuve non seulement la tessiture mais la résistance, le souffle, le timbre qui n’est plus aussi brillant et charmeur (la différence est nette entre Londres et Rome deux ans après). Pour l’interprétation, il est clair que le ténor a disséqué, analysé, raffiné toutes les composantes psychologiques du personnage, peut être trop pour en rendre le caractère entier et jusqu’au-boutiste. Plus qu’une progression dans la folie aveuglée par une jalousie irraisonnée, on assiste à de fréquents retours en arrière, comme des hésitations. Les morceaux de bravoure ne sont pas irréprochables mais les risques sont toujours suprêmement calculés pour un résultat honorable, d’autant que style, prononciation et fidélité au texte sont irréprochables.
La Desdémone de Federica Lombardi, sans éclipser Maria Agresta à Londres, ni Anja Harteros à Munich (souvent à la limite aussi, mais qui réussit un très beau dernier acte), est la plus régulière des trois. De même, le Iago de Carlos Alvarez efface le souvenir calamiteux de Marco Vratogna à Londres et de l’erreur de casting de Finley, vraiment pas assez noir ni retors à Munich. Il crée un personnage crédible, dont le timbre s’apparie mieux à celui de Kaufmann que dans les deux autres cas. Le reste de la distribution est parfaitement soignée, avec le Cassio rayonnant de Liparit Avetisyan.
Cet Otello restera avant tout celui d’Antonio Pappano. Plus qu’à Londres, avec son Orchestre de l’Académie nationale de Sainte Cécile, au son tellement plus riche et latin que les musiciens anglais, et surtout son chœur qui donne un relief saisissant, sa lecture du drame est prenante d’un bout à l’autre, les détails soignés, les ensembles d’une précision horlogère et les musiciens chauffés à blanc dans les scènes dramatiques Dans cette version de studio, tout en tenant toujours l’équilibre entre la recherche de couleurs et d’effets dramatiques et en soutenant parfaitement les chanteurs, il se hisse au niveau de la réalisation ardente, quasi apocalyptique de Kirill Petrenko sur la scène munichoise.
Olivier Brunel
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