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05/30/2020 Musique pour flageolet avec H. Reyne
«Les amours d’un Rossignol – Musique pour le flageolet français»
Thomas Greeting : Nightingale
John Banister : Flageolet et basse continue
Mr Hills : Flourish & Air for the Bull Finch – Flourish & Air for the Canary Bird – Flourish & Air for the Linnet – Flourish & Air for the Woodlark – Flourish & Air for the East India Nightingale
Jean-Pierre Freillon-Poncein: Passacaille
Martin Hotteterre : Prélude et Marche de Surlaube
Georg Friedrich Händel : Concerto pour orgue «Le Coucou et le Rossignol», HWV 295 (*)
François-Adrien Toulan : Prélude & Le Rossignol
Michel Yost : Quatuor, opus II, n° 1 (arrangé par Collinet père) – Concerto V en mi bémol majeur
Nicolas Pfeilsticker : Concerto en sol majeur (*)
Frédéric Heinel: Quatuor pour flageolet, violon, alto et violoncelle
Hector Berlioz : Le Dépit de la bergère, H. 7
Edme Collinet : Sérénade n° 1 pour flageolet et piano
Eugène Roy : Quadrille: L’Aglaë, La Zoé, La Lucie, L’Arsène & L’Amélie
Louis Jullien : Le Rossignol (*)
Philippe Musard : Le Bal de l’Opéra: Galops n° 1, 2 et 3
Jean Carnaud : Air varié pour flageolet et piano
Narcisse Bousquet : Gaule et France (air varié) (*)
Eugène Damaré : Fleurs et papillons, Polka-Rondeau, opus 211 (*) La Simphonie du Marais, Hugo Reyne (flageolet, récitant et direction)
Enregistré en l’église de L’Herbergement (28 et 29 mai 2015 [*]) et à la salle de l’Aquarelle de L’Herbergement (25-27 novembre 2019) – 128’10 (CD) et 35’50 (DVD)
Coffret de deux disques et un DVD HugoVox 002 – Notice bilingue (français et anglais) d’Hugo Reyne
Sélectionné par la rédaction
Le saviez-vous mais le flageolet n’est pas seulement une variété de haricot blanc, au même titre par exemple que la mogette vendéenne (que doit bien évidemment connaître le maître d’œuvre de ce coffret)! Le flageolet est également un instrument de musique dont il est inutile – et ce serait d’ailleurs plus que fastidieux – de décrire ici l’historique: mieux vaut renvoyer le lecteur au livret d’accompagnement et, plus encore, au blog tenu par Philippe Perlot (conseillé dans la notice par Hugo Reyne), qui nous narre en détail et au gré de divers articles l’histoire de cette petite flûte à quatre trous sur le dessus, qui en compte également deux en dessous pour les deux pouces, et qui aurait été inventée en France par le sieur Juvisy de Paris, qui joua de cet instrument pour le Ballet comique de la Reine de Beaujoyeulx en 1581. Instrument utilisé à travers toute l’Europe (au point qu’il existe, par exemple, un flageolet anglais avec cette fois six trous sur le dessus de l’instrument), requis par divers compositeurs de renom (réécoutez l’air formidable «Di due rai languir costante» de Vivaldi qui figure dans le non moins essentiel disque de Cecilia Bartoli «The Vivaldi Album» où la soprano est accompagnée de deux flageolets solistes!), il a donné lieu à une musique méconnue mais étonnement foisonnante jusqu’au début du XXe siècle avant qu’il ne tombe progressivement dans l’oubli.
Il fallait bien quelqu’un d’aussi original et passionné qu’Hugo Reyne pour relever le défi et nous faire découvrir cet instrument au travers d’un panorama extrêmement complet qui, pour tout amateur ou curieux, fera désormais date.
Commençons par les deux disques, qui nous permettent donc d’entendre le flageolet dans ses œuvres, seul, dans le cadre de pièces de musique de chambre ou même orchestrale, plusieurs concertos figurant en effet au programme. On écoute ainsi avec curiosité ces airs de Hills pour divers oiseaux (bouvreuil, canari, linotte...), illustrant cette mode en vogue surtout au XVIIIe siècle qui consistait à donner des leçons de chant aux oiseaux grâce au flageolet, ce qui permettait ensuite de les vendre plus cher, l’acquéreur sachant ainsi pouvoir compter sur un volatile capable de chanter à la demande l’air à la mode pour le plus grand plaisir de ses invités. Si le concerto de Händel est également des plus intéressants, on écoutera surtout le très beau concerto de Michel Yost (1754-1786), clarinettiste de talent, œuvre donc sans doute initialement destinée à la clarinette mais qui sous l’agilité des doigts de Hugo Reyne témoigne de toute la dextérité dont est capable le flageolet. Concerto de belle ampleur, accompagné par un orchestre conséquent, voilà que souffle un esprit tout mozartien qui se conclut par un Rondeau plein de fraîcheur et d’allant! Le flageolet, capable donc d’être extrêmement mélodieux (la très belle Passacaille de Jean-Pierre Freillon-Poncein où Reyne est idéalement accompagné par François Gallon au violoncelle et Rémi Cassaigne au théorbe), s’accomplit également dans le style galant qui lorgne davantage vers le début du XIXe que vers la fin du XVIIIe: écoutez à ce titre l’arrangement que Collinet père a fait des deux mouvements du Quatuor de Yost.
Le second disque nous fait franchir un nouveau siècle, Hugo Reyne nous faisant cette fois-ci entendre des pièces inédites, à commencer par ce très beau Concerto en sol majeur d’un certain Nicolas Pfeilsticker (c. 1780-c. 1820), dont Hugo Reyne a trouvé la partition à la Bibliothèque royale de Madrid. Trois mouvements où un orchestre digne du Sturm und Drang dialogue avec le soliste dans une harmonie incroyable. Que dire ensuite de ces danses pour flageolet et orchestre de plein air, que l’on imagine sans peine entendre jouées dans un square de la Belle époque alors qu’élégants et crinolines devisent ou écoutent distraitement... Pour autant, Le Rossignol de Louis Jullien (1812-1860), chef d’orchestre mais également flûtiste fameux de l’époque, est plus qu’un morceau d’ambiance: technique du flageolet sollicitée grandement, dialogue impressionnant avec le cornet à piston (dans le premier mouvement, à partir de 2’48), quelle découverte! De découvertes, ces disques n’en manquent décidément pas car qui connaît Narcisse Bousquet (c. 1800-1869) – le deuxième mouvement présenté est un rien martial mais le plaisir sans aucun doute communicatif – ou Eugène Damaré (1840-1919), avec cet agréable Fleurs et papillons pour flageolet et orchestre? Si l’on ignore souvent qui furent ces compositeurs, on ne découvrira certes pas Berlioz mais saviez-vous, comme le rappelle Hugo Reyne (qui entrecoupe les extraits musicaux de diverses lectures de traités, témoignages, mémoires d’époque...), qu’il a découvert la musique avec un flageolet et qu’il a même composé une romance, Le Dépit de la bergère (il avait alors 16 ans) pour flageolet et piano, que Reyne nous donne ici avec Natalie Valentin au pianoforte?
Ce voyage musical d’une richesse inattendue (je fus le premier surpris!) se double d’un DVD tout aussi instructif puisque, quand on dit qu’Hugo Reyne joue du flageolet, on devrait plus justement écrire qu’il joue de plusieurs flageolets: treize au total requis dans ce panorama! Car, évidemment, la facture instrumentale a évolué et les divers instruments qu’Hugo Reyne nous montre (à commencer par ce modèle de chez Noé Frères, de la première moitié du XIXe) ont peu à peu gagné en taille et se sont dotés de clés qui ont permis, au XIXe siècle, de jouer ainsi des dièses et des bémols. C’est également à cette époque qu’on a pu ajouter des «pompes», sortes de réservoirs dotés d’un tissu qui permettait, placé juste au-dessus du sifflet, d’absorber l’humidité de l’air provoqué par le joueur (c’est notamment le cas du flageolet en la de Collinet, le dixième des treize requis, que l’on peut entendre ici dans les extraits musicaux de Collinet, Jullien ou Musard notamment). Dans ce documentaire d’une bonne demi-heure, qui fait alterner extraits de concerts et de répétitions avec Hugo Reyne présentant ses divers instruments et rappelant quelques détails biographiques sur tel ou tel compositeur (quelle destinée que celle de François-Adrien Toulan qui essaya de faire s’évader Marie-Antoinette et qui finit pour cela sur l’échafaud en 1794 ou quel intéressant rappel que de savoir que Michel Yost avait travaillé avec Vogel, dont le nom est plus connu pour avoir donné notamment quelques belles symphonies dans un style proche de celui de Haydn ou Hoffmeister), on se laisse porter par le voyage à travers l’histoire du flageolet qui tient une place toute particulière chez Reyne. Comment ne pas être d’ailleurs (lui-même semble l’être) un rien ému et admiratif en voyant son vieux classeur où sont notés depuis le début des années 1980 les résultats de ses diverses recherches sur le flageolet, les morceaux cités au détour d’un article ou d’un programme de l’époque, les méthodes référencées...? Le voyage dans le temps est parfaitement illustré par la sophistication croissante des instruments, comme l’illustre cet exemplaire de Gyssens & Cantais (dans les années 1850), que Reyne nous présente certes rafistolé par du scotch et du liège et dont tant le cliquetis que les trous nous rappellent fortement le corps d’une clarinette. Signalons enfin que, aujourd’hui à la tête d’une collection sans doute unique au monde, Hugo Reyne a acheté son premier flageolet en décembre 1980 dans le magasin d’antiquités tenu par Alain Vian, frère d’un certain Boris du même nom.
On l’aura compris: Hugo Reyne, qui a malheureusement décidé de mettre fin à l’aventure de trente ans de la Simphonie du Marais au profit d’une carrière soliste, nous offre là un panorama de référence pour un petit instrument que beaucoup auront sans doute confondu avec la flûte à bec (alors que la perce est fort différente) mais qui a connu ses heures de gloire. Quelle réhabilitation ici!
Le site d’Hugo Reyne et de la Simphonie du Marais
Sébastien Gauthier
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