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05/21/2020
Richard Strauss : Enoch Arden, opus 38
Bruno Ganz (narrateur), Kirill Gerstein (piano)
Enregistré à Berlin (31 août-2 septembre 2016) – 56’26
Myrios Classics MYR025


Must de ConcertoNet





Richard Strauss a composé ce mélodrame sur le magnifique poème d’Alfred Tennyson (1864), en pleine période créatrice de ses plus beaux poèmes symphoniques, pour le comédien munichois Ernst von Possart. Le poème raconte le destin tragique d’un pêcheur anglais, depuis une enfance insouciante et amoureuse jusqu’à sa mort de retour au pays après avoir abandonné femme et enfants et vécu pendant dix ans une existence de Robinson sur une île déserte. On en trouve une très belle traduction française par l’académicien Xavier Marnier sur le site internet de la BNF Gallica. De tous les mélodrames composés au XXe siècle, Enoch Arden est celui dont l’interconnexion entre musique, ici assez discrète, et poésie fonctionne le mieux.


L’œuvre a inspiré le cinéma: After Many Years réalisé par David W. Griffith en 1908, Enoch Arden réalisé par Christy Cabanne avec Lillian Gish and Wallace Reid en 1915, et Tomorrow is Forever réalisé par Irving Pichel, inspiré par le poème, avec Orson Welles dans le rôle d’Enoch Arden, et Claudette Colbert.


La référence discographique absolue d’Enoch Arden est la version réalisée en studio en 1961 pour CBS par Glenn Gould et Claude Rains. Elle a contribué, à l’âge d’or du microsillon américain, à faire connaître l’œuvre à un très large public. Rains y est un formidable narrateur, un peu trop monolithiquement mélodramatique cependant, et Gould, qui a été pionnier dans l’enregistrement de l’œuvre pour piano seul de Strauss, est, dans les quelques interventions du pianiste entre les différentes parties du poème, d’une richesse narrative exemplaire. Beaucoup de versions discographiques ont existé pour une œuvre somme toute assez peu populaire. Dietrich Fischer-Dieskau l’a lu deux fois très académiquement, dans un microsillon de mélodrames avec Burkhard Kehring (Deutsche Grammophon) puis avec Gerhard Oppitz plus tardivement (Hänssler Classic). En France Christian Ivaldi et René Schirrer (Adès), en Australie John Bell et Simon Tedeschi en 2017 (ABC), aux Etats-Unis David Ripley et Chad R. Bowles ainsi qu’Emanuel Ax et Patrick Stewart (2007). Il en existe également une version avec Michael York et John Bell Young. Le ténor canadien Jon Vickers fit ses adieux définitifs à la scène en 1998 à Montréal à l’issue d’une lecture de ce mélodrame (vidéo VAI) avec Marc-André Hamelin.


L’enregistrement réalisé par le comédien suisse Bruno Ganz (1941-2019) et le pianiste américain d’origine russe Kirill Gerstein (né en 1979) est resté longtemps à l’état de projet avant de se concrétiser, d’abord par des concerts puis par le passage en studio à Berlin en 2016. Bruno Ganz a été un des comédiens de théâtre et cinéma germaniques les plus emblématiques de l’après-guerre. Damiel dans Les Ailes du désir de Wim Wenders et Hitler dans La Chute d’Oliver Hirschbiegel au cinéma et pour le théâtre Coriolan au Festival de Salzbourg 1993 dirigé par Deborah Warner restent ses rôles inoubliables. Il a été le dépositaire pendant treize années de l’Anneau de Iffland, récompensant l’acteur de théâtre de langue allemande le plus renommé.


Sa lecture d’Enoch Arden dans la traduction allemande d’Adolf Strodtmann est admirable. Avec une voix au timbre devenue très minéral et un fort accent suisse, il donne vie et relief à cette histoire et adopte un ton particulier pour tous les épisodes joyeux, amicaux, amoureux, tragiques et rédempteurs du poème. Le fil toujours musical confère aux différents personnages une grande empathie. Il a le don suprême pour un comédien de donner l’impression qu’il s’adresse directement à chaque auditeur et, s’agissant d’un enregistrement audio, de faire passer des visages dans sa voix. Peu d’interprètes d’Enoch Arden ont été aussi convaincants sur la longueur de l’histoire et eu la capacité de laisser l’auditeur en état de grâce quand s’achève cette destinée tragique que l’on a souvent comparée à une variante du mythe d’Ulysse. Kirill Gerstein a sur ses prédécesseurs l’avantage de la technique d’enregistrement. Son piano Steinway est d’une richesse sonore exceptionnelle. Son interprétation joue plus des couleurs et des climats que de la narration, tâche ardue car le pianiste a dans cette pièce peu de moments pour convaincre. Tout repose sur le narrateur et Bruno Ganz se place, avec des qualités bien différentes, dans une autre langue et à une autre époque, pour la première fois à égalité avec Gould et Rains, interprètes de référence.


Olivier Brunel

 

 

 

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