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05/18/2020 «Desire»
Francesco Cilea: Adriana Lecouvreur: «Ecco, respiro appena... Io son l’umile ancella»
Giuseppe Verdi: Ernani: «Surta e la notte... Ernani! Ernani, involami» – I vespri siciliani: «Merce, dilette amiche» – Il trovatore: «Timor di me?... D’amor sull’ali rosee»
Giacomo Puccini: Tosca: «Vissi d’arte» – Madama Butterfly: «Un bel di vedremo» – Turandot: «Signore, ascolta!»
Georges Bizet: Carmen: «C’est des contrebandiers le refuge ordinaire... Je dis, que rien ne m’épouvante»
Ruggero Leoncavallo: Pagliacci: «Qual fiamma aveva nel guardo!... Hui! Stridono lassu»
Antonín Dvorák: Rusalka, opus 114, B. 203: «Mesicku na nebi hlubokem»
Stanislaw Moniuszko: Halka: «Ha! Dzieciatko nam umiera... O moj malenki»
Piotr Iyitch Tchaïkovski : Eugène Onéguine, opus 24: «Puskay pogibnu ya» Aleksandra Kurzak (soprano), Morphing Chamber Orchestra, Frédéric Chaslin (direction)
65’53
Sony 19075883262
Aleksandra Kurzak a beaucoup fait parler d’elle ces dernières années, à l’occasion de prises de rôle risquées. Ainsi, à l’été 2016, la soprano polonaise avait-elle saisi l’occasion de l’indisposition d’une collègue pour passer d’Eudoxie à Rachel, dans La Juive d’Halévy, à la Staastoper de Munich. En 2018, elle s’attaquait au rôle de Desdemona dans l’Otello de Verdi à Hambourg (suivie d’une autre à l’Opéra national de Paris en mars 2019), puis, en octobre 2019, elle faisait sa prise de rôle en Elisabetta de Don Carlo à Paris, confirmant sa volonté d’affronter un répertoire plus dramatique, le plus souvent aux côtés de son époux Roberto Alagna.
La sortie d’un nouvel album permet de prendre la mesure de ce changement de répertoire. Car après un premier album de mélodies de Chopin en 2010, «Gioia» chez Decca en 2011 affirmait son statut de lirico coloratura, «Hej, kolęda» (Decca) en 2012 manifestait son attachement à la musique moins classique de son pays natal, «Bel raggio» (Decca) en 2013 affirmait sa maîtrise du répertoire rossinien, jusqu’à ce que «Puccini in Love» chez Sony en 2018, à l’occasion de duos, la voie aborder les rôles plus lourds de Tosca ou Manon Lescaut.
Cette fois, l’album «Desire» chez Sony se partage entre un versant slave, un autre vériste, et enfin un troisième alliant bel canto et registre dramatique, plus une Micaëla dont on se demande ce qu’elle vient faire dans ce bouquet, si ce n’est répondre à l’appel d’un titre d’album des moins originaux. La soprano chante des extraits de rôles déjà abordés à la scène et d’autres qui sans doute seront abordés prochainement. Il n’est pas certain qu’elle les chante tous, puisque la question des moyens se pose clairement avec des rôles comme Elvira d’Ernani ou Leonora du Trouvère.
Le versant slave de l’album est clairement le plus satisfaisant. Le «Chant à la lune» du premier acte de la Rusalka de Dvorák est magnifique: l’alliance d’un timbre devenu très riche, sombre et opalin à la fois et d’une longueur de souffle remarquable, le phrasé à la fois élégant et plein de sens rendent cet enregistrement rien moins qu’anthologique. L’air du quatrième acte de Halka de Moniuszko, œuvre rare mais récemment donnée au Theater an der Wien, est aussi réussi, avec un très beau cantabile, et ce malgré un aigu assez fragilisé, qui n’empêche pas la soprano polonaise d’émouvoir dans l’expression des sentiments déchirants de Halka, pleurant son enfant mort de faim. Elle peut clairement aborder ce rôle sur toutes les scènes. Enfin elle nous offre la totalité des 12 minutes de la scène de la lettre de Tatiana dans Eugène Onéguine, en fin d’album. L’excellente diction, le tempérament enflammé de la diva, qui use d’un médium élargi aux magnifiques couleurs, jouant sur le vibrato expressif, et construit une progression subtile des sentiments contrastés de Tatiana, nous emporte dans un flot d’émotions, soutenue ici par Frédéric Chaslin à la tête d’un Orchestre de chambre Morphing un peu trop diaphane, joli mais lisse et anonyme.
Le versant vériste est moins réussi: il n’est pas très pertinent de débuter un album par un de ses maillons les moins forts. L’air d’Adriana Lecouvreur déçoit, malgré la technique impeccable, les pianissimi enjôleurs, les messe di voce. Le sens des tourments, le vague à l’âme de la tragédienne restent lettre morte. Le «Vissi d’arte» de Tosca, lui, est parfaitement réussi grâce encore aux moirures du timbre, à la longueur du souffle, au phrasé et aux pianissimi, malgré un orchestre fade. On verra sur scène si le reste du rôle est à sa portée. Le «Stridono lassu» de Nedda dans Paillasse est fort beau lui aussi, bien que la voix soit déjà bien large pour ce rôle. L’excellente diction, les vocalises, le phrasé satisfont pleinement, malgré un aigu au vibrato assez large. «Un bel di» de Madama Butterfly commence bien, avec une grande longueur de souffle encore, un très beau phrasé et des messe di voce convaincantes, puis se perd un peu en chemin par manque d’impact tragique («che dira, che dira»), la fin manquant de dynamique, alors qu’on attend en vain le défi lancé au destin par Cio-Cio-San. Enfin, le «Signore, ascolta» de Liù de même démarre bien mais manque de pathos retenu («noi morem» tout de même...).
Enfin, au-delà d’un air de Micaëla totalement raté (très mauvais français, sans émotion, répétitif, avec un aigu laid) qui met un peu à mal la cohérence de l’album, Aleksandra Kurzak aborde également des rôles verdiens requérant les moyens du soprano drammatico d’agilita. Bien sûr, cela peut fonctionner avec un air comme le boléro d’Helena dans Les Vêpres siciliennes: la minceur du propos, les brillantes vocalises et les trilles quelque peu décoratifs sont à la portée de tout bon lirico coloratura, et elle les réussit bien, quoique la puissance lui manque un peu. Sagement, elle se cantonne à «D’amor su l’ali rosee» du Trouvère, où le grave montre des faiblesses tout de même, tout comme l’aigu, encore durci, rançon d’un élargissement rapide du médium. Mais le manque d’ampleur et de volume devient criant avec l’air d’Elvira «Ernani, involami». La chanteuse fait l’effort d’y introduire une reprise, et même des notes piquées hors de propos, comme pour masquer qu’elle est ici bien au-delà de ses limites réelles. La lenteur de la vocalise, détaillée, ne fait pas oublier le manque de tragique qui ressort de sa tentative d’aborder ici un rôle dont elle n’a pas les moyens.
Réussite partielle donc que celle de cet album, qui trahit les difficultés inhérentes à un changement de répertoire de la part de la soliste. Elle déçoit par un manque d’émotion dans certaines arias qui étaient à sa portée, tout en nous éblouissant dans certaines autres, surtout Tosca et la partie slave.
Philippe Manoli
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