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05/16/2020 Johann Sebastian Bach : Concertos Brandebourgeois, BWV 1046 à BWV 1051 – Ouverture pour orchestre n° 2 en si mineur, BWV 1067 Ensemble Zefiro, Alfredo Bernardini (direction)
Enregistré au Théâtre Ristori, Vérone (27 septembre-5 octobre 2017) – 111’58
Album de deux disques Arcana A 452 (distribué par Outhere) – Notice (en anglais, français, allemand et italien) de Paolo Grazzi et Alfredo Bernardini
Johann Sebastian Bach : Cantates «Ich habe genug», BWV 82, et «Gott soll allein mein Herze haben», BWV 169 [*] – Préludes de choral «Allein Gott in der Höh sei ehr», BWV 662, BWV 663 et BWV 664 – Prélude et Fugue en la mineur, BWV 543
Céline Scheen (soprano) [*], Nicolas Scott (ténor) [*], Benoît Arnould (basse) [*], Maude Gratton (orgue), Le Banquet Céleste, Damien Guillon (contre-ténor et direction)
Enregistré en l’église réformée du Bouclier, Strasbourg (décembre 2018) – 74’07
Alpha 448 (distribué par Outhere) – Notice trilingue (en français, anglais et allemand) de Peter Wollny
Sélectionné par la rédaction
«Cantates et arias pour basse»
Johann Sebastian Bach : Cantates «Ich habe genug», BWV 82, «Der Friede sei mit dir», BWV 158, et «Ich will den Kreuzstab gerne tragen», BWV 56 – Cantate «O Ewigkeit, du Donnerwort», BWV 20: air «Gott ist Gerecht» – Cantate «Ach wie flüchtig, ach wie nichtig», BWV 26: air «An irdische Schätze das Herze zu hängen» – Cantate «Nimm von uns, Herr, du treuer Gott», BWV 101: «Warum willst du so zornig sein»
Dominik Wörner (basse), Magdalene Harer (soprano), Franz Vitzthum (alto), Nils Giebelhausen (ténor), Ensemble Zefiro, Alfredo Bernardini (direction)
Enregistré en l’église protestante de Kirchheim (19-22 janvier 2019) – 62’17
Arcana A 466 (distribué par Outhere) – Notice (en anglais, français et allemand) de Peter Wollny
L’Ensemble Zefiro est un des ensembles baroques sans doute les plus intéressants depuis quelques années, qu’on l’écoute dans le répertoire français ou allemand (voir ici) ou, naturellement, italien (voir ici) dont c’est le pain quotidien. Enregistrant exclusivement pour Arcana, ses membres sont pour la plupart des solistes accomplis, qu’il s’agisse de son chef Alfredo Bernardini, merveilleux hautboïste qui jour régulièrement au sein du Concert des Nations de Jordi Savall, des frères Grazzi (Paolo au hautbois, Alberto au basson) ou de Dorothee Oberlinger, virtuose bien connue de la flûte à bec.
Quelle démonstration, de nouveau, dans cet enregistrement des Concertos brandebourgeois! Dédiés en 1721 au margrave Christian Ludwig de Brandebourg (dont Bach avait fait la connaissance à Berlin dès 1719), ces concertos connaissent depuis des décennies diverses gravures de tout premier plan; il faut désormais compter avec Zefiro. Comme on pouvait donc s’y attendre, les instruments solistes sont impeccables, à commencer (et sans surprise là non plus) par les instruments à anche double (hautbois et basson dans le Trio du dernier mouvement du Premier Concerto), mais n’oublions ni la trompette (truculente dans le dernier mouvement du Deuxième, ni le magnifique dialogue entre la flûte et le violon dans l’Affettuoso du Cinquième, ni encore l’entente idéale entre les deux viole da braccio dans l’Allegro concluant le Sixième. Mais ce qui fait tout le sel de cette nouvelle version, c’est aussi l’élan général, l’imagination qui est au rendez-vous (le foisonnement qui ressort du premier mouvement du Premier Concerto, la vélocité du dernier mouvement du Troisième ou les appogiatures des deux flûtistes dans l’Allegro du Quatrième), et ce sentiment d’évidence qui s’impose face à un discours renouvelé qui pourrait apparaître bien artificiel avec d’autres musiciens. Le jeu n’est jamais démonstratif même si la nécessité de contraster les mouvements conduit parfois à quelques traits trop rapides, voire un rien brusques (le Trio du dernier mouvement du Premier Concerto). Si, dans le redoutable premier mouvement du Cinquième, le clavecin s’avère un rien métallique et manque de ce caractère aérien que l’on a notamment pu apprécier chez Paul Dombrecht ou dans la somme enregistrée par Café Zimmermann, ce sont là de menues déconvenues face à une version qui, ces dernières années en tout cas, fait partie des plus revigorantes. La Deuxième Ouverture est bien faite, à n’en pas douter (Marcello Gatti à la flûte est idéal), grâce là aussi à des tempi généralement assez allants (le Menuet) mais le résultat est un peu moins enthousiasmant (avouons-le, à titre personnel, en raison d’une partition qui suscite chez nous un peu moins d’intérêt que dans le recueil de concertos...).
De fait, l’enjeu pour le disque consacré cette fois-ci à des Cantates et airs pour basse n’était pas mince: ne pas faire «retomber le soufflé» que l’on avait donc tant apprécié dans le précédent opus. Le bilan s’avère là plus mitigé, pour des raisons diverses. Dominik Wörner est excellent et sa voix sait, dans une optique plutôt intimiste, prononcer avec toute la dextérité requise les textes mis en musique par le Cantor (le premier mouvement de la célébrissime Cantate «Ich habe genug») mais il s’avère souvent assez lisse. De fait, le redoutable (car relativement long) troisième mouvement «Schlummert ein, ihr matten Augen» de la BWV 82 frise l’ennui au fil de ses 10 minutes passées et, en plus d’une occasion, ce n’est pas la voix qui attire l’attention mais l’accompagnement instrumental. Car il faut dire qu’Alfredo Bernardini le hautboïste prend ici le pas sur Alfredo Bernardini le chef et nous subjugue à chaque note. Souverain dans le premier mouvement de la BWV 82, il est également à son meilleur (avec ou sans basson... décidément, les anches doubles chez Zefiro!) dans les deux extraits tirés des Cantates BWV 20 et BWV 101, la dextérité des instrumentistes dans ce dernier extrait étant exceptionnelle. L’équilibre entre Dominik Wörner et l’instrument soliste est meilleur dans l’air «Welt, ade, ich bin dein Müde» issu de la Cantate BWV 158 (la basse étant rejointe pour l’occasion par la soprano Magdalene Harer) mais, là encore, le discours semble un rien lointain, peut-être trop éthéré. De façon quelque peu étonnante, le souffle semble parfois faire défaut au chanteur (la distance serait-elle un rien trop grande dans le superbe air «Ich will den Kreuzstab gerne tragen» qui ouvre la cantate du même nom?) mais Wörner assure quand même sa partition dans un disque qui, sans décevoir totalement, cède le pas aux Peter Kooij, Peter Harvey et autres Hans Hotter, sans compter la précédente prestation de Wörner avec l’ensemble Il Gardellino (Passacaille).
Si l’entrée du hautbois se voulait relativement brillante, c’est l’intimité la plus totale, voire l’austérité toute protestante, qui donne le ton dans le disque du Banquet Céleste où Damien Guillon officie à la fois comme soliste et chef. Elevé à l’«école Herreweghe» pourrait-on dire, dont il est un des chanteurs préférés (voir, par exemple, ici, ici ou ici), Damien Guillon se révèle bouleversant dans cette Cantate BWV 82, surpassant à notre sens la discographie de la version pour haute-contre, jusque-là dominée par René Jacobs avec Chiara Banchini. Ici, l’entente avec le hautboïste Patrick Beaugiraud bénéficie d’un équilibre que l’on n’avait pas chez Zefiro, la retenue de l’un nourrissant la ferveur de l’autre et inversement, les deux solistes étant soutenus avec une manière de «ne pas y toucher» par les musiciens du Banquet Céleste où l’on remarque notamment les noms d’Ageet Zweistra et de Maude Gratton, nouveau signe évident de cette «école Herreweghe» à laquelle nous avons précédemment fait allusion. De fait, l’aria «Schlummert ein, ihr matten Augen» s’avère cette fois-ci totalement prenante, l’esprit chambriste enveloppant cette interprétation d’une délicatesse tout à fait remarquable. La Cantate BWV 169 est également à retenir: à commencer par la Sinfonia introductive où l’orgue de Maude Gratton (accompagnée de seulement dix musiciens) fait merveille: quelle musique et, surtout, quel esprit! Dialogue de nouveau idéal en termes d’équilibre et de fondu entre la voix et l’instrument soliste (orgue) dans l’air «Gott, soll allein mein Herze haben» (idem, mais cette fois-ci avec les cordes, dans l’air «Stirb in mir, Welt»), l’enregistrement bénéficiant d’une très légère réverbération qui donne à la voix de Damien Guillon un volume largement suffisant en dépit de sa retenue. Plusieurs plages du disque mettent enfin à l’honneur l’orgue de Maude Gratton, dont on admire aussi bien au disque qu’au concert les talents, tant comme claveciniste que comme organiste. Ici, la puissance évocatrice du Prélude BWV 543 et le volontarisme des quatre parties de la Fugue qui le suit sont splendides; quant aux trois arrangements du choral Allein Gott in der Höh sei Ehr (BWV 662 à BWV 664), Maude Gratton sait leur donner rendre toute la richesse souhaitée (l’entrée du BWV 662, tout en douceur, le caractère presqu’inexorable du BWV 663 ou la fraîcheur interprétative du BWV 664, presque bucolique), jouant d’une remarquable variété de tons et de nuances. De fait, si vous ne rangez pas ce disque dans votre discothèque à la lettre «B» comme «Bach», nul doute que la lettre «G» conviendra aussi bien pour louer les qualités tant du chanteur que de l’organiste, qui font de cette publication un produit d’une qualité incontestable.
Le site de l’ensemble Zefiro
Le site de Dominik Wörner
Le site de Damien Guillon
Le site de Maude Gratton
Sébastien Gauthier
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