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05/03/2020 «Dumesny, haute-contre de Lully»
Jean-Baptiste Lully : Isis: Ouverture – Persée: «Cessons de redouter la fortune cruelle» – Armide: «Plus j’observe ces lieux, et plus je les admire» – Amadis: «Bois épais, redouble ton ombre» – Acis et Galatée: «Faudra-t-il encore vous attendre» & Ritournelle – Achille et Polyxène: «Patrocle va combattre, et j’ai pu consentir» – Miserere
Pascal Collasse : Achille et Polyxène: «Quand, après un cruel tourment», Entracte & «Ah! Que sur moi» – Thétis et Pelée: «Ciel! En voyant ce temple redoutable» – Enée et Lavinie: «J’entends d’agréables concerts»
Marin Marais et Louis de Lully : Alcide: «Mon amoureuse inquiétude» & « Ne pourrais-je trouver de remède»
Henry Desmarets : Didon: «Infortuné, que dois-je faire?» & «Le soleil est vainqueur» – Théagène et Cariclée: «Ma vertu cède au coup» – Les Amours de Momus: «Lieux charmants, retraites tranquilles» – Les Fêtes galantes: «Ebbro far voglio il mio core» – Circé: «Ah! Que le sommeil est charmant»
Marc-Antoine Charpentier : Médée: «Que je serais heureux, si j’étais moins aimé!», Second Air pour les Argiens & Sarabande
Elisabeth Jacquet de la Guerre : Céphale et Procris: «Amour, que sous tes lois»
Charles-Hubert Gervais : Méduse: Air, Menuet & Sarabande
André Cardinal Destouches : Amadis de Grèce: «Hélas! Rien n’adoucit»
André Campra : L’Europe galante: «Sommeil, qui chaque nuit» A Nocte Temporis, Reinoud Van Mechelen (haute-contre et direction)
Enregistré à l’Augustinus Muziekcentrum d’Anvers (août 2018) – 77’13
Alpha 554 – Notice (en français, anglais et allemand) de Benoît Dratwicki
Dans son Paralele [sic] des Italiens et des François, en ce qui regarde la Musique et les Opéra, l’abbé François Raguenet (1660-1722) écrivait notamment (en respectant l’orthographe de l’époque s’il vous plaît!): «Nous n’avons pas un feul homme capable de faire le personnage d’un Amant paffionné, dans nos Opéra, à la réserve de Dumény; mais, outre qu’il chante extrêmement faux et qu’il fait très-peu de Mufique, il s’en faut bien que fa voix foit auffi agréable et auffi belle, que celle des Caftrati d’Italie» (pp. 96 sq.). Hommage bien ambigu que voilà au sieur Louis Gaulard Dumesny, fils d’un cuisinier dont il embrassa lui-même la profession avant d’en être tiré par Jean-Baptiste Lully lui-même, tombé sous le charme d’une voix dont, aux dires de Jérôme de La Gorce, on lui avait vanté les talents (Jean-Baptiste Lully, Fayard, p. 276). Inutile de reproduire ici les éléments biographiques de ce personnage haut en couleur, rappelés dans l’excellente notice de Benoît Dratwicki qui accompagne ce disque réalisé dans son ensemble par Reinoud Van Mechelen.
Le nom de Reinoud Van Mechelen est aujourd’hui incontournable dans le monde baroque. Passé par le «Jardin des voix» de William Christie (un de plus...), on a pu l’entendre depuis longtemps dans un répertoire qu’il possède aujourd’hui au plus haut point: du petit rôle de Zéphir dans Atys de Lully au rôle-titre de Richard Cœur de Lion de Grétry en passant par le rôle du barde dans Uthal de Méhul, sans compter ses participations à diverses messes ou oratorios, Reinoud Van Mechelen a aujourd’hui atteint une maturité et une expérience artistiques qui lui permettent de voler de plus en plus souvent de ses propres ailes.
Cette nouvelle publication, hommage à Dumesny (né en 1632, mort entre 1702 et 1715), est en soi un voyage dans l’opéra français du dernier quart du XVIIe siècle. C’est à la fois la force et la faiblesse de ce récital. La force car cela nous permet d’entendre des extraits d’œuvres qui ne sont jamais données et que l’on a plaisir à découvrir ici par le biais d’un parfois trop bref extrait. Signalons notamment les deux airs tirés d’Alcidede Marin Marais et Louis de Lully, où l’on admire l’élan du chant et le soutien de la basse continue dans le premier, l’emportement de la voix et la variété orchestrale dans le second. Jetons-nous surtout sur Desmarets avec cet extrait «Ma vertu cède au coup» issu de Théagène et Cariclée, peut-être le sommet de ce disque avec des paroles plus susurrées que véritablement chantées, ou cet extrait de Circé, où la longueur du souffle de Mechelen le dispute à l’accompagnement idoine des flûtes.
Les qualités de Reinoud Van Mechelen que l’on a eu à plusieurs occasions l’opportunité d’entendre sont évidentes: l’adaptation parfaite du chant aux émotions, une diction toujours exemplaire (rappelons-le: c’est malheureusement une exception puisque, trop souvent, il nous faut jeter un œil sur le livret pour comprendre la moindre parole de quelque autre de ses confrères), et un sens de la tragédie qui perce ici en plus d’une occasion. Elevé comme on l’a dit à l’école William Christie, Reinoud Van Mechelen veille également aux intonations de l’époque qui pourront parfois faire sourire: ne vous étonnez donc pas d’entendre «désespouère» (Amadis) ou «mémouère» (Médée) en lieu et place de désespoir et mémoire.
Force de ce récital mais faiblesse également... Faiblesse due sans doute en premier lieu à une ambition peut-être trop forte, car brosser la carrière de Dumesny obligeait à faire des choix: l’exhaustivité cherchée ici nous conduit à entendre donc pas moins de vingt-sept extraits d’une durée oscillant entre 34 secondes et 5 minutes 50 alors qu’il aurait pu être plus opportun peut-être de prendre des passages plus longs (éventuellement en duo avec un autre chanteur ou une autre chanteuse). Certains passages s’avèrent de fait plus frustrants qu’autre chose: rançon de la gloire nous dira-t-on. Certes mais ce hachage s’avère parfois pesant, d’autant que l’on a tendance, même au fil des réécoutes, à ressentir une certaine uniformité dans le ton. Et ce n’est pas la variété orchestrale, témoignant au passage de l’excellence de l’ensemble A Nocte Temporis, qui fera tout à fait pencher la balance dans l’autre sens pour, à n’en pas douter, une très belle carte de visite mais que l’on aurait sans doute souhaité plus colorée.
Le site de Reinoud Van Mechelen
Le site de l’ensemble A Nocte Temporis
Sébastien Gauthier
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