Back
04/10/2020 «A Vision of Time and Eternity. Songs and Chamber Music»
William Mathias : Ceremonial Fanfare en ut majeur – A Vision of Time and Eternity, opus 61 – Suite parisienne – Tears – Sonatine pour clarinette et piano, opus 3 – Dafydd y garreg wen – Musette and Dance – Deux Chants populaires gallois: 1. «Tôn y Melinydd» & 2. «Y Gwŷdd» – Capriccio pour flûte et piano, opus 46 n° 2 – Quatre Chants gallois, opus 39: 3. «Hobed o hillion» –Sonate pour harpe seule, opus 66 – Pan Oeddwn Fachgen, opus 49 – Concertino pour flûte, hautbois, basson et piano, opus 65 Jeremy Huw Williams (baryton), Brian Luce (flûte), Sara Fraker (hautbois), Jackie Glazier (clarinette), Marissa Olegario (basson), Jason Carder, Edward Reid (trompette), Timothy Kantor, Lauren Rustad Roth (violon), Michelle Gott (harpe), Paula Fan, Rex Woods (piano)
Enregistré à la Fred Fox School of Music de Tucson (7-18 janvier 2019) – 81’57
Naxos 8.574053 – Notice (en anglais) de Paul Conway
Tous professionnellement actifs en Amérique du Nord, onze professeurs de l’Université d’Arizona, entretenant pour la plupart des liens étroits avec l’Orchestre symphonique de Tucson, se réunissent autour d’un projet promouvant la musique de chambre de William Mathias (1934-1992), trop souvent «oubliée». Ils bénéficient du concours de Jeremy Huw Williams, baryton gallois, qui leur permet non seulement d’entrelacer pièces instrumentales et chants mais aussi d’y apporter une saveur essentielle à l’âme galloise du compositeur.
La musique de William Mathias sort petit à petit de l’ombre où les tendances plus tabula rasa l’avaient autrefois enfouie. Compositeur de la génération de Birtwistle, Ferneyhough et Maxwell Davis, chef d’orchestre, pianiste et professeur, actif et reconnu dans ces domaines sa vie durant, Mathias signe un généreux catalogue d’œuvres très variées, la plupart d’une grande indépendance par rapport aux courants alors contemporains. L’éclat et la lumière de ses riches compositions pour orchestre dominent sa production mais son œuvre embrasse tous les genres avec une pareille conviction, comme en témoigne la généreuse sélection ci-dessus, lancée avec brio par la délicieuse Ceremonial Fanfare à deux trompettes de 1979.
A plusieurs reprises entre 1953 et 1971, Mathias propose des arrangements de chants populaires, finement travaillés pour voix et piano ou voix et harpe, l’instrument gallois de tradition. Jeremy Huw Williams les aborde avec beaucoup de sensibilité, le timbre de sa voix s’épanouissant dans le registre de baryton lyrique, bien que plus incertain quand il glisse en voix de tête. Musicalement bien plus complexes, les quatre beaux chants composés sur des poèmes métaphysiques de poètes gallois soulignent l’importance attribuée à la voix au Pays de Galles. Pièce d’envergure de 1972, A Vision of Time and Eternity rejoint Britten, dans une certaine mesure, par le style de sa ligne mélodique. Ce n’est pas si facile pour la voix d’y plier souplement les paroles mais l’accompagnement, Paula Fan au piano, suggère à merveille la profondeur de la pensée sous-jacente tout en illustrant les personnages contrastés habitant les quatre parties de l’œuvre. Suit de près le bref Tears (1953) d’auteur anonyme, touchante mélodie, belle comme un lied. Tout aussi bref, Hobed o hillion (1971), mélodique et plus proche des chants populaires, exprime toute la nostalgie d’une jeunesse à jamais perdue. Malgré quelques fioritures inconfortables, l’interprétation de Williams convainc dans Pan Oeddwn Fachgen (1970), seul autre chant de quelque envergure. Le piano, tout en légèreté, dessine la beauté ensoleillée de ce «Rêve de jeunesse» avant la chute tragique, inexorable.
Paula Fan accompagne le chant, Rex Woods les pièces instrumentales. Ensemble, ils abordent avec une verve taquine la Suite parisienne de 1953 dans la version révisée de 1992. En trois parties, à la verticale riche, ornée et aventureuse, la Suite évoque à l’horizontale, un voyage en train, une flânerie le long de l’eau et une certaine idée de Montmartre, les thèmes contrastés du French cancan et Pont d’Avignon nettement détachés du flot en avant. Proches de la miniature, la Sonatine (1956/1976), le Capriccio (1969) et Musette et Danse (1966) confirment, respectivement avec une grâce alerte, un gai abandon et un charme mélancolique, le talent de Mathias pour la petite forme qu’il dote d’une force inventive qui explore bien des aspects du jeu instrumental. A l’origine pour flûte à bec, hautbois, basson et clavecin, le Concertino de 1974 met à l’esprit un certain style de motif et certaines sonorités décalées et insolites que l’on peut rencontrer chez Hindemith ou Martinů. C’est aussi avec un semblable jeu léger, bouleversant ou magistral que se déroulent les trois mouvements. Un piano à la place du clavecin change la donne mais ne l’altère en rien, et les musiciens de Tucson s’y investissent avec cœur et conviction comme ils s’investissent tous dans l’ensemble de leur programme plutôt réussi.
La Sonate pour harpe de 1974 a connu une révision tardive en 1992 mais elle reste toujours moins connue que le Concerto (1970) relativement souvent à l’affiche. Michelle Gott en livre ici un rare enregistrement. Sa fine interprétation souligne l’intensité de la composition qui, quoique très personnelle, n’est pas sans points de comparaison avec la Sonate (1939) de Hindemith. Le premier mouvement, très développé, s’établit sur deux thèmes contrastés, l’un à base d’accords et l’autre un ruissellement de notes cristallines, léger et gracieux. Le second mouvement, plus celte, est un déferlement rhapsodique d’arpèges, de carillons, de glissandi, de trilles et de tremolos très expressifs.
On ne peut que féliciter les onze musiciens qui, par leur choix de programme, braquent les projecteurs avec éloquence et adresse sur une suite d’œuvres qui mérite toute l’attention qui pourrait en être l’heureux effet.
Christine Labroche
|