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02/27/2020
Georges Bizet: Carmen
Grace Bumbry (Carmen), Jon Vickers (Don José), Justino Diaz (Escamillo), Mirella Freni (Micaëla), Olivera Miljakovic (Frasquita), Julia Hamari (Mercédès), Anton Diakov (Zuniga), Robert Kerns (Moralès), Milen Paunov (Le Remendado), John van Kesteren (Le Dancaïre), Chor der Wiener Staatsoper, Kinderchor und Kammerchor der Salzburger Festspiele, Wiener Philharmoniker, Herbert von Karajan (direction)
Enregistré en public au Grosses Festspielhaus, Salzbourg (29 juillet 1967) – 162’18
Coffret de trois disques Orfeo d’Or (collection «Festspieldokumente») C 866 183 D – Notice (en allemand et en anglais) de Gottfried Kraus





Karajan et Carmen: c’est avant tout une longue histoire...


Remontons le temps et plaçons-nous au cours de l’hiver 1937-1938, lorsque Hans Tietjen, intendant général de l’Opéra d’Etat de Berlin, approcha Karajan en vue de l’intégrer dans son équipe de chefs d’orchestre. Il lui demanda alors d’assurer la création des Bourgeois de Calais de Rudolf Wagner-Régeny, au mois de janvier 1939. A l’aube certes de sa carrière mais déjà doté de la personnalité qui était la sienne, Karajan accepta à condition néanmoins de pouvoir y aborder d’autres œuvres sous prétexte de se familiariser avec la nouvelle maison qui se proposait de l’accueillir. Karajan avança ainsi son souhait de diriger très rapidement Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg, Fidelio ou Tristan et Isolde mais il écarta vertement les propositions de Tietjen, au nombre desquelles figuraient Lohengrin et... Carmen!


La première rencontre entre l’opéra français de Bizet et le chef autrichien date finalement de la période pendant laquelle Karajan occupait les fonctions de directeur musical de l’Orchestre symphonique de Vienne. Le 8 octobre 1954, il dirigea ainsi au Musikverein une version de concert de Carmen en langue originale (et non en allemand comme cela se faisait jusqu’alors, option révolutionnaire mais qu’il imposa à toutes les œuvres lorsqu’il prit les rênes de l’Opéra de Vienne peu après); aux côtés des Wiener Symphoniker, Giulietta Simionato chantait le rôle-titre et Nicolai Gedda celui de Don José, Hilde Güden incarnant Micaëla et Michel Roux Escamillo (représentation publiée chez Andante). Karajan reprit peu après l’ouvrage mais cette fois-ci à la Scala de Milan avec l’ensemble des forces scaligères (le chef assurant également la mise en scène), la représentation du 18 janvier 1955 ayant été éditée par la Scala elle-même (le livre-disque est passionnant avec force photos de cette soirée et de répétitions, une reproduction du programme de l’époque...): Giulietta Simionato reprenait le rôle de l’héroïne mais c’est Giuseppe Di Stefano qui, cette fois-ci, incarnait Don José.


Si Karajan prit également le temps d’enregistrer la Suite de Carmen avec le Philharmonia en janvier 1958, il ne programma jamais l’opéra durant son mandat à l’Opéra de Vienne. En revanche, il fut le premier à le donner au Festival de Salzbourg, le 31 juillet 1966 (ainsi que les 10, 15 et 27 août), dans une distribution légèrement différente de celle présentée ici (Nadine Sautereau chantait le rôle de Frasquita par exemple) avant d’être reprise à l’été 1967 (c’est le présent enregistrement). Après avoir enregistré Carmen avec le Philharmonique de Berlin et Agnès Baltsa dans le rôle-titre en septembre 1982, Karajan recourut à la même équipe pour donner de nouveau l’opéra à Salzbourg au mois d’août 1985 puis au festival 1986 (Helga Müller Molinari chantait alors le rôle de Carmen), l’opéra y ayant été donné une nouvelle et, pour le moment, pour la dernière fois sous la direction de Sir Simon Rattle au mois d’août 2012.


La présente représentation mérite d’être écoutée avec attention en raison, tout d’abord, de la prestation de Grace Bumbry. La chanteuse américaine n’a guère travaillé avec Karajan hormis, sur l’exercice 1966-1967, pour deux opéras seulement qui furent donc Carmen (représentée durant les étés 1966 et 1967 à Salzbourg avec le Philharmonique de Vienne en fosse) et Cavalleria rusticana (joué cette fois-ci avec les forces milanaises pour deux représentations, qui se tinrent les 23 et 25 mai 1966). Auréolée de son statut de «Vénus noire» pour avoir chanté Vénus dans Tannhäuser à Bayreuth lors de l’été 1961, elle s’imposa dès lors sur la scène internationale et fut immanquablement repérée par le chef autrichien. On se permettra, à ce titre, de regretter que certains journalistes, qu’on a connu plus inspirés (notamment dans leurs écrits sur Händel...), se plaisent à encore aujourd’hui aligner poncifs et inexactitudes en écrivant dans le cadre d’un éditorial, pas si inintéressant par ailleurs, que «le racisme n’a pas toujours la couleur qu’on lui prête. Herbert von Karajan, qui a reçu deux fois sa carte du parti nazi avec les compliments du Dr. Goebbels, avait pour déesses Leontyne Price, Grace Bumbry, Reri Grist, Kathleen Battle» (Diapason n° 680, juin 2019, p. 52).


Passons sur ces facilités journalistiques et attachons-nous en l’espèce au seul résultat musical. Quelle Carmen que voilà! Sulfureuse, enjôleuse, vénéneuse presque, Grace Bumbry brûle les planches et nous envoûte. Dans la fameuse habanera ou dans les échanges avec Don José «Près des remparts de Séville» à l’acte I ou dans le duo «Non tu ne m’aimes pas» (acte II), elle campe une héroïne manipulatrice et irrésistible avec un sens du théâtre tout à fait convaincant. Face à elle, Jon Vickers incarne un Don José avec une réelle présence et un charme assumé mais on sourit en plus d’une occasion en entendant cet accent quelque peu exotique, souvent pincé (à l’image de celui, pire, d’Anton Diakov qui chante le rôle de Zuniga...). Cela se remarque plus («Quels regards! Quelle effronterie!» à l’acte I) ou moins, mais ne nous empêche pas de profiter de la beauté du chanteur canadien (des nuances absolument incroyables, le murmure parvenant à néanmoins dépasser le son de l’orchestre...), notamment dans un magnifique et attendu «La fleur que tu m’avais jetée» (acte II). Dans le rôle d’Escamillo, Justino Diaz fait montre d’une voix puissante mais peu séduisante et assez caverneuse (l’air «Votre toast...»), handicapée au surplus par une totale incompréhension de son français. La regrettée Mirella Freni incarne en revanche une très belle Micaëla (magnifique duo avec Don José à l’acte I «Parle-moi de ma mère»), l’un de ses rôles fétiches, dont le sommet réside dans l’air «C’est des contrebandiers le refuge ordinaire» (acte III): quelle finesse et quelle diction! Bien que le rôle soit très secondaire, mention spéciale enfin à Robert Kerns qui chante superbement chaque intervention de Moralès!


On pourra là aussi sourire de temps à autre en écoutant l’orchestre, dont les accents viennois prennent quelque peu le pas sur les sonorités françaises auxquelles nous sommes sans doute plus habitués, mais quel orchestre tout de même! Cor solo impérial dans l’air «Des contrebandiers...», fagotts germaniques truculents dans le deuxième entracte, verve formidable dans l’accompagnement de l’air «Que se passe-t-il donc là-bas?» au premier acte ou dans la Farandole de la Seconde Suite de L’Arlésienne, les Wiener Philharmoniker guidés par un Karajan plus théâtral que jamais se lancent à corps perdu dans la partition et contribuent pour une grande part à la réussite de l’ensemble. On passera rapidement sur quelques décalages ici ou là (les martellements des talons de Carmen, pas toujours en mesure avec l’orchestre, les trompettes de temps à autre) pour, une fois encore, souligner toute la vie de ce drame conduit sans faillir par le chef autrichien au fil de quatre actes enflammés. Idem pour les chœurs, excellents (pétaradant air «Voici le quadrille des toréros» à l’acte IV) au sein d’une équipe qui fait de cette gravure historique un témoignage important, à défaut d’être véritablement fondamental, des grandes heures du Festival de Salzbourg.


Sébastien Gauthier

 

 

 

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