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01/17/2020
Frédéric Durieux : L’Espace des possibles
Ecrits et entretiens (1986-2018) réunis, introduits et annotés par Laurent Feneyrou
Aedam Musicae – 437 pages – 28 euros
 Sélectionné par la rédaction
Compositeur et professeur de composition au CNSM de Paris depuis 2001 (après y avoir enseigné l’analyse de 1990 à 2001), Frédéric Durieux a fêté ses 60 ans l’année dernière. L’occasion sinon de dresser un bilan, du moins de revenir sur son parcours et sa pensée à travers une série de textes et d’entretiens présentés par le musicologue Laurent Feneyrou. S’y dévoilent diverses facettes de sa personnalité.
Il y a le polémiste-pourfendeur du tout culturel (en réalité «une forme de censure») et des fausses bonnes idées, telle celle qui consistait à ajouter un «s» à France MusiqueS, annihilant ainsi toute hiérarchie de valeurs dans le domaine musical. Il y a surtout le théoricien et l’analyste – l’essentiel de l’ouvrage – qui réfléchit sur son art et celui des autres (remarquable étude de A Mirror on Which to Dwell d’Elliott Carter). Si de solides connaissances musicologiques sont nécessaires pour apprécier certaines analyses en détail, les vertus pédagogiques jointes à la clarté du vocabulaire rendent la plupart d’entre elles intelligibles dans les grandes lignes. D’autant qu’elles s’appuient sur des exemples musicaux clairs et instructifs, et sont mises au service d’un propos visionnaire d’où les œuvres sortent grandies – notamment l’austère Symphonie opus 21 de Webern.
Apparaît en creux une figure caractéristique de sa génération en ce qu’elle dut se positionner face aux grandes tendances qui la précédaient – postsérialisme et spectralisme au premier chef –, passées ici au tamis d’un inventaire drastique («Si chaque génération vole à la précédente ce qui lui est nécessaire, c’est pour le relire à sa façon»). Des apories de l’une et de l’autre, Durieux fait le diagnostic suivant: «La problématique centrale de l’œuvre aujourd’hui reste celle de l’écriture et de la perception. Si la génération apparue au cours des années 50 n’a souvent basé sa pensée qu’en termes d’écriture, inversement, celles des années 70 a établi la sienne sur la seule perception.» Constat encore plus implacable du côté de l’électroacoustique vécu comme une fin en soi, dont il déplore «l’incapacité à organiser un langage, une dialectique autre que celle de la superposition, la succession ou l’évanescence vaguement littéraire».
Les modèles les «plus urgents» de Frédéric Durieux ont pour noms Debussy, Berg, Berio et Boulez, auxquels s’ajoutent dans un second cercle l’Ecole de Vienne, Messiaen et Stockhausen. Références certes très occidentales (à la question «Où souhaiteriez-vous vivre?» du questionnaire de Proust, notre homme répond: «Dans un pays qui s’appellerait l’Europe»): aucun compositeur russe à part Stravinsky (le plus cosmopolite des Russes), aucun américain à part Carter (le plus européen des Américains). Mais Durieux n’en est pas moins très curieux d’autres cultures (asiatiques en particulier) et n’hésite pas à faire grand cas de créateurs réputés marginaux. Explicites à cet égard ses essais sur Zimmermann («Zimmermann et l’hétérogénéité, un modèle actuel») et Maderna («Quadrivium: une œuvre magistrale pour un art libéral») comme ses liens affectifs à la musique de Barraqué, Malec (dont il fut l’élève) ou Holliger.
Son crédo pourrait se résumer par cette phrase extraite de «De la structure au geste»: «Je suis un compositeur pour lequel le ou les matériau(x) doivent provenir d’éléments structurels définis pour que la figuration advienne de ces éléments premiers. L’œuvre est le résultat d’allers-retours entre ce qui est hors-temps et la figuration qui s’inscrit obligatoirement dans une organisation de tempos.». On le voit, il y chez Durieux un attachement aux fondamentaux, au côté artisanal de l’écriture (il persiste à composer avec un crayon et une gomme). Aussi le professeur au CNSM n’hésite-t-il pas à demander à ses élèves de chanter tout de go tel passage de leur partition pour s’assurer qu’il soit entendu. La passionnante intervention «Notation: tablature et écriture?», jalonnée d’exemples significatifs empruntés à Schaeffer, Stockhausen, Holliger et Lachenmann, fait le point sur cette question particulièrement épineuse depuis l’annexion par la musique «contemporaine» de phénomènes sonores longtemps considérés comme «bruits».
Le livre se referme sur le catalogue des œuvres de Frédéric Durieux – dans le détail desquels nous ne pouvons entrer – dont beaucoup attendent d’ailleurs leur fixation au disque. Puisse la parution de cette somme mémorable aux éditions Aedam Musicae aider à y remédier.
Jérémie Bigorie
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