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08/22/2019 Johannes Brahms: Schicksalslied, opus 54 – Deux Motets, opus 74: 1. «Warum ist das Licht gegeben dem Mühseligen» – Nänie, opus 82 – Trois Chants, opus 42 – Quatre Chants, opus 17: 1. «Es tönt ein voller Harfenklang» – Geistliches Lied, opus 30 (arrangement John Eliot Gardiner) Antonio Adriani (cor), Elsie Bedleem (harpe), Rundfunkchor Berlin, Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Gijs Leenaars (direction)
Enregistré à la Grosser Sendesaal de Berlin (9-11 et 18-20 avril 2018) – 52’53
Sony Classical 19075940722
Must de ConcertoNet
L’existence d’un enregistrement, par un grand éditeur, entièrement consacré à la musique chorale de Brahms et confié au directeur musical depuis 2015 du prestigieux Chœur de la Radio de Berlin, le Hollandais Gijs Leenaars, est déjà en soi une excellente nouvelle. La grande réussite artistique de cet enregistrement est une autre raison de se réjouir.
La belle introduction orchestrale du Chant du destin qui débute cet enregistrement est rapidement suivie de la magnifique entrée du chœur confiée au pupitre d’alti. D’emblée ce Brahms sonne sombre, lent, équilibré, parfois même à la limite de l’austérité, mais avec une noblesse et un magnifique sens de la ligne essentiels dans cette musique. Les bois comme les cuivres, dont on perçoit aisément toutes les harmonies, sont à l’unisson de cette lecture. Au fur et à mesure que l’œuvre avance, Gijs Leenaars peut encore intensifier le travail sur la polyphonie, toujours audible et équilibrée, et les nuances. Le passage rapide qui débute par un unisson choral permet aux cordes de montrer leur sens de la cohésion et de la couleur et l’équilibre avec le chœur est particulièrement juste. Le retour d’un adagio en ut majeur, joué par le seul orchestre, termine dans un climat plus lumineux cette attachante pièce.
Le contraste, un peu brutal, avec la pièce suivante, le motet «Warum ist das Licht gegeben dem Mühseligen», n’empêche pas de goûter la riche polyphonie de l’écriture d’un Brahms de la maturité. Les quatre parties du motet, qui s’appuie sur le modèle revendiqué de Bach, évoquent successivement l’affliction, la prière, l’espoir et la mort. Le Rundfunkchor de Berlin, dont c’est le cœur de répertoire, démontre plus encore ici ses qualités de justesse, de ligne, de nuances, d’écoute mutuelle et de construction. Aucun pupitre ne domine l’autre, ce qui est parfois le cas dans les enregistrements de musique chorale.
Vient ensuite Nänie, véritable frère du Chant du destin, lui aussi de toute beauté et magistralement conduit par Gijs Leenaars, qui n’hésite pas à souligner les harmonies modernes que glisse çà et là le compositeur. Ici encore le legato, la polyphonie et les nuances du chœur servent au mieux un propos austère tandis que le l’Orchestre symphonique allemand de Berlin est au diapason d’une lecture sobre et d’une grande beauté formelle. On saluera notamment le magnifique hautbois solo dont le chant illumine chacune de ses interventions.
Nouveau contraste avec les Trois Chants, pièces a cappella pour six voix où seules les voix graves sont divisées. La sérénade initiale oppose les voix d’hommes et celles des femmes dans un étonnant style Renaissance. La ballade qui suit donne la part belle aux voix de femmes alors que c’est l’inverse dans le chant funèbre final, plus typiquement brahmsien. Le Chœur de la Radio de Berlin est à nouveau très à l’aise dans cette pièce sans doute souvent exécutée.
Dans la pièce suivante, «Es tönt ein voller Harfenklang», interviennent le cor chantant d’Antonio Adriani et la harpe raffinée d’Elsie Bedleem, tous deux en parfaite osmose avec les voix de femmes divisées en trois.
Le célèbre Chant spirituel, habituellement joué avec un orgue mais ici donné dans une version arrangée pour orchestre à cordes par John Eliot Gardiner, termine avec bonheur et dans l’apaisement cet enregistrement qui montre de bout en bout un Chœur de la Radio de Berlin à son meilleur dans l’a cappella comme dans les œuvres avec orchestre. Seul le choix de faire alterner les pièces avec orchestre et a cappella, qui oblige l’auditeur à s’adapter instantanément à des formats sonores différents, pourra sans doute gêner certains auditeurs.
Il n’empêche: ce très bel enregistrement comblera les amateurs de Brahms et de musique chorale allemande. Le Chœur de la Radio de Berlin est bien et toujours l’un des meilleurs chœurs de radio de notre continent et son directeur Gijs Leenaars montre ici de vraies qualités non seulement de chef de chœur mais aussi de chef d’orchestre ce qui, rappelons-le, ne va pas toujours de soi.
Gilles Lesur
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